Maroc

Nantissements immobiliers et frais de conservation foncière : un tournant fiscal pour l’immobilier d’investissement

Dans un contexte de rigueur fiscale accrue, le Maroc redéfinit les règles du jeu pour l’immobilier d’investissement. Les frais de conservation foncière s’appliquent désormais aux nantissements garantissant la TVA. Décryptage des impacts financiers et sectoriels du décret sur les fonds d’investissement.

La décision récente de l’Agence nationale de la conservation foncière (ANCFCC) de soumettre les contrats de nantissement garantissant la TVA des fonds d’investissement aux frais de conservation foncière marque un changement de paradigme pour un certain nombre d’acteurs économiques. Selon un analyste, «cette mesure sonne le glas d’un dispositif fiscal avantageux pour les jeunes entreprises, avec des répercussions en cascade sur leur trésorerie». Analysons les mécanismes et les enjeux de cette réforme.

Entre rigueur procédurale et absence d’exonération
Le décret n°2.16.375 constitue le socle légal de cette décision. Il uniformise le recouvrement des frais de conservation foncière (FCF), fixés à 1% de la valeur des droits + 200 DH. L’ANCFCC souligne que toute exonération doit être «explicitement prévue par un texte législatif», ce qui n’est pas le cas des nantissements liés à la TVA.

La circulaire n°2024 de l’ANCFCC trouve son ancrage juridique dans une interprétation rigoureuse de l’article 92-7-6 du Code général des impôts (CGI), qui définit les conditions d’exonération de la TVA pour les acquisitions ou importations liées aux fonds d’investissement.

Ce texte subordonne l’octroi de l’exonération à la fourniture de garanties substantielles, notamment immobilières, afin de sécuriser le recouvrement de la taxe en cas de manquement aux obligations légales liées à l’exonération.

Entre autres exemples, le non-respect des critères d’éligibilité, la cessation anticipée d’activité, ou le défaut de réalisation des investissements promis. Cette disposition est complétée par l’article 123-22A du CGI, modifié par l’article 6 de la Loi de finances 2024, qui renforce le mécanisme de garantie en exigeant un nantissement immobilier titré au profit de l’État.

Le législateur marocain, en alignant ces articles, établit un principe de conditionnalité stricte : l’exonération fiscale n’est plus un droit automatique, mais un privilège accordé sous réserve d’une contrepartie tangible. En l’absence de mention expresse d’une exemption des frais de conservation foncière dans ces textes, l’ANCFCC en déduit une obligation de paiement intégral, consolidant ainsi une approche normative où «toute dérogation doit être écrite, non présumée» selon les termes de la circulaire.

Ce couplage entre exonération conditionnelle et fiscalité procédurale illustre une volonté de cohérence juridique, mais aussi de sécurisation du rendement fiscal, en éliminant les zones d’ambiguïté exploitables par le passé. Autant dire que le législateur marocain renforce la sécurité juridique, mais alourdit le coût de l’investissement. Une interprétation restrictive qui ferme la porte à une pratique antérieure où certains conservateurs exonéraient ces contrats.

Un coup dur pour les jeunes entreprises et les fonds
Les effets immédiats de cette réforme se cristallisent autour de trois axes majeurs. Sur le plan financier, les sociétés nouvellement créées subissent un choc de trésorerie direct : elles doivent désormais provisionner entre 1,5% et 2% de frais supplémentaires (incluant FCF et honoraires notariaux) sur leurs opérations immobilières.

Pour un investissement moyen de 5 MDH, cette charge représente 75.000 à 100.000 DH non déductibles, grevant d’autant leur capacité d’autofinancement et limitant leur recours au levier fiscal. Cette pression financière affecte de manière disproportionnée un secteur clé identifié par le Rapport AMIC 2023. Le segment BTP, déjà fragilisé par l’inflation des coûts matières, subira un effet de seuil sur les projets dépassant
10 MDH, pour lesquels les frais de conservation foncière deviendront un critère d’arbitrage décisif.

Parallèlement, cette fragilité sectorielle alimente des risques systémiques. Les levées de fonds, projetées par l’AMIC, pourraient ralentir sous l’effet combiné de la défiance des investisseurs (28% des gestionnaires signalent déjà des difficultés) et de la complexification des sorties.

Les désinvestissements, qui ont généré 1,012 MMDH en 2023, risquent de reculer face à un TRI moyen plafonnant à 12% – seuil critique pour attirer les fonds internationaux. Une dynamique qui crée un cercle vicieux : la baisse des valorisations réduit l’attractivité du marché, tandis que les coûts de garantie alourdissent le bilan des PME innovantes, principales pourvoyeuses de croissance dans l’écosystème marocain.

Entre incompréhension et adaptation
La réforme provoque des réactions contrastées parmi les parties prenantes. «Cette mesure crée une asymétrie entre le Maroc et d’autres juridictions africaines où les garanties fiscales restent exonérées», déplore un gestionnaire de fonds anonyme, reflétant l’inquiétude des investisseurs institutionnels. Les fonds transrégionaux, responsables de 78% des levées de capitaux en 2023, pourraient réorienter leurs flux vers des pays comme la Côte d’Ivoire ou le Rwanda, où les coûts de garantie restent marginaux.

Parallèlement, les conservateurs et notaires marocains naviguent entre deux logiques : l’application stricte du Guide des valeurs commerciales de l’ANCFCC – perçue par certains comme une «rigidité administrative» – et sa défense comme outil anti-évasion, réduisant l’écart entre valeurs déclarées et valeurs réelles de 30% à 40% selon les régions.

Côté entrepreneurs, une PME technologique résume le sentiment général : «Ces frais annulent l’avantage de l’exonération de TVA. On paie désormais pour une garantie sociale de l’État».

Cette perception d’un «double paiement» (exonération conditionnelle + FCF) pourrait inciter des startups à revoir leur modèle de financement, privilégiant désormais les prêts bancaires classiques aux montages fiscaux complexes.

L’équilibre délicat entre rigueur fiscale et attractivité territoriale
Le défi central de cette réforme réside dans son articulation avec la stratégie économique nationale. D’un côté, comme indiqué plus haut, l’ANCFCC renforce la collecte des frais de conservation foncière et des taxes, ce qui pourrait impliquer une volonté d’augmenter les recettes dans ce domaine.

La circulaire diffusée par le conservateur général souligne l’importance de respecter les obligations de paiement des frais de conservation foncière, ce qui pourrait également contribuer à une augmentation des recettes.

Partant de ces éléments, l’on pourrait aisément dire que l’ANCFCC projette d’accroître ses recettes issues des frais de conservation foncière en 2025. Un enjeu crucial dans un contexte où un nombre relativement important des litiges fonciers concerne des écarts de valorisation.

D’un autre côté, cette quête de transparence se heurte à la réalité géoéconomique du pays : avec 79% des investissements concentrés à Casablanca-Settat (chiffre AMIC 2023), le Maroc risque un effritement de son attractivité face à des concurrents régionaux comme l’Égypte ou le Kenya, où les coûts de garantie restent indexés sur des barèmes modulables.

Un test pour la résilience de l’écosystème

Cette réforme illustre la tension entre normalisation juridique et agilité économique. Si elle renforce la crédibilité du cadre foncier marocain, elle impose un recalibrage des stratégies d’investissement. Les acteurs devront intégrer ces coûts dans leurs modèles financiers, sous peine de voir leur TRI s’éroder davantage. Dans un contexte où 26% des gestionnaires peinent déjà à trouver des sorties rentables, l’innovation fiscale devient un impératif, et non plus une option.

Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO



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