Maroc

Pr. Farid Hakkou: « Le monde de la recherche au Maroc entame une nouvelle ère »

Entretien avec Pr. Farid Hakkou. Secrétaire général du Comité d’éthique pour la recherche biomédicale (CERBM).

Deux ans après le Colloque national sur la recherche biomédicale, inauguré par le Chef du Gouvernement, les décrets relatifs aux essais cliniques voient le jour. Sommes-nous au bout du tunnel ?
Il est essentiel de rappeler tout le travail effectué en amont, avant l’aboutissement de ces textes. Les efforts et la mobilisation du ministère de la Santé, du ministère de l’Enseignement supérieur et de leurs équipes a été formidable, malgré le contexte difficile par lequel nous sommes passés.

L’engagement du Chef du gouvernement sur le sujet a été notable. Il ne faut pas oublier que ce dernier a donné le kick off des travaux de réflexion sur la Recherche Biomédicale en 2018, lors du Colloque national sur la recherche biomédicale, organisé par le LEMM (Les Entreprises du médicaments). Un évènement inédit et de grande envergure qui a donné une impulsion à ce projet national. LEMM a d’ailleurs eu le mérite de publier un Livre blanc, comprenant un benchmark et un corpus de recommandations de 68 mesures pour la mise en œuvre d’un écosystème dédié à la recherche biomédicale au Maroc. Sur les cinq recommandations prioritaires, on pouvait relever la mise en place des décrets d’application de la loi n° 28-13 et leur concordance avec les directives européennes N° 536/2014 du 16/04/2014. Tout ce travail a porté ses fruits. Depuis 2018, Le ministère de la Santé a mis en place trois comités composés de nos grands experts nationaux et chaque comité a travaillé et a livré les projets de textes, sur la thématique qui lui a été confiée: les projets de textes d’application de la loi, déjà existante sur la recherche biomédicale. Les textes sont aujourd’hui adoptés. C’est une excellente nouvelle pour notre pays et pour les patients marocains. Tous les acteurs qui ont fait aboutir ce grand projet peuvent être fiers.

Qu’attendez-vous du décret sur la recherche biomédicale qui vient d’être adopté ?
Je pense que le monde de la recherche au Maroc entame une nouvelle ère. La recherche biomédicale au service de l’humain, reconnue par l’Agence européenne des médicaments et la FDA, est désormais possible au Maroc. Ces nouveaux textes d’application viendront encadrer les essais cliniques dans notre pays, selon les règles de bonnes pratiques. Nous pourrons désormais mener une recherche médicale bien encadrée, éthique et de bonne qualité. Les patients marocains pourront accéder, de manière précoce, aux médicaments et aux innovations thérapeutiques. Ils bénéficieront aussi d’un meilleur usage des protocoles thérapeutiques grâce à l’innovation. Enfin, l’infrastructure de santé accueillera les meilleurs matériels et technologies, nécessaires à cette activité.

Le Maroc est-il, à votre avis, prêt pour la mise en place d’une industrie de la recherche biomédicale ?
Tout à fait. Le Maroc dispose aujourd’hui des infrastructures pour accueillir cet écosystème de la recherche. Depuis 2000, l’infrastructure sanitaire du royaume s’est considérablement développée. Plusieurs CHU ont vu le jour et de nombreux autres, de grande qualité, sont en projet. Le Partenariat public-privé permettra également de mettre à disposition des centres hospitaliers et de recherche de grande qualité

L’industrie pharmaceutique investit jusqu’à cinq fois plus dans la recherche-développement que les autres secteurs industriels. Peut-on avoir une idée sur les publications des acteurs du secteur ?
En effet, le ranking, en nombre, des essais cliniques du Maroc est même plus que ce qu’il était avant l’an 2000. Auparavant, le Maroc enregistrait une vingtaine d’essais cliniques par an. Ce chiffre a drastiquement diminué pour se situer aux alentours de 7 essais annuels actuellement. Il en est de même des publications. Le Maroc occupait le 3e rang africain il y a quelques années. Il se classe à la 5e place aujourd’hui. Ces textes d’application de la loi permettront sans aucun doute d’améliorer notre ranking mondial dans les essais cliniques et démultiplieront les publications scientifiques marocaines. D’autre part, ils garantiront la transparence et l’accès à l’information pendant toutes les phases de publication, à partir du moment où ils reçoivent une autorisation. Le Maroc pourra alors se focaliser sur des aires thérapeutiques spécifiques, par exemple la tuberculose. Tous les pays qui ont réglementé et encadré leur recherche biomédicale ont réussi à renforcer leur culture de la recherche, aussi bien auprès des professionnels de santé qu’au sein des institutions publiques. Ces décrets mettront à niveau les standards et les normes en matière de recherche et de pratique médicale au Maroc, notamment à travers le Data management qui sera développé afin de mener à bien les essais cliniques. On assistera ainsi à une supervision plus rigoureuse en ce qui concerne la protection des données à caractère personnel.

Peut-on dire que le royaume est suffisamment attractif dans le domaine biomédical ? Quel montant d’IDE peut-on alors capter ?
L’impact social et économique de la recherche biomédicale est prouvé et éprouvé dans le monde : de nombreux emplois seront créés grâce à l’installation des sociétés de prestations de services pour la recherche clinique, les Contract research organizations (CRO) cliniques et pré-cliniques. Si on capte une part infime des montants investis dans la recherche dans le monde, on estime que le Maroc pourrait accueillir 1 milliard de dirhams d’investissements par an. Ce n’est qu’un seuil. Les investissements directs étrangers pourraient être encore plus importants si les conditions de mise en œuvre de la recherche biomédicale sont optimales. Il suffit de voir ce qui s’est fait en Égypte, en Turquie ou encore en Ukraine.

Quels leviers restent à activer ou mettre en place pour que le Maroc fasse partie des trois pays les plus compétitifs et attractifs en matière de recherche clinique en Afrique ?
À mon avis, le pré-requis essentiel est la formation. Elle doit être au cœur du dispositif. Les médecins doivent être formés pour se préparer aux aspects entourant les études : sociaux, psychologiques, économiques, philosophiques, etc. La mise en place de plusieurs formations multidisciplinaires y compris les domaines de la médecine, de la biologie, des sciences pharmaceutiques et de l’ingénierie. Ces dernières seront adaptées aux métiers de recherche clinique dont des formations pour les assistants à la recherche clinique, les coordinateurs des études cliniques, etc. Ces formations aideraient les jeunes diplômés des universités médicales et scientifiques à trouver facilement un emploi. Ensuite, il est essentiel de poser un cadre de gouvernance et de financement agile et attractif. Ceci passe par la création d’un mécanisme de subvention des études et d’un cadre fiscal incitatif, notamment à travers le crédit-impôt recherche. Il s’agira aussi de mettre en place des filières de formation spécialisées dans les études cliniques et de déployer une campagne de communication pour sensibiliser les patients.

Comment pourra-t-on garantir la sécurité et la protection des patients marocains dans le cadre des essais cliniques ?
Il existe, en effet, de nombreux préjugés sur cette discipline. Certains pensent que l’on transformera les sujets marocains en cobayes. Pourtant, aux États-Unis et dans l’Union européenne, qui sont les principaux concurrents dans les essais cliniques, à aucun moment les populations n’ont porté un jugement négatif sur la discipline. Tous les médicaments, vaccins ou traitements, sont développés grâce aux essais cliniques (étape indissociable de la recherche). Le cadre règlementaire protégera les patients en cas d’accident et mettra en place une structure de sécurité afin de prévenir tous risques. Par ailleurs, en cas d’incidents inattendus, des mesures de sécurité sont prises sans autorisations et en urgence. De plus, une assurance est garantie pour les patients, définissant les modalités de prise en charge, dans le cadre des études ainsi qu’en cas d’accident. À cet effet, des comités d’éthique régionaux seront mis en place pour s’assurer que toutes les recherches médicales sont menées dans des conditions qui protègent le patient. Ces mêmes comités s’assureront que les données fournies sont fiables et exemptes de tout préjugé. Les comités d’éthique seront complétement indépendants, pluralistes et pluridisciplinaires en termes de domaines d’expertise, religion, genre, etc. Enfin, le consentement du patient sera obligatoire tout en assurant que ce dernier a le droit de se retirer des études à tout moment.

Aziz Diouf / Les Inspirations Éco


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