Maroc

Laâyoune, l’escale précaire des migrants

La ville de Laâyoune accueille des centaines de migrants subsahariens. Ce séjour est marqué par un accueil favorable des habitants et la frilosité des autorités. Scènes de vie en terre nomade.

Babacar N’diaye se définit comme «sénégalais d’origine et marocain d’adoption». Ce jeune dakarois vit à Laâyoune depuis cinq ans. C’est dans la capitale des provinces du Sud qu’il a choisi de s’installer. «Je me suis marié et j’ai eu mes deux enfants à Laâyoune», confie-t-il. Depuis son arrivée en 2012, il a enchaîné les boulots dans la restauration, tout en consacrant du temps à son activité au sein de l’Association des ressortissants sénégalais résidents au Maroc (ARSEREM), section de Laâyoune, dont il est président depuis 2014. «Faute d’un permis de séjour, je n’arrive pas à accéder à un emploi stable», affirme-t-il avec amertume. Aujourd’hui, Babacar est agent communautaire et travaille à soutenir les différentes nationalités de migrants présentes dans la province. Dans cette mission, les 1.000 immigrants présents à Laâyoune et sa région peuvent compter sur la solidarité de la population et l’engagement d’un tissu associatif local.

«Grand frère» du Sahara
Abdelkebir Taghia est président de l’association Sakia Hamra à Laâyoune. Cet administrateur au ministère de la Santé est considéré dans la ville comme le «Grand frère» des migrants. Depuis 2005, il assure le soutien à cette population et lui facilite l’accès aux soins de santé. Le soir de notre rencontre à Laâyoune, son téléphone n’a pas arrêté de sonner. Au bout du fil, un immigrant originaire du Ghana qui doit être transporté à l’hôpital provincial pour accéder aux soins. «Au début, les autorités acceptaient difficilement de nous faciliter le travail. Avec le temps, notre rôle a été compris et nous assurons des services et un soutien aux migrants vulnérables», relate-t-il. La population locale n’affiche pas un refus des migrants installés. «Cette situation s’expliquerait en partie par le fait que la plupart des migrants à Dakhla, Laâyoune et Boujdour sont dans une situation moins précaire que dans les autres villes car la plupart d’entre eux travaillent», note le Commission régionale des droits de l’homme (CRDH) de Laâyoune. D’autant plus que depuis la première opération exceptionnelle de régularisation, la population de migrants affiche sa volonté de résidence dans la ville de Laâyoune. En 2014, le bureau des étrangers dans la capitale des provinces du Sud a reçu 686 demandes. Seuls les dossiers des migrantes subsahariennes femmes ont été acceptés, ils étaient au nombre de 134. Du côté des hommes, les dossiers acceptés sont ceux de ressortissants de la Mauritanie (8), de l’Égypte (2) et de Palestine (1). Les hommes subsahariens continuent de voir leurs dossiers rejetés. Ce qui fait que Laâyoune enregistre un des taux le plus bas de régularisation (3%), avec Nador. «Les autres dossiers déposés par des hommes ont tous été rejetés», observe Taghia, qui avait siégé à la Commission préfectorale de régularisation. Et de préciser : «Nous n’avons pas reçu d’éclaircissements par rapport aux refus de ces dossiers». Le déroulement de l’opération de régularisation avait suscité l’attention de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) dans son rapport conjoint avec le Groupement antiraciste d’accompagnement et de défense des étrangers et migrants (GADEM). Dans un rapport publié en 2015, les deux ONG notaient qu’à Laâyoune «les agents considéraient que l’attestation de travail était insuffisante et demandaient la présentation de contrats dûment visés par le ministère de l’Emploi. Selon un deuxième rapport élaboré par trois associations marocaines (l’ALECMA/CCSM/GADEM) et la mission catholique de Nouadibhou dans la région du Sud, «le bureau des étrangers de Laâyoune à l’instar de la majorité des bureaux ouverts dans d’autres régions, informe les personnes concernées qu’elles ont la possibilité de faire un recours et leur indique que ce recours doit être déposé à Rabat». Soit à 1.200 km, loin de leur lieu de résidence…En 2016, lors de la deuxième vague de régularisation, c’est le même scénario qui se répète. 1.134 demandes ont été déposées. «Aucune demande n’a été acceptée», s’indignent Taghia et N’diaye en chœur. À Boujdour, les autorités se sont montrées plus flexibles, sur les 32 dossiers déposés, 26 ont été acceptés. «Sans carte de séjour, nous ne pourront pas accéder à la santé et à la formation professionnelle», rappelle N’diaye.

Pêche et BTP
Malgré un marché de l’emploi au Sahara où la demande en main d’œuvre est présente, ces migrants se trouvent relégués dans le secteur informel. «À Foum el Oued, à la périphérie de Laâyoune, les migrants sont actifs dans le secteur de la pêche où ils travaillent dans le débarquement sur les bateaux», affirme Ndaiye. À Laâyoune, ces travailleurs sont aussi présents sur les chantiers de construction et dans les commerces. Un troisième profil est celui des commerçants sur la route entre Casablanca et Dakar, en passant par Laâyoune. Une profession ancestrale dans le pays de la Teranga pratiquée par les femmes autant que par les hommes. Des échanges commerciaux qui ne datent pas d’aujourd’hui comme le rappelle une étude de deux chercheurs marocains intitulée : «Les Sénégalais dans la société marocaine : Parcours, motivations et insertion sociale». «À partir des années 70, à la base des échanges commerciaux entre le Maroc et le Sénégal. Ces commerçantes pionnières déclarent avoir été «autorisées» par leurs maris à commercer entre le Sénégal et le Maroc du fait que ce dernier est un pays musulman et abrite la confrérie tijania», analysent Fatima Ait Benlmadani et Zoubir Chattou, deux universitaires, membres de l’Association marocaine d’études et de recherches sur les migrations (AMERM). Ce commerce est aujourd’hui florissant, surtout en partance de Fès et Casablanca, vers Dakar. Laâyoune est un passage obligé sur cette route migratoire qui résiste aux frontières périlleuses.


Babacar N’diaye,
Président de l’Association des  ressortissants sénégalais résidents au Maroc – section de Laâyoune.

Il y a une complicité entre la population locale et les immigrants. Nous sommes bien accueillis par la population de Laâyoune. Le seul point regrettable est le refus des autorités de nous régulariser sur place alors qu’à Dakhla ou Agadir des immigrants le sont».


Un centre de détention contesté

Les côtes de la ville de Laâyoune continuent de représenter un point de départ de migrants irréguliers vers les Îles Canaries. Les autorités marocaines en coopération avec leurs homologues espagnols collaborent pour stopper ces flux. «Les migrants arrêtés sont transférés dans une école publique improvisée en centre de détention», explique Taghia de l’association Sakia Lhamra. Cette structure existe depuis 2008. «Nous intervenons avec l’accord des autorités pour fournir une aide humanitaire à ces jeunes», rappelle Taghia, qui a bataillé dur pour y avoir accès. La Plateforme nationale protection migrants (PNPM) avait alerté dans un récent rapport sur la situation dans ce centre : «La détention peut durer de quelques jours à un mois, dans des conditions très précaires». Les associations de la région réclament sa fermeture «immédiate».


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