Mohammed Chiguer : “Les Marocains peinent de plus en plus à épargner convenablement”

Mohammed Chiguer
Économiste et président du Centre d’études et de recherches Aziz Belal (CERAB)
Dégradation du niveau de vie, hausse du taux de chômage, hausse des prix des produits alimentaires, faible capacité à épargner…, autant de constats relevés par le Haut-commissariat au plan (HCP) dans sa dernière enquête de conjoncture auprès des ménages portant sur le premier trimestre 2025. Décryptage.
Dans sa dernière note de conjoncture, le HCP révèle une dégradation du niveau de vie des ménages. Votre lecture ?
Nous avons constaté depuis plusieurs mois cette dégradation du niveau de vie des ménages à cause du taux d’inflation qui a été, un moment, très élevé. Actuellement, ce taux s’élève à 2% mais les prix des produits alimentaires demeurent rigides et on n’a pas encore retrouvé la situation d’avant-Covid.
L’exemple le plus parlant, c’est le prix de la viande qui reste très élevé malgré les subventions annoncées par le gouvernement. Le Haut-commissariat au plan n’a fait donc fait que confirmer cette situation. Le niveau de pessimisme des ménages pour les douze prochains mois reflète leur manque de confiance à l’égard de la politique gouvernementale.
Plus de 42% des ménages déclarent s’endetter ou puiser dans leur épargne pour gérer leurs dépenses…
L’endettement est devenu une caractéristique des Marocains depuis plusieurs années. Ils s’endettent de plus en plus pour combler l’insuffisance de leur pouvoir d’achat. Ce phénomène a été encouragé pour dynamiser l’économie mais, à long terme, cela affecte de nombreux consommateurs, contraints de se priver de certains loisirs et d’autres dépenses afin de respecter leurs engagements envers les établissements de crédit. Les Marocains peinent de plus en plus à épargner convenablement, et cela pousse le Trésor à recourir à l’endettement externe.
Cette situation n’est que la conséquence de la dégradation du pouvoir d’achat couplée à la hausse des dépenses pour les ménages, notamment les frais de scolarité des enfants, qui représentent un pourcentage important dans leur portefeuille.
D’où le souhait d’une augmentation générale des salaires formulé par les syndicats lors du présent dialogue social, afin de soulager les familles. Mais il est important de préciser qu’il ne suffit pas d’augmenter les salaires pour améliorer le pouvoir d’achat des consommateurs. Un meilleur contrôle des prix, le renforcement des mécanismes de régulation et les incitations fiscales, sont aussi autant de leviers à activer pour y arriver.
La majeure partie des ménages s’attendent à une hausse du taux de chômage cette année. Comment résoudre cette équation complexe ?
Notre centre va émettre une publication, au cours des prochaines semaines, sur le chômage au Maroc. Ce n’est pas l’entreprise qui va résoudre ce problème, mais plutôt une volonté politique.
Justement, comment créer plus d’emplois ?
Il faudrait, notamment, réorganiser et accompagner le secteur informel pour qu’il puisse créer de nouveaux emplois, à travers une approche territoriale parce que chaque région a ses propres spécificités. Les autoentrepreneurs doivent aussi être mieux accompagnés. L’État doit également encourager les entreprises à améliorer leur taux d’encadrement qui reste très faible au Maroc, en augmentant le recrutement de cadres diplômés.
Elimane Sembène / Les Inspirations ÉCO