Maroc

Lutte contre la corruption. Bientôt un code de déontologie pour les agents de l’État

Ce code sera opérationnel dans les jours ou semaines à venir. Un vrai pas en avant qui permettra d’installer un déontologue au sein de chaque ministère, mais aussi de bien tracer les lignes qui séparent une transaction financière ou autre de l’acte de corruption.

Après avoir gagné 8 places dans le classement mondial de la perception de la corruption en 2018, le Maroc en a perdu 7 en 2019. Pourquoi cette chute ?
D’abord, je m’intéresserai à la notation plus qu’au classement. Plus vous vous rapprochez de 100, moins vous souffrez de la corruption. La moyenne mondiale est de 43 sur 100. En 2015, nous étions à 37 sur 100, et si je vais encore plus loin, en 2011, le Maroc était noté 34 seulement. À l’époque, la stratégie n’avait pas encore été mise en œuvre. Avec l’arrivée du nouveau chef de gouvernement, le temps de mettre en place la Commission nationale de lutte contre la corruption, ce n’est qu’en 2017 que l’on a commencé véritablement à mettre en exécution la stratégie qui adopte les meilleurs standards internationaux. C’est la première fois que notre pays dispose d’une stratégie nationale pour s’attaquer à ce fléau. Celle-ci a été élaborée selon une démarche participative. Société civile, CGEM, gouvernement et corps constitués ont tous contribué à son élaboration. Et dès le début de la mise en œuvre, nous avons amélioré notre classement. En 2018, nous sommes arrivés à 43, qui est la moyenne mondiale. Transparency International avait d’ailleurs souligné que le Maroc faisait partie des pays ayant réalisé le plus grand bond. Ceci, en répondant aux recommandations de l’OCDE et de Transparency.
En 2019, le Maroc a perdu 2 points dans son classement, de 43/100 à 41, mais c’est un fait que je considère comme conjoncturel : un retard dans l’adoption de certaines lois relatives à l’enrichissement illicite, la déclaration de patrimoine ou encore le Code pénal. Mais le travail du gouvernement s’inscrit dans la durée.

Mais pourquoi l’on a ce sentiment d’inachevé chaque fois que l’on aborde le sujet de la lutte contre la corruption ?
En effet, malgré tous les efforts consentis, certaines lois qui étaient dans le pipe n’ont pas été adoptées, notamment sur l’enrichissement illicite, projet qui traîne depuis quatre ans pour certains articles que les députés ne souhaitaient pas passer. Il y a aussi la loi sur la déclaration du patrimoine dont les modifications n’ont pas encore été votées. Je citerai aussi la charte des services publics et la loi sur la simplification des procédures qui viennent d’être votées… mais hélas après le dernier classement.Il faut savoir que la charte des services publics va esquisser une nouvelle relation entre les citoyens et l’administration à même de rétablir la confiance. Car la lutte contre la corruption, c’est d’abord la transparence et la simplification des procédures. C’est pour cela que le gouvernement a adhéré à l’Open Government et au principe d’accès à l’information.

Tout cela est bien beau, mais le citoyen lambda attend des actions concrètes à court terme…
Nous comprenons et respectons les attentes légitimes des citoyens et leurs difficultés à appréhender le lien de causalité entre certaines mesures entreprises par le gouvernement et leur impact sur la corruption. La stratégie s’étale sur 10 ans jusqu’en 2025 avec 10 programmes chapeautés chacun par un ministre sous la supervision du chef de gouvernement. C’est quand même une nouveauté, pour le pays, d’avoir une stratégie holistique qui s’attaque à tous les aspects de la problématique et qui est systématisée. Nous avons identifié quelques 200 actions précises et l’on n’attend pas les réunions de la commission nationale qui ont lieu tous les six mois pour travailler. Les commissions techniques, qui se réunissent au moins une fois par mois chacune, agissent dans la durée pour implémenter les mesures prévues par la stratégie de lutte contre la corruption. Plus en profondeur, la stratégie est basée sur la gouvernance, la prévention, l’éducation, la sensibilisation et l’information et la répression. Ceci dit, près de 67 % de la stratégie est relative à la prévention qui coûte beaucoup moins cher que la sanction. Le problème est que la prévention prend du temps. L’enjeu est de concilier l’urgence et les attentes des citoyens et le temps que demande la stratégie.

Pouvez-vous nous citer quelques actions concrètes aujourd’hui opérationnelles ?
Sur le plan international, le Maroc a adhéré à la convention de l’ONU sur la lutte contre la corruption, aux principes de gouvernement d’entreprise de l’OCDE, à la convention anti-corruption de l’OCDE, aux principes et normes de déontologie établis par des ONG internationales comme Transparency International.

Pourtant, les résultats tardent à venir. C’est du moins le sentiment que plusieurs continuent d’avoir…
Il faut se mettre à l’esprit que la lutte contre la corruption est aussi un problème technique et demande un savoir, des compétences techniques, une connaissance des tactiques et des techniques de détection, d’investigation et de prévention. C’est pourquoi des séminaires de formation au profit des magistrats sur la lutte contre la corruption sont régulièrement organisés. Idem pour les cadres de l’Institut royal de l’administration territoriale, de la police, de la gendarmerie royale, de l’IGF, des brigades centrales et régionales spécialisées dans la lutte contre la criminalité économique et financière, d’une brigade spécialisée dans la cybercriminalité au sein de la BNPJ, des tribunaux spécialisés dans la criminalité économique et financière sont mis en place. Par ailleurs, des programmes scolaires sont prévus en matière d’éthique en partenariat avec le ministère de l’Éducation. À noter que le ministère de l’Habitat a mis en place une cartographie des risques liés à la corruption. Les codes de déontologies vont permettre d’instaurer de nouvelles relations entre l’administration et les citoyens qui ont droit à des services de qualité. Plus encore, nous sommes en train de finaliser le code de déontologie pour tous les agents de l’État. C’est le chef de gouvernement qui va le mettre en place à travers un décret qui est en phase finale pour que ce code devienne obligatoire.

Qu’est ce qu’un code de déontologie au juste ?
Le code de déontologie gère les comportements et les attitudes des agents de l’Etat vis-à-vis du citoyen. En fait, les dispositions du code de déontologie seront aussi opposables aux partenaires de l’administration. Et même pour des opérations temporaires, un consultant de l’administration est appelé à signer ce code de déontologie. Le code a pour objet de préserver et de renforcer la confiance des citoyens dans l’intégrité et l’impartialité de l’administration publique, de favoriser la transparence au sein des organismes et entreprises de l’État et de responsabiliser les administrations et les fonctionnaires. Le code édicte, dans ses grandes lignes, les valeurs et les comportements que doivent adopter les fonctionnaires dans toutes les activités liées à l’exercice de leurs fonctions. Exemple, la gestion des cadeaux : où finit le cadeau et où commence la corruption ? L’un des objectifs du code est aussi de clarifier et de réglementer aussi bien le cadeau, et les avantages que peut ou ne peut pas recevoir un agent de l’État dans l’exercice de ses fonctions. C’est un code d’une vingtaine de pages, qui stipule, entre autres principes, celui de protection de l’environnement en achetant vert et en ayant le réflexe de l’économie durable et de la rationalisation. Le code définit, notamment, le harcèlement au travail et ses conséquences. Nous sommes aussi en train de finaliser une circulaire sur la mise en place de cartographies des risques de corruption dans tous les ministères. Le ministère de la Santé disposait déjà de la sienne en 2013, elle sera actualisée. C’est nouveau pour l’administration, mais Bank Al-Maghrib impose cette cartographie aux banques et l’Acaps aux assurances. Il s’agit d’identifier les foyers de corruption dans chaque ministère, d’identifier les risques de corruption, de les évaluer, de les hiérarchiser et de mettre en place les mesures nécessaires à la suprression et à la réduction de ces risques.

Comment le code de déontologie serait-il appliqué ?
Dans le code de déontologie, il est prévu de mettre en place un déontologue, un référent en éthique comme cela est déjà le cas dans le secteur financier via une circulaire de BAM. C’est une personne ressource formée à l’éthique qui peut être le DRH ou un autre responsable au sein d’un ministère. Il peut être qualifié de consultant interne à l’éthique. Nous avons aussi l’ambition de mettre en place des commissions d’éthique. Dans les prochains jours, ce code de déontologie appliqué aux agents de l’Etat sera disponible. Par ailleurs, et pour la première fois dans un pays africain et arabe, il a été mis en place un master spécialisé à la faculté de Aïn Chock dans la lutte contre la criminalité économique et financière. La première promotion date de 2018 et certains des lauréats exercent déjà à l’UTRF (Unité de traitement du renseignement financier, ndlr) et à l’inspection des banques au niveau des cellules anti-blanchiment. La deuxième promotion sera diplômée incessamment.

Quid du numéro vert pour dénoncer les actes de corruption ainsi que de la protection du dénonciateur ?
Pour la seule année 2019, et grâce au numéro vert, il y a eu 117 poursuites judiciaires pour corruption. C’est l’occasion pour moi de rappeler ce numéro (0537718888) qui a été mis à la disposition des citoyens par le ministère public pour dénoncer les actes de corruption dont ils sont victimes. En ce qui concerne les rapports de la Cour des comptes, il faut être prudent. La plupart de ces rapports ne porte pas sur des actes délictuels passibles de poursuite judiciaire, mais essentiellement sur des failles en matière de gestion. Quand c’est le cas, la Cour n’hésite pas à lancer des poursuites judiciaires contre les contrevenants. Ceci dit, l’État a fait des progrès et l’impunité n’existe plus au Maroc. En témoigne la récente affaire du directeur de la conservation foncière de Marrakech qui a écopé de 10 ans de prison. En ce qui concerne la protection des lanceurs d’alerte, il existe déjà une loi (2011). Il s’agira simplement de l’améliorer pour la mettre au diapason des meilleurs standards internationaux.

Venons-en à l’impact économique de la corruption. Comment le mesurez-vous ?
La corruption n’est pas seulement un problème moral, il est aussi économique. La corruption a un effet corrosif sur le développement du pays. Elle décourage les investissements, occasionne des distorsions au niveau de la répartition des ressources et de la concurrence, augmente les charges d’entreprise et réduit la valeur des dépenses publiques. La Banque mondiale estime l’impact de la corruption à 5 % du PIB mondial. Mais il y a des pays en Afrique où il atteint 25%, selon la BAD. L’OLAF (Office européen de lutte antifraude, ndlr) estime la corruption à 6% en UE. Si on applique, par extrapolation, la moyenne avancée par la Banque mondiale qui est un manque à gagner de 5% du PIB, notre pays perdrait l’équivalent du coût de construction de 160 hôpitaux par an, de quoi doubler la capacité hospitalière de notre pays si on éradiquait la corruption, de quoi multiplier par quatre le nombre de centres de soins. Par ailleurs, selon la BM, l’on estime que 50 à 100% d’un investissement est susceptible d’être perdu à cause de la corruption.


Ce qui a changé au sein de l’administration
Il faut rappeler que la lutte contre la corruption fait partie des priorités du programme gouvernemental. Parmi les actions concrètes les plus importantes, on peut citer Chikaya.ma, pour les doléances et réclamations des citoyens, la généralisation des prestations électroniques de l’administration et la facilitation des procédures (450 prestations administratives). En ce qui concerne la conservation foncière, l’on peut évoquer la vérification des titres fonciers sur le site Internet, «Mohafadati» et l’entrée en vigueur du «Registre national électronique des sûretés mobilières» (RNESM) est imminente (2 mars prochain). D’autres mesures sont également importantes comme la circulaire visant à recevoir tous les rapports d’inspection des ministères, outre ceux de la Cour des comptes. Autre élément important, un cycle de formation de 9 mois au profit des inspecteurs des ministères (IGM) sur la lutte contre la corruption.


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