Maroc

Lutte contre l’informel : faut-il supprimer la TVA ?

Selon les résultats de l’étude sur «Le secteur informel au Maroc: principales caractéristiques et tendances d’évolution» que vient de publier le HCP, «la TVA est la principale composante qui influence le secteur informel». Suffit-il de la supprimer pour que l’informel disparaisse ? Réponses d’un fiscaliste et d’un économiste.

Faut-il supprimer la TVA pour éradiquer l’informel au Maroc? La question dérive d’une enquête, intitulée «Le secteur informel au Maroc: principales caractéristiques et tendances d’évolution», que vient de mener le Haut commissariat au plan (HCP). Une étude qui est tombée après les hautes instructions du souverain visant à ce que le drame de Tanger, qui a causé près d’une trentaine de pertes de vies humaines parmi les ouvriers d’une usine informelle de textile, ne se reproduise plus. Selon ses résultats, «la TVA est la principale composante qui influence le secteur informel». «Les chefs d’unités de production informelles (UPI) s’approvisionnent en amont auprès de fournisseurs qui eux-mêmes sous-déclarent ou travaillent dans l’informel. Ce qui leur permet d’acheter sans facture réglementée et donc d’échapper à la facturation en mode TVA», est-il souligné. Dès lors, peut-on se demander s’il suffit de supprimer la TVA pour que l’informel disparaisse ?

Pas seulement la TVA…
«Non. Le constat incriminant uniquement la TVA est réducteur. La lutte contre le secteur informel reste subordonnée à d’autres dimensions», répond d’emblée Mohamadi Rachdi El Yacoubi, président du Cercle des fiscalistes du Maroc (CFM). Selon lui, des solutions doivent être élaborées et mise en œuvre dans les domaines de «l’accessibilité au financement, la couverture sociale, la mise en place de formations adaptées ainsi que la réduction des coûts bureaucratiques et charges administratives». Abondant dans le même sens, l’économiste Najib Saoumai, qui était l’invité mardi de l’émission du Policy Center for the New South (PCNS), a expliqué que «pour stimuler le passage vers le formel, il faut instaurer des mécanismes fiscaux flexibles et maintenir les exonérations fiscales». Citant l’exemple de la sous-traitance, l’expert a souligné que «dans ce système où les grandes entreprises font souvent appel à des unités informelles pour réduire leurs coûts, il serait préférable d’instituer une taxe sur la valeur ajoutée dédiée, ce qui contribuerait largement à l’amélioration des recettes fiscales».

…Mais aussi plusieurs autres recommandations…
Saoumai propose, en outre, quatre pistes pour lutter contre le fléau de l’informel. Dans la première, il appelle «les collectivités territoriales à aménager des zones de production conformes aux mesures sanitaires et sécuritaires, en dehors des villes, avec un accès facilité via le système de transport». Ensuite, il recommande de «créer des incubateurs dédiés à l’orientation des opérateurs du secteur informel». Troisièmement, il déclare qu’«un accès privilégié des opérateurs informels à la commande publique peut aussi les inciter davantage à intégrer le secteur formel». Et d’ajouter que «la promotion du paiement mobile et la limitation du cash sont des facteurs importants de lutte contre l’informel. Des études ont, en effet, révélé une corrélation entre le paiement électronique et la croissance du PIB, et prouvé sa pertinence face au fléau de l’informel, d’où la nécessité de construire une forte culture financière électronique». Au chapitre des recettes pour lutter contre l’informel, il y a aussi les recommandations de la CGEM, qui a distingué deux catégories de ce phénomène: le petit informel et le grand informel. Selon le patronat, il faut intégrer le premier et éradiquer l’autre. Pour intégrer ce qu’elle a appelé le petit informel, la confédération patronale préconise de travailler sur deux axes. D’abord, l’élargissement de la couverture de l’AMO aux TNS (3 millions de bénéficiaires, 10 millions d’ayants droit). Ensuite, sur l’inclusion financière, avec le déploiement du mobile payment, la refonte du statut de la micro-finance pour en faire un levier plus fort d’inclusion, le développement d’outils de financement des TPE et des particuliers, la dématérialisation des paiements et le renforcement de l’éducation financière. Concernant le grand informel, à faire disparaître, la CGEM a listé cinq mesures. La première, c’est d’identifier et de supprimer les sources de rente. La seconde, renforcer l’action douanière au niveau des frontières pour supprimer la contrebande. La troisième mesure, lutter contre la corruption à travers la dématérialisation des échanges avec l’administration. Quatrième mesure: instituer la pénalisation des fausses factures. Et cinquième mesure, accompagner les unités de production informelle (UPI) dans l’intégration de l’économie formelle, notamment en créant un cadre réglementaire spécifique et incitatif pour les UPI (appui à l’accès au marché et renforcement des capacités). Par ailleurs, l’étude du HCP a aussi émis une recommandation pour lutter contre l’informel. Selon ses auteurs, la crise sanitaire actuelle a mis en exergue les vulnérabilités du secteur informel et l’importance des aides publiques à déployer pour soutenir le pouvoir d’achat de ses effectifs employés.

…Dont une stratégie nationale dédiée aux activités informelles
Pour renforcer la résilience de ce secteur et améliorer sa performance économique, «une stratégie nationale dédiée aux activités informelles reposant sur une approche intégrée et cohérente est indispensable». Cette stratégie doit tenir compte de plusieurs dimensions dont notamment l’accès au financement et au marché, la formation, la sécurité sociale, la réforme du dispositif fiscal, notamment celui qui concerne le mécanisme de la TVA, et l’amélioration de la gouvernance, surtout en matière d’allègement et d’adaptation de la réglementation en vigueur. Sinon, pour revenir aux résultats de l’étude, ils n’ont pratiquement rien apporté de nouveau. En effet, ses conclusions rappellent que l’informel est attribuable à la faible inclusion financière des UPI et au manque de liquidité, «principal handicap» pour ces unités caractérisées par leur fragilité et l’irrégularité de leurs recettes financières. Selon les auteurs de l’étude, les ajustements du SMIG influencent également l’activité informelle. Une augmentation du SMIG contraint souvent les entreprises, en l’occurrence les TPE et les PME, dont les charges salariales pèsent lourdement sur le résultat net, à réduire leurs effectifs ou à ne pas les déclarer. Ainsi, en l’absence de mesures d’accompagnement, le passage à l’informalité se trouve favorisée par le chômage causé par une hausse soutenue du SMIG. L’étude fait ressortir également que les réglementations contraignantes comme les textes de lois, les documents à fournir et les multiples formalités à remplir pour la création d’une petite entreprise sont considérées comme coûteuses en temps ou en argent et complexes au regard du niveau d’éducation des chefs d’UPI. Ceci sans oublier l’effet «revenu global» qui affecte également le développement des UPI, notamment le taux de croissance du revenu national brut (RNB) par habitant, parce que des écarts importants entre les taux d’informalité par niveau de revenu des pays sont généralement constatés. Selon le HCP, cette corrélation donne à penser que les facteurs qui aident à réduire la dimension de l’économie informelle peuvent aussi contribuer à l’amélioration des conditions de vie et du revenu disponible dans les pays en développement.

Aziz Diouf / Les Inspirations Éco



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