Maroc

Orfèvrerie: comment se portent les ventes d’or au Maroc ?

Les ventes en bijouterie-joaillerie ont reculé au Maroc en 2020. Un coup dur pour un secteur déjà mal en point avant l’arrivée de la Covid-19, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase de la précarité des artisans.

Contrairement aux obligations ou encore aux actions, l’or ne rapporte ni intérêts ni dividendes, mais protège les épargnants et les investisseurs en temps de crise. En cas d’instabilité financière, comme celle que nous vivons depuis l’année dernière, le cours du métal jaune s’apprécie et devient ainsi une valeur refuge. Alors que les épargnants se prémunissent des cataclysmes, les investisseurs, eux, se tournent vers l’or, faute de visibilité sur le long terme. S’il est difficile d’estimer à combien s’élève la quantité d’or détenue par les Marocains dans leurs bas de laine, la règle veut que, quand la Bourse est en perte de vitesse, la cotation du symbole de richesse reprend des couleurs. Cette règle d’or est toujours d’actualité. Dopée par la demande des investisseurs en pièces et lingots, la valeur du métal précieux a connu une forte progression à l’échelle mondiale en début 2020, avec des records absolus pour l’once à 2.020 dollars début août dernier. Et ce n’est pas près de s’arrêter, même si on semble voir le bout du tunnel de la crise liée à la Covid-19 à l’origine de cette fièvre.

D’ailleurs, certains prévisionnistes tablent sur jusqu’à 2.400 dollars l’once en 2021. Toutefois, il y a lieu de faire une petite nuance à ce niveau : si les pièces et lingots d’or sont très prisés, la joaillerie, elle, a moins progressé à cause notamment du contexte déclenché par la pandémie de Covid-19. Et pour cause : le pouvoir d’achat des Marocains s’est drastiquement contracté l’année dernière. Victimes des effets collatéraux de la crise sanitaire, qui ont occasionné des arrêts de travail et des cessations d’activité synonymes de pertes d’emploi, plus de 59% des ménages ont enregistré une dégradation de leur niveau de vie en 2020 au cours des douze derniers mois, 27% ont pu maintenir le même niveau, et une infime partie, c’est-à-dire 3,2%, a enregistré une amélioration. Outre la grande souffrance dans laquelle la crise a plongé les ménages marocains l’année dernière, s’y ajoute l’interdiction des fêtes et regroupements, entre autres mesures barrières, pour lutter contre la propagation du virus. À titre d’exemple, à trois mois de la fin de 2020 à Casablanca, il a été dénombré 14.700 mariages contre 36.000 mariages une année auparavant. Celles-ci ont découragé bien des Marocains de se faire plaisir dans l’achat de parures en or. Résultat, le chiffre d’affaires des bijoutiers a chuté de 60%, déplore Majid Lahrichi, secrétaire général de la Fédération marocaine des bijoutiers (FMB) (photo).

Toujours selon le SG de la FMB, le choc est d’autant plus violent que «le secteur de la bijouterie au Maroc avait déjà d’énormes problèmes avant l’arrivée de la pandémie». «Nous sommes dans un secteur informel», poursuit-il, avant de dénoncer le manque de soutien de l’État à la valorisation de la production locale. «Au lieu d’encourager la production locale, le gouvernement a continué à mettre en place le régime économique d’exportation temporaire pour perfectionnement passif (ETPP)», lequel cause «beaucoup de tort aux fabricants locaux», indique le bijoutier, par ailleurs vice-président général de la Fédération des entreprises d’artisanat (FEA).

«Un privilège de trop pour quelques-uns seulement»
Dans le détail, selon la loi marocaine, ce régime permet l’exportation provisoire, en suspension des droits et taxes, prohibitions ou restrictions de sortie qui leur sont applicables, des produits et marchandises d’origine marocaine, nationalisés par le paiement des droits et taxes d’importation ou importés en admission temporaire pour perfectionnement actif, et ce, dans le but de recevoir une ouvraison ou une transformation à l’étranger avant réimportation. En d’autres termes, les marchandises réimportées en suite de ce régime sont soit réadmises en admission temporaire pour perfectionnement actif, soit mises à la consommation. Cela n’est plus du goût des bijoutiers qui y voient un privilège de trop pour quelques-uns seulement. «On demande aux Marocains de consommer local et, en même temps, on encourage l’importation de produits finis que des Marocains peuvent fabriquer eux-mêmes au Maroc», fustige Lahrichi pour qui «soit on élargit ce régime économique à tout le monde, soit on en prive tous les bijoutiers». Chaque année, environ 3 tonnes d’or brut sont expédiées du Maroc. «Ce sont des milliers d’emplois qu’on perd par an dans la mesure où c’est quasiment la même quantité de métal jaune qu’on importe en produits finis, alors que le Maroc regorge de main-d’œuvre», souligne notre interlocuteur. Plus tard, le secrétaire général demandera au gouvernement de revoir sa copie fiscale appliquée aux bijoutiers marocains.

«Iniquité fiscale»
En fait, les orfèvres dénoncent ce qu’ils considèrent comme une iniquité fiscale, en particulier «l’uniformisation du taux de cotisation minimal fixé à 0,50% pour tout le monde». Ces derniers avancent plusieurs raisons qui rendent difficile voire impossible l’application d’un tel taux à l’activité artisanale. Outre l’absence de facture et la rareté de la matière première, pour faire une marge de 200.000 DH, un bijoutier doit réaliser en moyenne un chiffre d’affaires de 4 MDH. Dans ces conditions, il est très difficile d’appliquer aux artisans le barème de la cotisation minimale, explique Majid Lahrichi. Il appelle de ses vœux la mise en place d’une fiscalité particulière pour les bijoutiers. En plus d’une réforme fiscale plus adaptée à l’activité de la joaillerie, les bijoutiers sollicitent, dans la foulée, la signature d’un contrat-programme avec les ministères de l’Industrie, du commerce, de l’économie verte et numérique, de l’Économie et des finances, de l’Énergie, des mines, de l’eau et de l’environnement, de l’Éducation nationale et l’enseignement supérieur, ainsi que du Tourisme et de l’artisanat. Pour rappel, les bijoutiers ont finalisé en janvier 2020 une étude stratégique qui a abouti à un contrat-programme, en collaboration avec le département du Tourisme. Si ce document venait à être signé, le secteur de la bijouterie-joaillerie, qui réalise aujourd’hui un chiffre d’affaires de 3 MMDH, pourrait mettre à profit un potentiel de 20 MMDH de chiffre d’affaires pour le seul export, estiment les acteurs, lesquels emploient entre 8.000 et 12.000 Marocains. «Avec un contrat-programme digne de ce nom, nous pourrions également créer 40.000 emplois directs et indirects», estime Lahrichi. Reste à prendre en compte la rareté de la matière première. 

Khadim Mbaye / Les Inspirations Éco



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