Maroc-UE : relifting des règles d’origine
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Depuis le 1er janvier, les exportations marocaines sont soumises aux nouvelles règles d’origine qui s’appliquent à toute la zone paneuro-méditerranéenne, un espace qui comprend l’UE et les pays signataires de la Déclaration de Barcelone. Au cœur de ce réaménagement, le cumul diagonal, qui bouscule la notion de nationalité économique de produits. Pour le Maroc, il s’agit d’une opportunité de monter sur la chaîne de valeur et des nouveaux débouchés pour son industrie du textile-habillement. Reste à transformer l’essai.
Le Maroc réalisant près de 2/3 (63,2%) de son commerce extérieur avec l’Europe dont 86,5% de ce quota avec l’Union européenne, l’enjeu du cumul diagonal des règles d’origine est surtout de long terme, notamment pour quelques poids lourds à l’export.
Pour l’industrie textile-habillement par exemple, ce réaménagement est une opportunité sous réserve de développer un vrai sourcing local. De contrats-programmes aux plans stratégiques, le développement de l’amont pour secteur est resté un sujet de colloques et de tables rondes.
Pourtant, l’accord de libre-échange avec la Turquie avait été présenté comme un levier d’accélération de l’amont de l’industrie du textile. Les importations provenant de la Turquie dans le cadre de l’ALE se sont établies à 24,9 milliards de DH en 2023, en retrait de 8%.
Un cumul problématique
L’espace paneuro-méditerranéen est un immense marché qui comprend en effet l’Union européenne, la Turquie, les pays membres de l’Association européenne de libre-échange (Islande, Liechtenstein, Norvège et Suisse), les Îles Féroé et les pays signataires de la Déclaration de Barcelone (ndlr : l’Égypte, Israël, la Jordanie, le Liban, le Maroc, la Syrie, la Tunisie, la Palestine et l’Algérie).
L’objectif de ce qui fut une ambition politique du début de la première moitié des années 2000 au sud de la Méditerranée est de «favoriser l’intégration économique de tous les pays partenaires grâce aux échanges commerciaux» en reconnaissant les mêmes règles d’origine que celles prévues dans les accords de libre-échange bilatéraux les liant entre eux. L’idée est de décliner la règle du cumul diagonal dans les échanges commerciaux.
Dans le schéma d’un ALE, une marchandise peut bénéficier de droits de douane réduits ou nuls à l’importation, sous réserve qu’elle respecte les règles d’origine prévues dans l’accord assorties d’une preuve. Le cumul d’origine, qui s’applique depuis le 1er janvier 2025, permet de considérer les matières utilisées dans la fabrication d’une marchandise et originaires d’un pays de l’espace paneuro-méditerranéen, comme originaires du pays où a lieu cette utilisation. Trois types de cumul sont prévus dans la convention : le cumul bilatéral présent dans tous les accords préférentiels conclus par l’Union européenne concerne uniquement les échanges entre les deux pays contractants.
Dans le cadre du cumul bilatéral, les matières originaires de la partie A, et qui font l’objet d’une transformation dans l’autre partie B, sont considérées comme originaires de cette autre partie B lorsque le produit fini est destiné à l’exportation vers la première partie A.
En d’autres termes, puisque ces matières ne sont plus considérées comme des matières tierces, elles ne sont plus soumises à l’obligation d’une transformation suffisante.
Au minimum trois pays dans la «géométrie variable»
Le cumul diagonal signifie que les matières ayant obtenu le caractère originaire dans l’un des pays du système (pays fournisseur) peuvent être transformés dans un deuxième pays (pays de transformation) et y acquérir l’origine préférentielle de ce deuxième pays pour l’exportation vers un troisième pays (pays de destination), à condition que la transformation réalisée dans le deuxième pays aille au-delà d’une opération insuffisante telle que prévue par le protocole origine. Le cumul diagonal s’applique donc à au moins trois pays membres de la zone économique.
Dans la zone paneuro-méditerranéenne, le cumul diagonal n’est possible qu’entre les pays partenaires qui appliquent entre eux des règles d’origine identiques. Il fonctionne selon le principe dit de la «géométrie variable» puisque tous les pays de la zone n’ont pas encore inclus dans leurs accords bilatéraux de protocole origine de type paneuro-méditerranéen.
Prenons l’exemple du tissu originaire de l’UE importé par une entreprise marocaine pour la confection de costumes. La doublure utilisée à partir de fibre synthétique provient de Norvège. La dernière ouvraison ou transformation étant effectuée au Maroc, cela confère l’origine marocaine aux costumes.
Ceux-ci peuvent donc être exportés dans d’autres pays de la zone paneuropéenne avec lesquels le cumul est applicable. S’il n’y a pas d’accord de libre-échange avec les règles d’origine paneuro-méditerranéennes entre le Maroc et la Norvège, la géométrie variable implique que la doublure norvégienne doit être considérée comme non originaire et que, par conséquent, les costumes n’acquièrent pas de caractère originaire.
La mécanique de la règle du cumul
En règle générale, l’origine d’un produit fini est déterminée par la dernière ouvraison ou transformation. Si, dans le pays de production finale, les matières originaires d’un ou plusieurs pays ne subissent pas d’opérations d’ouvraison ou de transformation allant au-delà d’une opération minimale, l’origine du produit final est attribuée au pays qui a contribué pour la valeur la plus élevée.
Pour ce faire, la valeur ajoutée dans le pays de production finale – y compris la valeur des matières non originaires qui ont subi des transformations suffisantes – est comparée avec la valeur des matières originaires de chacun des autres pays. Si aucune ouvraison ou transformation n’est effectuée dans le pays d’exportation, les matières ou produits conservent tout simplement leur origine s’ils sont exportés dans un des pays concernés.
Abashi Shamamba / Les Inspirations ÉCO