Maroc

Khalid Benali : « 2021 va peut-être changer le Maroc en mieux »

Des décisions douloureuses mais nécessaires, destinées à préserver la santé et la sécurité des populations, ont été courageusement prises. Quelles leçons tirer de 2020? Peut-on rebondir en 2021 ? Khalid Benali, expert en économie, répond.

Quelle lecture faites-vous des évènements qui se sont succédé depuis le mois de mars, voire depuis le début de l’année 2020 ?
2020 restera dans les annales, à l’instar de la grippe espagnole de 1918. Le mode d’évolution de cette pandémie a généré, en plus des répercussions négatives sur les économies à l’échelle internationale, des milliers de contaminations et de décès, ce qui justifie le choix des mesures d’état d’urgence, de confinement décrétés par la quasi-totalité des gouvernements, qui se sont traduites par des suspensions provisoires et volontaires de l’activité économique tant au niveau national qu’international, des fermetures de frontières totales et des restrictions de déplacements. Ces décisions impacté le mode de vie et de consommation des ménages (travail à distance, enseignement présentiel…), le mode de production, ce qui donnera certainement lieu à la mise en œuvre de nouvelles chaînes de production, à une migration vers de nouveaux métiers pour répondre aux besoins des ménages.

Quid des répercussions négatives sur les plans social et économique qui seront abordées par la suite ?
Permettez-moi tout d’abord de préciser qu’il s’agit, depuis mars, d’une suspension volontaire de l’activité économique pendant le confinement avec toutes les conséquences attendues en termes d’impacts négatifs, et non d’une crise économique générée par la Covid-19. Ainsi, malgré les impacts négatifs qui seront abordés par la suite, on ne peut nier que cette pandémie a toutefois permis une nouvelle promotion des principes de solidarité à travers la contribution au Fonds de gestion Covid-19 mis en place sur la base des orientations royales. Il a entre autres servi au financement des allocations servies aux bénéficiaires du RAMED, du secteur informel et des indemnités servies aux assurés de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) en situation d’arrêt pendant le confinement, au rapprochement des services des citoyens puisqu’à travers un portable et un message SMS, les aides sont parvenues à leurs bénéficiaires au lieu de leur résidence. Citons également le développement de formes d’innovations (bavette, respirateur, gel…), la numérisation des services, qui a été derrière la réussite du mode de gestion du fonds Covid-19, et le travail à distance comme créneau pour booster la productivité de l’administration. Au niveau international, une conviction s’installe de plus en plus : les écarts entre les pays, indépendamment du niveau du développement, devraient dans le futur être réduits étant donné que la machine économique mondiale a été presque totalement grippée pendant la pandémie.

Le royaume s’achemine vers une récession de 6,6% en 2020. Sommes-nous suffisamment préparés à l’impact de celle-ci, sur le long terme ?
La récession est maintenant une réalité à laquelle il faut faire face et s’adapter en prenant les mesures qui s’imposent sur le plan social et économique. À cet égard, il importe de mentionner que la récession de 6,6% est synonyme d’une régression du niveau du produit intérieur brut (PIB). Elle s’est ainsi traduite par une destruction des valeurs ajoutées produites par l’économie pendant trois à quatre années et un retour à la valeur du PIB enregistrée en 2016-2017 sachant que pour certains pays, les valeurs ajoutées de plus de 8 ans ont été consommées durant la période de confinement. Ainsi, toute relance économique au niveau national dans le contexte actuel de pandémie devrait se fixer comme objectif, dans un premier temps, la récupération d’urgence des valeurs ajoutées perdues, et dans un deuxième temps asseoir un modèle économique adapté au contexte pouvant contribuer à relever les nouveaux défis et challenges générés par la crise sanitaire. Ceci demeure tributaire du retour à la normale de l’activité économique au niveau national pour permettre le redressement des indicateurs macroéconomiques, et au niveau international pour la reprise des échanges extérieurs et la demande étrangère adressée à notre pays. Il importe de relever que les mesures économiques et sociales prises depuis le confinement ont visé à amortir les impacts sur les agents économiques et à préparer la relance à court et à moyen termes. Le schéma de reprise est certes difficile, mais pas impossible et pas immédiat. En effet, la panoplie de mesures à caractère économique et social en matière de financement incitatif, prises en faveur de l’entreprise marocaine, et la transformation de certains pans de notre économie en focalisant sur des nouveaux métiers (tels que l’industrie de l’automobile, de l’aviation et des produits médicaux comme les bavettes, le gel…) devraient être considérés comme des choix porteurs tant au niveau de la production que de l’emploi. La mise en place du fonds stratégique Mohammed VI pour l’investissement, la programmation de 230 MMDH au titre des investissements publics et la mise en place d’un système de financement incitatif au profit des petites et moyennes entreprises traduisent la volonté des pouvoirs publics de stimuler la relance tout en évitant le recours abusif à l’endettement. En conclusion, au vu des réalisations enregistrées à fin août 2020, marquées par une baisse des recettes fiscales de 8,8% en comparaison avec 2019, la concrétisation des prévisions de la loi de Finances 2021, caractérisée par une équation où il est prévu une hausse des dépenses publiques d’au moins 30 MMDH pour pouvoir exécuter les chantiers prioritaires et les orientations royales et une baisse d’au moins 20 MMDH de recettes, demeure sujette aux contraintes de reprise économiques, de recouvrement des recettes fiscales qui sont assises sur l’activité du secteur privé en 2020 (année de survenance de la pandémie), de maîtrise des dépenses publiques ainsi que de réalisation d’une bonne récolte agricole. Ainsi, l’implication harmonisée des acteurs économiques (secteur privé, ménages, institutions financières, pouvoirs publics…) dans le processus de relance serait nécessaire, particulièrement dans une conjoncture exceptionnelle caractérisée par une opacité tant au niveau national qu’international.

De nombreux spécialistes préconisent une gestion ciblée des dépenses publiques et des investissements à effet quasi immédiat. Le facteur «impact instantané» n’a-t-il pas de limite, quand on sait que pratiquement tous les gros chantiers du moment s’inscrivent dans des programmes à long terme?
Les grands chantiers s’inscrivent dans une vision stratégique consolidée structurante et économique visant à disposer d’un patrimoine pouvant attirer les investissements, promouvoir l’emploi et créer la valeur ajoutée à moyen ou à long terme. Ils revêtent une grande importance du fait de leur impact indéniable sur l’économie et la société (tramway, TGV, autoroutes…). L’après-Covid-19 impose une reconsidération de cette vision stratégique basée sur les grands projets avec les nouveaux choix et les priorités sociales et économiques. Cette reconsidération passe à mon sens par un dosage rationnel entre les obligations, les droits et les attentes de tous les acteurs économiques en apportant des réponses aux besoins immédiats et futurs.

Quels filets de sauvetage faut-il mettre en place pour le million de Marocains pauvres ?
Avant de répondre à cette question, il est impératif de mentionner que le chiffre d’au moins 5,5 millions de familles, soit environ 22 millions de citoyens (à raison de 4 membres par famille), qui ont bénéficié des subventions allouées par les pouvoirs publics, devrait nous interpeller au sujet de la vulnérabilité du système économique national. La pandémie a mis en évidence la nécessité d’adopter une nouvelle approche pour soutenir les personnes économiquement démunies. Les perceptions socio-économiques reconnues en la matière portent d’une part sur la protection du consommateur (le citoyen), en lui permettant d’accéder aux services de base tels que l’éducation, la santé et l’emploi et aux droits à une protection sociale, et d’autre part à assurer la compétitivité en favorisant une production nationale diversifiée, disponible et de bonne qualité. À cet égard, il importe de mentionner que les directives royales visant à fournir un système complet de couverture sociale et médicale à tous les citoyens pourraient constituer un outil efficace permettant de formuler des politiques globales sur la base de données concrètes, permettant de cibler précisément les tranches des populations concernées. L’économie sociale solidaire, qui repose sur les principes de solidarité et de synergie, reste l’une des approches qui permettrait, dans de contexte, à la fois d’accélérer la valorisation du capital immatériel et d’offrir des opportunités d’emploi permettant d’assurer des niveaux de revenus décents et une qualité de vie meilleure. Par ailleurs, il y a lieu de constater que les mesures visant à assurer la continuité des indemnités servies aux assurés à la CNSS relevant de certains secteurs et l’octroi de moyens de financement incitatif ont été prises afin de sauvegarder les postes d’emploi au niveau du secteur privé et d’éviter le basculement vers la pauvreté en cas de perte d’emplois et de revenus.

Qu’en est-il de l’intégration du secteur informel ?
Ce secteur représentait environ 20% du produit intérieur brut en 2018 (étude récente) et employait plus de 4 millions de personnes en 2013 avec un taux de développement annuel du nombre d’unités d’environ 19.000 entre 2013 et 2014. Ce secteur joue le rôle d’employeur pour les catégories qui ne trouvent pas d’emploi dans le formel, offrant à de larges catégories des opportunités d’emploi qui leur permettent d’avoir un revenu peut-être limité. À cet égard, et à la lumière des conclusions tirées de la pandémie, tout retard accusé dans le processus d’intégration de ce secteur pourrait priver davantage le Budget de l’État, qui a enregistré en 2020 une régression des recettes fiscales, des opportunités d’avoir des revenus supplémentaires permettant aux autorités de financer l’investissement public et l’augmentation des crédits alloués aux budgets des secteurs sociaux tels que l’éducation et de la modernisation du système de santé, au lieu de recourir à l’emprunt. De plus, la réalité après la pandémie est que le secteur informel, qui se caractérise par un niveau de salaire limité pour les travailleurs, le non-assujettissement aux impôts et à la protection sociale, contribue à réduire la compétitivité des entreprises marocaines et nuit au développement du produit national, ce qui pourrait inciter, à terme, les entreprises structurées à transférer une partie des activités vers le secteur informel.

Tous les secteurs d’activité ont repris du poil de la bête, à l’exception du tourisme. Faut-il rouvrir les frontières aux touristes, comme le demandent les opérateurs depuis plusieurs mois ?
Le tourisme fait exception du fait que la reprise dépend de l’ouverture des frontières au niveau de tous les pays. Secteur qui représente environ 7% du PIB national avec 550.000 emplois directs en 2019, soit près de 5% de l’emploi dans l’ensemble de l’économie, sachant que plusieurs emplois indirects entrent implicitement dans la chaîne de valeur. L’ouverture des frontières est tributaire de l’amélioration attendue de la situation sanitaire au niveau international suite aux programmes de vaccination entamés. L’ouverture des frontières, à l’heure actuelle, de manière unilatérale par notre pays, ne pourrait pas être efficace faute d’une décision commune adoptée par les opérateurs et partenaires touristiques étrangers à l’échelle internationale.

La politique monétaire de la Banque centrale pour la relance s’oriente vers un relâchement des règles prudentielles. Cette politique «accommodante“ ne risque-t-elle pas de peser sur le coût du risque du secteur ?
Les mesures prises par Bank Al-Maghrib et le Comité de veille stratégique mis en place pour la gestion de la pandémie visent à garantir aux entreprises l’accès aux moyens de financement sous forme de dette avec une garantie de la Caisse centrale de garantie.
Ces mesures, quoique coûteuses, demeurent insuffisantes si elles ne sont pas conjuguées à une volonté des pouvoirs publics de booster l’investissement public pour permettre aux entreprises de réaliser des chiffres d’affaires pouvant favoriser l’investissement et créer -ou à tout le moins maintenir- les emplois existants. À mon sens, en cette période de reprise, il n’y a pas de risque majeur qui pèse sur les règles prudentielles étant donné que les banques agissent en principe avec précaution. La question qui se pose aujourd’hui concerne la capacité de résoudre l’équation ressources/dépenses où il serait impératif de disposer des ressources programmées au niveau de la loi de Finances 2021 pour couvrir les dépenses publiques et offrir aux entreprises l’opportunité de réaliser des chiffres d’affaires pouvant booster la production, l’investissement et par conséquence la création d’emplois et la résorption du chômage, dont le taux est estimé à 13% en 2020.

Quelle leçon tirer de 2020 ? Pourrait-on rebondir en 2021 ?
Rebondir est un challenge national qu’il faudrait réussir avec toutefois deux précisions de taille : à quel prix et à quel horizon ? La récession et l’impact de la pandémie sont des réalités qu’il faut dépasser à travers l’adoption des choix et des politiques ciblés pour répondre aux besoins et faiblesses révélées par la pandémie. Concernant les secteurs sociaux, les notions de budgets sociaux résultant de la sommation des budgets des ministères à vocation sociale, généralement présentés par le gouvernement comme réalisation, devraient disparaître pour laisser la place à une nouvelle approche managériale basée sur les résultats et le respect des normes universelles en la matière. Au niveau du secteur de la santé, il s’agit de disposer à la fois, et de manière rationnelle, des hôpitaux et des installations sanitaires, de la logistique et des ressources humaines nécessaires et suffisantes, mais aussi de pouvoir fournir un niveau de soins convenable tant au niveau du secteur public que privé. Les indicateurs de performance devraient porter sur la qualité de services fournie, sur la capacité de ciblage des populations concernées, sur l’adéquation des moyens de financement et sur la viabilité des systèmes de couverture médicale. Pour ce qui est de la réforme de l’administration, les notions de rentabilité, de productivité et de management innovant devraient être associées à une approche basée sur la réalisation des objectifs qui devrait se traduire, entre autres, par une adéquation parfaite des ressources et des compétences, une refonte du mode de gestion actuel de l’administration, une révision du processus de nomination aux hautes fonctions, une réduction des charges via l’adoption du travail à distance, la généralisation de l’administration numérique, l’encouragement et l’incitation à la recherche et à l’innovation… Le nouveau modèle économique en cours d’élaboration et la volonté de réussir le challenge de la reprise en constituent les principaux atouts. 

Khadim Mbaye / Les Inspirations Éco


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