Légalisation du cannabis : ce que veulent les cultivateurs
Parmi les requêtes figure l’amendement de l’article 4 du projet de loi, afin d’inscrire noir sur blanc les provinces concernées par la culture du cannabis.
Des représentants de la société civile de la région du Nord, oeuvrant dans la défense des droits des cultivateurs du cannabis, ont pris leurs bâtons de pèlerins pour aller prêcher la bonne parole auprès des groupes parlementaires. Certains d’entre eux sont fils d’agriculteurs ou cultivent eux-mêmes le cannabis. Certes, ils considèrent que la décision de la légalisation de cette plante est révolutionnaire, mais il n’en demeure pas moins que le projet de loi 13.21 relatif aux usages licites du cannabis est lacunaire à leurs yeux et nécessite d’être amendé en vue de protéger les cultivateurs et la population de la région concernée. Il s’agit, en premier lieu, de limiter le nombre de textes d’application afin d’éviter toute surprise une fois que le projet de loi franchira le cap du Parlement. Une doléance rejoignant celle de certains députés qui estiment nécessaire que le texte en cours d’examen au sein de la commission de l’Intérieur comporte le moins de décrets possible pour non seulement faciliter sa mise en œuvre, mais aussi clarifier certaines dispositions au sein de l’institution législative. À titre d’exemple, l’article 4 du projet de loi stipule qu’un décret précisera les provinces qui seront autorisées à cultiver le cannabis. La société civile appelle plutôt à introduire cette précision dans la loi et à prendre en considération certaines spécificités de la région.
Dans son article 7, le projet de loi conditionne l’octroi de l’autorisation de la culture et de la production du cannabis par la nécessité pour le demandeur d’être propriétaire d’une parcelle de terrain dédiée, ou être autorisé par le propriétaire à cultiver le cannabis, ou encore obtenir une attestation délivrée par l’autorité administrative locale prouvant son exploitation de la terre en question. Cet article pose plusieurs problématiques d’après la société civile locale car, d’une part, la plupart des cultivateurs qui se sont transmis leurs terres de père en fils ne possèdent pas de certificat de propriété et, d’autre part, la relation avec l’autorité administrative locale (moqadem et cheikh) est marquée par une grande méfiance. Quant à la condition permettant à un Marocain «étranger» de la région, titulaire d’une permission d’un propriétaire local, de décrocher le précieux sésame de l’autorisation de la culture du cannabis, elle est pointée du doigt car elle «ouvre la voie à certains investisseurs pour exercer une pression sur la population». L’article 7 exige aussi d’habiter dans l’un des douars des provinces concernées pour obtenir l’autorisation. Une condition qui devra être remplacée, selon les acteurs associatifs, par l’appartenance au douar concerné. La population locale aspire en effet à éviter «toute intrusion étrangère». L’espoir aussi est de délivrer des cartes professionnelles aux cultivateurs pour les protéger et valoriser leur travail. Sur le volet des mesures répressives, celles-ci sont jugées trop sévères, surtout pour les agriculteurs qui risquent des peines d’emprisonnement allant de trois mois à deux ans alors que les investisseurs ne sont sanctionnés que par des amendes en cas d’infraction des dispositions de la loi.
Au niveau économique, les nouvelles dispositions pourraient engendrer des frais supplémentaires aux cultivateurs amenés à abandonner la «plante marocaine traditionnelle» pour une nouvelle plante importée d’Europe. Seront-ils contraints d’acheter les semences ou le gouvernement, via la nouvelle agence qui sera créée, se chargera-t-il de les leur distribuer ? En tout cas, les agriculteurs de la région, dont la situation économique est on ne peut plus fragile, n’ont pas les moyens de supporter des charges supplémentaires, d’après leurs représentants. Ils auront par ailleurs besoin d’être formés et accompagnés pour augmenter la productivité de la nouvelle plante à travers l’utilisation des nouvelles technologies. À cet égard, ils espèrent que l’agence chargée du suivi de ce chantier sera implantée dans la région du Nord. Le projet de loi, précisons-le, stipule qu’elle sera basée à Rabat. Une disposition qui sera visiblement amendée. Nombre de députés ont, en effet, plaidé pour que cette instance soit créée sur place afin d’être proche de la population et des cultivateurs. On propose même de créer des antennes de cette agence dans les provinces concernées pour favoriser la proximité et mettre le chantier sur les bons rails. Le besoin se fait aussi sentir d’accompagner les cultivateurs dans leur organisation et regroupement en coopératives, comme le stipule la loi. Tout porte à croire que les requêtes des représentants des cultivateurs trouveront écho auprès des parlementaires qui partagent plusieurs de leurs avis.
Cependant, l’introduction des amendements n’est pas une mince affaire. Sans le consentement du ministre de l’Intérieur, aucun changement ne sera possible. Abdelouafi Laftit a déjà indiqué aux députés qu’il était ouvert à leurs propositions d’amendement. Malgré cet engagement, le champ d’intervention des députés reste limité. Abdellatif Ouahbi, député et secrétaire général du PAM, estime qu’il s’agit d’une première étape en matière de légalisation des usages du cannabis car le projet de loi en cours de discussion n’est que le seuil minimal. «Son développement risque de prendre du temps», prévient Ouahbi qui espère que les différentes composantes politiques se réuniront autour de ce texte en vue de mettre fin aux tensions et d’enterrer la hache de guerre. En tout cas, même en l’absence de consensus, le texte passera au cours de la session parlementaire de printemps, d’après la plupart des groupes parlementaires. Seul le PJD continue de garder l’espoir que l’adoption du projet de loi sera reportée.
Jihane Gattioui / Les Inspirations Éco