PLF. Rahhal El Makkaoui : “Certains réglages s’imposent”
Rahhal El Makkaoui.
Président de la Commission des finances, de la planification et du développement économique à la Chambre des conseillers
Le projet de loi de Finances devra franchir le cap de la Chambre des conseillers la semaine prochaine, après des discussions animées au sein de la Commission des finances, de la planification et du développement économique, qui va voter les propositions d’amendement mercredi. Dans cet entretien, le président de la commission, l’istiqlalien Rahhal El Makkaoui, critique vertement le gouvernement pour l’absence de mesures à même de faire face aux répercussions de la crise sanitaire, et fait le point sur certains réajustements nécessaires au niveau du PLF.
Quel regard portez-vous sur la nouvelle mouture du PLF, après son amendement par la Chambre des représentants ?
Nous avons pris en compte les quelques modifications qui ont été introduites au projet de loi de Finances (PLF), notamment celle ayant trait à la contribution sociale de solidarité dont le seuil a été élevé pour les personnes physiques. Mais globalement, le projet de loi de Finances reste presque similaire à la mouture initiale du gouvernement…
Même si plusieurs amendements ont été introduits au texte chez les députés ?
Ces amendements n’ont pas permis un changement de fond de la loi de Finances. À titre d’exemple, l’amendement qui a porté l’âge de 30 à 35 ans pour bénéficier de l’exonération des salaires de l’IR lors du premier recrutement n’est pas suffisant. Il aurait fallu aussi porter une attention particulière à ceux qui ont perdu leur emploi à cause des répercussions de la pandémie sur le marché du travail. Le gouvernement cible dans le PLF ceux qui arrivent sur ce dernier, mais a oublié ceux qui souffrent depuis des années des affres du chômage ainsi que ceux qui ont perdu leur emploi pendant la crise sanitaire. Il s’agit d’une mesurette qui n’aura pas d’impact significatif sur la promotion de l’emploi. Et même la condition du contrat à durée indéterminée est facile à contourner.
Comment ?
Pour les contrats à durée indéterminée, la période d’essai est de trois mois avec possibilité de renouvellement une fois, soit six mois. Les entreprises recourront, ainsi, à beaucoup de contrats de six mois.
Que pensez-vous des nouvelles mesures douanières au niveau du PLF qui ont été pointées du doigt par certains parlementaires ?
Le principe est bon car l’objectif est de protéger l’industrie marocaine et d’encourager la consommation des produits marocains. Mais il y a lieu de se demander si les sociétés marocaines, dans certains domaines, sont à même de satisfaire le marché national. Ainsi, le risque d’augmentation des prix de certains produits n’est pas à écarter à cause des nouvelles mesures douanières. À titre d’exemple, les droits de douane sur les toners ont été augmentés, mais ne fallait-il pas voir, en premier lieu, si les sociétés marocaines qui travaillent dans ce domaine étaient capables de satisfaire tous les besoins du Maroc en la matière ? Si on n’arrive pas à produire au niveau national des quantités suffisantes, les prix vont automatiquement augmenter. Et finalement, c’est le citoyen dont le pouvoir d’achat ne cesse de s’effriter qui est le grand perdant. Le principe de protection de l’industrie marocaine ne peut qu’être salué, mais encore faut-il mettre en place des mesures d’accompagnement et inciter à l’investissement et à l’amélioration de la qualité des produits marocains.
Le gouvernement a aussi introduit des amendements au PLF lors de la phase d’adoption du texte à la Chambre des représentants. Qu’en pensez-vous ?
C’est une aberration ! Il apparaît clairement que le gouvernement manque de cohésion et n’a pas une vision d’ensemble. C’est pour cette raison qu’il a procédé, à la dernière minute, l’introduction des amendements au projet de loi de Finances bien qu’il ne s’agisse pas de mesures phares.
Que pensez-vous de la lutte contre les factures fictives, qui a suscité les craintes de certains parlementaires quant à son application ?
Nous avons mené une discussion minutieuse sur cette disposition au sein de la Commission des finances. À travers ses explications détaillées, le ministre de l’Économie, des finances et de la réforme de l’administration, Mohamed Benchaâboun, a été on ne peut plus clair sur cette question et a rassuré les parlementaires. Il s’agit en effet des sociétés qui n’ont aucune activité et qui émettent de fausses factures. Les sanctions pénales sont ainsi justifiées. Les sociétés qui ont des activités et émettent des factures non comptabilisées s’inscrivent dans le cadre de l’évasion fiscale.
Les réponses de Benchaâboun aux critiques des conseillers vous ont-elles convaincu ?
Certaines explications ont été convaincantes, comme celle ayant trait à la lutte contre les factures fictives. Cependant, il faut dire que bien d’autres questions ne dépendent pas uniquement du ministre des Finances et concernent divers secteurs, notamment la santé, l’éducation, l’agriculture, l’équipement… Je tiens à souligner encore une fois que le gouvernement manque de visibilité et de cohérence entre ses composantes, ce qui impacte la qualité du projet de loi de Finances. D’ailleurs, l’actuel PLF ne diffère pas des projets de loi de Finances précédents mis à part les chantiers annoncés par le souverain, comme la couverture médicale universelle et la création du Fonds Mohammed VI pour l’investissement. Ces chantiers, précisons-le, sont liés au discours royal. On ne parle plus, d’ailleurs, du programme gouvernemental au niveau du PLF.
Quels sont les principaux amendements à introduire au PLF, selon vous ?
Le dépôt des propositions d’amendement est prévu lundi prochain, et le vote en commission est programmé mercredi. Il faut prendre en compte deux choses fondamentales, à commencer par la crise sanitaire qui nécessite une batterie de mesures pour y faire face, notamment la réintégration de ceux qui ont perdu leur emploi à travers, entre autres, l’élargissement de la mesure de l’impôt sur le revenu à cette catégorie également. Il s’agit aussi également de la nécessité de renforcer le pouvoir d’achat des citoyens, ce dernier ayant été grandement impacté par la crise. Une série de mesures ont été proposées par le groupe parlementaire de l’Istiqlal à la Chambre des représentants ; elles n’ont pas été acceptées mais on va les réintroduire à la Chambre des conseillers. Il s’agit de la déduction des frais de scolarité de l’impôt, de l’augmentation des allocations familiales, de l’augmentation de la fourchette de l’exonération de l’IR de 30.000 DH à 36.000 DH… Il faut aussi réduire la TVA sur certains produits de grande consommation. En ce qui concerne les mesures douanières de protection, il aurait fallu établir une liste de tous les secteurs dans lesquels l’industrie marocaine est présente et qui nécessitent une protection. On a parfois l’impression que le gouvernement instaure des mesures sous l’effet du lobbying de certains secteurs, sans une vision d’ensemble. D’autres mesures s’imposent pour relancer l’économie marocaine. À cet égard, on pourrait instaurer des frais de douane sur les produits dont le Maroc veut encourager l’investissement au niveau national. J’ai l’impression que le gouvernement a oublié les leçons tirées de la crise sanitaire, dont la nécessité de veiller à ce que le Maroc assure une autosuffisance en matière alimentaire… Le gouvernement était attendu au niveau du projet de loi de Finances pour instaurer des mesures prenant en considération les enseignements tirés de la pandémie. Mais rien de tel ne figure au niveau du PLF.
Croyez-vous que le gouvernement prendra en compte les propositions d’amendement des parlementaires ?
Nous allons, en tout cas, essayer autant que faire se peut de convaincre le gouvernement qui, j’espère, va prendre compte nos amendements. Le Parti de l’Istiqlal propose des amendements logiques et réalisables car nous sommes bien conscients de la situation et nous connaissons aussi les limites. Le gouvernement n’a pas été favorable aux propositions d’amendement des groupes parlementaires à la Chambre des représentants. J’espère qu’à travers la discussion détaillée et le débat qui a été très riche au sein de la Commission des finances à la Chambre des conseillers, le gouvernement sera convaincu de l’impératif d’opérer certains réglages.
Le gouvernement n’a pas de majorité numérique au sein de la Chambre des conseillers. Pourquoi l’opposition au sein de la Chambre haute n’unit-elle pas ses forces?
Au sein de la Chambre des représentants, il y a la majorité et l’opposition alors qu’au niveau de la Chambre des conseillers, la composition est différente. Outre les partis politiques de la majorité et ceux de l’opposition, il y a la CGEM et les syndicats qui votent selon leurs orientations. On est sur la même longueur d’onde sur bon nombre de points, comme en attestent les positions exprimées lors des discussions. Il se pourrait que certains amendements soient proches les uns des autres.
Jihane Gattioui / Les Inspirations Éco