Nouvelle diplomatie britannique en Afrique : comment le Maroc tire son épingle du jeu

Face à la réorientation stratégique du Royaume-Uni en Afrique, privilégiant le partenariat sur l’aide, le Maroc émerge comme un acteur clé, capitalisant habilement sur ses atouts de stabilité, de leadership régional et son positionnement économique pour consolider ses acquis diplomatiques et attirer des investissements massifs.
L’entretien entre Mo Ibrahim, fondateur et président de la fondation Mo Ibrahim, et David Lammy, secrétaire d’État britannique aux Affaires étrangères, a été l’un des moments fort de l’Ibrahim Governance Weekend (IGW) de juin 2025, qui vient de fermer ses portes. Il offre un éclairage précieux sur la réorientation de la politique africaine du Royaume-Uni. Le Maroc y apparaît comme un partenaire pivot de cette nouvelle approche, tirant habilement son épingle du jeu géopolitique et économique. Que faut-il en retenir ?
Reconnaissance diplomatique et positionnement stratégique
David Lammy n’a pas manqué de signaler l’importance accordée au Maroc dans son agenda africain, le citant explicitement parmi ses prochaines destinations prioritaires, aux côtés de l’Afrique du Sud, du Nigeria et de la Tunisie : «D’ici un mois, je reviendrai sur le continent. En Afrique du Sud, au Nigeria, en Tunisie, et même au Maroc. Cela est important pour moi. Et même le Maroc, qui a signé 11 protocoles d’accord qui ont tous un lien avec l’investissement».
Cette mention n’est pas anodine. Elle souligne la place clé que le Maroc occupe dans la stratégie britannique de «refaçonnage» de ses relations avec l’Afrique, passant, comme le souligne Lammy, d’un modèle paternaliste à un partenariat.
Quelques jours plus tôt, soit le 1er juin, le communiqué conjoint «Dialogue Stratégique 2025», publié à l’issue de la visite de Lammy à Rabat, cristallise cette reconnaissance. Le Royaume-Uni y apporte un soutien diplomatique crucial au Maroc sur le dossier du Sahara, qualifiant le plan d’autonomie marocain de 2007 de «base la plus crédible, viable et pragmatique pour une résolution durable du différend».
Cette position, émanant d’un membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU, constitue une victoire diplomatique majeure pour le Maroc. Elle dépasse la simple affirmation d’un processus politique, en identifiant clairement la proposition marocaine comme la solution privilégiée. Londres s’engage même à agir «bilatéralement, y compris économiquement, en ligne avec cette position», offrant au Maroc un levier supplémentaire significatif.
Levier économique et investissements concrets
Au-delà de la diplomatie, le partenariat se nourrit d’une dynamique économique tangible. Les 11 protocoles d’accord signés, mis en avant par Lammy, couvrent des secteurs vitaux pour le développement marocain et alignés sur ses priorités nationales (Nouveau Modèle de Développement, Initiative Royale pour l’Accès des pays du Sahel à l’Atlantique) : UK Export Finance (UKEF), l’agence de crédit à l’exportation du gouvernement britannique, engage un portefeuille colossal de 5 milliards de livres sterling pour soutenir les projets au Maroc, une manne potentielle pour les infrastructures critiques; Un MOU avec TAQA Morocco vise à soutenir la transition vers une production d’électricité bas-carbone, en accord avec la stratégie énergétique marocaine, via un accès facilité à des financements compétitifs et innovants; une collaboration renforcée sur l’eau (MOU avec le ministère de l’Équipement et de l’Eau pour une gestion durable et les technologies portuaires vertes) et les ports, ainsi que sur les projets liés à la Coupe du monde 2030 (partenariat gouvernemental pour les infrastructures critiques).
A cela s’ajoutent le soutien britannique au projet marocain de couverture santé universelle via des accords sur l’équipement médical, la conception hospitalière et la formation; la reconnaissance automatique des diplômes britanniques au Maroc et l’encouragement aux implantations universitaires britanniques; ainsi que le renforcement de la coopération maritime (deux nations atlantiques) et industrielle dans la défense, avec des MOUs impliquant BAE Systems et l’Agence marocaine pour le développement des investissements et des exportations (AMDIE).
Une approche qui répond directement aux attentes exprimées par les acteurs africains lors des consultations britanniques, résumées par Lammy à l’IGW : «Ce que les ONG disent, c’est qu’ils ne veulent plus que nous soyons simplement des donneurs. Mais que la Grande-Bretagne investisse». Le partenariat avec le Maroc incarne ce virage vers l’investissement et le commerce.
Capitalisation sur les atouts et image de marque
Le Maroc tire également parti de ses atouts perçus. À commencer par sa stabilité et son leadership. Le communiqué conjoint «Dialogue Stratégique 2025», publié à l’issue de la visite de Lammy à Rabat, salue à plusieurs reprises le leadership du Roi Mohammed VI et les réformes engagées, présentant le Maroc comme un partenaire «crédible et de confiance», un «acteur clé» de la sécurité régionale et une «passerelle clé» vers le développement africain.
Lors de l’entretien avec Mo Ibrahim, Lammy a souligné l’importance des transferts de fonds de la diaspora, notant que «le Maroc figure d’ailleurs parmi les pays où l’on envoie le plus d’argent en Afrique». Une reconnaissance indirecte de la vitalité économique de la diaspora marocaine qui renforce l’image d’un pays connecté.
Pour ce qui est du positionnement régional, le Royaume-Uni soutient explicitement les initiatives royales pour l’intégration africaine et la stabilité au Sahel, validant le rôle régional que le Maroc cherche à jouer.
Enjeux persistants et défis de perception
L’entretien Ibrahim-Lammy soulève cependant des défis sous-jacents qui concernent aussi le Maroc. Sur le volet de la transparence financière, la discussion animée sur les flux financiers illicites et les paradis fiscaux rappelle la pression internationale croissante sur la transparence des bénéficiaires effectifs. Toute économie, y compris le Maroc, intégrant des flux financiers importants est concernée par cet agenda.
Sur le volet de l’aide au développement, la réduction drastique de l’aide britannique (de 0,7% à 0,3% de son revenu national brut (RNB), bien que compensée en partie par une orientation vers l’investissement, reste un signal négatif pour les pays africains dépendant davantage de l’aide.
Le Maroc, bénéficiaire d’une coopération plus ciblée (santé, eau), semble moins directement impacté mais n’est pas totalement isolé des tendances globales. Pour ce qui est de la politique britannique des visas, la critique sévère de Mo Ibrahim sur le système de visas britannique, «le plus cher du monde» et «ternissant l’image» du pays, constitue un frein aux échanges humains et économiques.
Le communiqué conjoint «Dialogue Stratégique 2025» mentionne une volonté d’amélioration, mais sa concrétisation sera scrutée, notamment pour faciliter la mobilité des étudiants, hommes d’affaires et professionnels marocains essentiels aux partenariats noués.
Un partenariat gagnant-gagnant en construction
Disons que l’entretien Ibrahim-Lammy et le communiqué stratégique Maroc-Royaume-Uni dépeignent un Maroc habile à capitaliser sur le repositionnement britannique en Afrique. En obtenant une reconnaissance diplomatique cruciale sur le Sahara, en attirant des engagements d’investissement massifs et ciblés dans des secteurs prioritaires, et en se positionnant comme un partenaire stable et leader régional, le Maroc consolide sa place sur l’échiquier international.
Toutefois, ce partenariat prometteur devra composer avec les défis globaux de la transparence financière, du déclin relatif de l’aide traditionnelle au développement et des obstacles pratiques aux échanges humains.
Le succès résidera dans la transformation effective des protocoles signés et des déclarations d’intention en réalisations concrètes et mutuellement bénéfiques, faisant du Maroc un modèle de la nouvelle approche de partenariat recherchée par Londres. Comme le résume David Lammy définissant l’ambition britannique : «Oui, la Grande-Bretagne a refait surface en Afrique dans le domaine du partenariat, et non plus dans le paternalisme». Le Maroc s’affirme comme l’un des premiers et plus importants bénéficiaires de cette réorientation stratégique.
Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO