Mendicité : les solutions du CESE pour ne plus tendre la main
La lutte contre la mendicité représente un défi complexe qui exige une approche polyvalente, englobant à la fois des mesures préventives, sociales et répressives. Pour parvenir à éliminer ce fléau, il est impératif que les autorités publiques coordonnent leurs actions, mobilisent des ressources adéquates et mettent en œuvre des politiques inclusives visant à traiter les racines profondes de la pauvreté et de la vulnérabilité sociale. Dans ce cadre, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a formulé plusieurs recommandations.
La présence de la mendicité persistante représente une réalité sombre et préoccupante. Alors que le pays s’efforce de bâtir un avenir meilleur pour sa jeunesse, ce phénomène entache l’image du pays.
En chiffres
En 2022, les données du Ministère public révèlent un sombre bilan : 127 affaires ont été enregistrées, impliquant 131 individus poursuivis, apprend-on lors d’une conférence organisé par le CESE pour présenter son avis sur le phénomène de la mendicité.
Parmi les victimes se trouvent 154 enfants, dont 78 garçons et 76 filles. Ces chiffres dépeignent une réalité où chaque nombre représente une histoire brisée, un destin bouleversé. Ils rappellent l’urgence d’agir pour protéger les plus vulnérables et poursuivre ceux qui violent leur innocence et leur dignité. Les raisons qui conduisent à la mendicité sont diverses et complexes, comme le révèlent les données recueillies lors d’enquêtes régionales et nationales.
En effet, l’enquête régionale de 2003 pointe en premier lieu la pauvreté comme principal moteur de la mendicité. De même, l’enquête nationale de 2007 révèle une série de facteurs contribuant à ce phénomène, parmi lesquels la pauvreté représente une part prépondérante avec 51,8%. Cependant, d’autres éléments tels que le handicap (12,7%), la maladie (10,8%), ou encore le fait d’être contraint à mendier (4,70%), jouent également un rôle significatif.
Par ailleurs, une enquête régionale menée en 2003 dans la Wilaya de Rabat-Salé-Skhirat-Témara, par la Ligue pour la protection de l’enfance et le ministère de la Santé, a révélé un échantillon de 792 individus, estimant le nombre de mendiants à 500.000 à l’échelle nationale. Cette étude a été suivie par une enquête nationale en 2007, qui a porté sur 3.400 individus répartis sur plusieurs régions, estimant le nombre de mendiants à 195.950 à l’échelle nationale. Cependant, ces chiffres ne reflètent pas entièrement l’ampleur du phénomène, laissant ainsi un voile d’incertitude sur la situation réelle.
Ce que dit la loi
Depuis l’avènement du code pénal marocain en 1963, la question de la mendicité et du vagabondage a été au cœur des débats législatifs. Toutefois, les articles 326 à 333 de ce code, qui traitent de ces pratiques, suscitent aujourd’hui des interrogations cruciales quant à leur pertinence et à leur conformité aux normes des droits de l’homme.
L’article 326, en particulier, criminalise la mendicité habituelle pour ceux qui ont des moyens de subsistance ou qui pourraient les obtenir par le travail ou d’autres moyens licites. Mais cette disposition soulève des problèmes fondamentaux. Quelle est la définition actuelle de la subsistance et des besoins, et comment peut-on juger objectivement de la capacité d’une personne à travailler ? Ces questions essentielles remettent en cause la validité et l’équité de l’article 326.
De plus, la législation marocaine traite la mendicité impliquant des enfants de manière alarmante. Les articles 331 et 327 assimilent la mendicité à des actes criminels, sans tenir compte des circonstances sociales souvent désespérées dans lesquelles ces enfants se trouvent. L’association de la mendicité à des crimes et délits mineurs, tels que le port d’armes ou la simulation d’infirmités, reflète une approche punitive plutôt que préventive de la question. En outre, la législation actuelle manque de cohérence dans le traitement de l’exploitation des enfants dans la mendicité. Les dispositions relatives à cette exploitation varient selon l’âge de l’enfant et la relation avec l’exploiteur, ce qui crée des failles dans la protection des droits des enfants.
Recommandations
Le CESE a formulé des recommandations pour contrer le phénomène de la mendicité sur le territoire national. Ces directives couvrent un large éventail d’aspects, depuis la protection des enfants jusqu’à la réintégration des individus en situation de mendicité, en passant par la prévention et l’évaluation des politiques mises en place.
Pour commencer, le conseil préconise l’élimination totale de la mendicité des enfants en renforçant les Unités de protection de l’enfance (UPE) à travers le territoire national et en intensifiant la répression contre les exploitants et trafiquants d’enfants. Ensuite, il insiste sur la nécessité de protéger les personnes vulnérables contre l’exploitation dans la mendicité, tout en mettant en place des mécanismes de réhabilitation et de réinsertion pour les personnes en situation de mendicité, notamment en révisant le cadre juridique pour mettre fin à la pénalisation de cette pratique.
De plus, le CESE recommande le développement d’alternatives à la mendicité en encourageant la création d’activités génératrices de revenus, conformément à ses avis antérieurs sur la résorption de l’économie informelle et l’intégration sociale des marchands ambulants.
Pour prévenir la mendicité, il préconise des mesures visant à renforcer la résilience socio-économique des ménages, notamment en réduisant le chômage, en luttant contre la pauvreté et les inégalités sociales, et en améliorant l’accès aux soins, à l’éducation et à l’emploi. Enfin, le CESE souligne l’importance de mettre en place des mécanismes efficaces de suivi et d’évaluation pour garantir la mise en œuvre et l’efficacité des politiques adoptées, tout en insistant sur la promotion du travail décent et de la justice sociale dans toutes les politiques économiques et fiscales.
Kenza Aziouzi / Les Inspirations ÉCO