Imposition des profits fonciers : ce qui change dans l’expropriation par voie de fait
Qu’ils soient expropriés totalement ou partiellement, les propriétaires immobiliers devront s’acquitter de l’impôt sur les éventuelles plus-values réalisées à partir de 2025. Voici ce qui va changer, selon le Projet de Loi de finances 2025, concernant la fiscalité des gains immobiliers perçus par les particuliers lorsque leurs biens sont expropriés ou transférés de force.
Dans le cadre du Projet de Loi de finances (PLF) 2025, le gouvernement propose une clarification du principe d’imposition des profits fonciers réalisés lors d’une expropriation par voie de fait ou de tout autre transfert de propriété par décision judiciaire. Une mesure qui vise à consacrer le principe d’équité fiscale, quelle que soit la procédure de transfert d’un bien immobilier, afin d’éviter les divergences d’interprétation et le contentieux. Qu’implique-t-elle exactement pour les particuliers ?
Décryptage.
L’expropriation par voie de fait, communément appelée , intervient lorsque l’administration prend possession d’un bien immobilier avant l’accomplissement des formalités légales d’expropriation pour cause d’utilité publique. Cette procédure est généralement utilisée en cas d’urgence, comme pour la réalisation de projets d’infrastructures publiques prioritaires. D’autres situations peuvent également donner lieu à un transfert forcé de propriété par décision judiciaire, comme la préemption, la vente de «sefqa» ou la vente aux enchères publiques suite à une saisie immobilière.
Types de biens immobiliers concernés
Selon nos informations, tous les types de biens immobiliers sont susceptibles d’être concernés par cette mesure : terrains, logements, locaux commerciaux, etc. Aucune distinction n’est faite par le projet de texte de loi. Dans le cas d’une expropriation totale, les profits fonciers imposables seront calculés selon la méthode habituelle. Cela signifie qu’il s’agira de la différence entre le prix de cession, c’est-à-dire l’indemnité d’expropriation versée par les autorités pour le bien exproprié, et la valeur d’acquisition initiale du bien, actualisée si nécessaire pour tenir compte de l’inflation ou d’autres facteurs.
Cependant, dans le cas d’une expropriation partielle, où seulement une partie du bien est expropriée, seuls les profits liés à la partie effectivement expropriée seront imposables. Cela signifie que les autorités fiscales ne prendront en compte que la différence entre l’indemnité versée pour la partie expropriée et la valeur actualisée de cette partie spécifique du bien. Le reste du bien ne sera pas soumis à l’impôt sur les profits fonciers dans ce cas précis d’expropriation partielle. Cette distinction est importante car elle évite d’imposer les profits potentiels non réalisés sur la partie du bien que le propriétaire conserve toujours.
Taux d’imposition applicable
Plutôt que d’être soumis à un taux fixe, ces profits seront imposés selon le barème progressif de l’impôt sur le revenu. Cela signifie que le taux d’imposition augmentera graduellement en fonction du montant des profits réalisés.
Concrètement, dans le PLF 2025, le taux marginal supérieur de l’impôt sur le revenu est fixé à 37%. Cela implique que les profits fonciers les plus élevés seront imposés à ce taux maximal de 37%. Mais pour les profits plus modestes, des taux d’imposition inférieurs s’appliqueront.
L’application de ce barème progressif vise à moduler la fiscalité en fonction de l’importance des profits réalisés lors de l’expropriation. Un petit profit sera moins lourdement taxé qu’un très gros profit. Cette mesure d’alignement sur le barème de l’impôt sur le revenu permet aussi d’harmoniser la fiscalité des profits fonciers avec celle des autres revenus personnels. Cela évite une trop grande distorsion fiscale entre différentes sources de revenus pour une même personne physique.
Retenue à la source obligatoire
Une retenue à la source au taux de 5% sera obligatoirement opérée par «les personnes intervenant dans le paiement desdites indemnités». Cela peut inclure les autorités publiques menant l’expropriation (État, collectivités locales…). L’objectif de cette retenue à la source est d’assurer un prélèvement à la source sur ces indemnités, qui constituent des profits fonciers potentiellement imposables.
Cependant, cette retenue à la source de 5% n’est pas un impôt définitif et libératoire. Elle n’est qu’un acompte, une avance sur l’impôt réel qui sera calculé et dû in fine sur ces profits fonciers. Lors de la déclaration fiscale, cette retenue de 5% sera imputée, c’est-à-dire déduite de l’impôt finalement calculé sur les profits réalisés avec le barème progressif. Si l’impôt dû est supérieur à 5%, un complément devra être acquitté. Mais si l’impôt dû est inférieur à la retenue de 5% déjà prélevée, l’excédent sera restitué au contribuable.
Il faut dire que l’imposition d’une retenue à la source de 5% sur les profits fonciers réalisés dans le cadre de la procédure d’expropriation par voie de fait au Maroc présente plusieurs intérêts pour l’État : un recouvrement fiscal efficace, des enjeux de simplification administrative, de lutte contre l’évasion fiscale, de stabilisation des recettes fiscales et d’encouragement à la transparence.
En effet, la retenue à la source permet à l’État de collecter immédiatement une partie des impôts dûs sur les profits fonciers, réduisant ainsi le risque de non-paiement ou de retard dans le recouvrement des impôts. En prélevant directement l’impôt au moment de la transaction, l’État simplifie le processus fiscal pour les contribuables, qui n’ont pas à se soucier de déclarer ces revenus ultérieurement.
Cette mesure peut contribuer à réduire l’évasion fiscale en s’assurant que les revenus générés par des transactions foncières sont imposés dès leur réalisation, rendant plus difficile pour les contribuables la dissimulation de ces revenus. En imposant une retenue à la source, l’État peut mieux prévoir et stabiliser ses recettes fiscales, ce qui est crucial pour la planification budgétaire. Cette obligation de retenue peut inciter les acteurs du marché immobilier à être plus transparents dans leurs transactions, sachant que les profits seront automatiquement soumis à imposition.
Déclaration et pièces justificatives
Les particuliers concernés devront souscrire une déclaration annuelle spécifique de leurs revenus fonciers, au titre de l’année durant laquelle ces profits ont été réalisés suite à l’expropriation. Cette déclaration spéciale s’ajoute à leur déclaration de revenus annuelle habituelle. Elle permet aux autorités fiscales d’identifier spécifiquement ces profits fonciers issus d’une expropriation.
Lors du dépôt de cette déclaration de revenus fonciers, les contribuables concernés devront y joindre plusieurs pièces justificatives importantes : une copie de la décision de justice ayant ordonné l’expropriation ou le transfert forcé de propriété à l’origine des profits, et tout document permettant de justifier du prix d’acquisition initial du bien immobilier concerné (acte notarié, etc.). Ces pièces sont indispensables pour que l’administration fiscale puisse calculer le montant réel des profits fonciers imposables, en les comparant au prix de cession (indemnité).
Le défaut de production de ces justificatifs pourrait entrainer une taxation d’office par l’administration, sur des bases forfaitaires défavorables. Cette obligation déclarative spécifique vise à assurer une imposition transparente et juste de ces profits fonciers particuliers.
Exceptions de non-imposition ?
Aucune exception de non-imposition des profits fonciers, dans ce cas de figure, n’est prévue par le texte du PLF 2025.
Toutefois, «les plus-values réalisées à l’occasion d’une expropriation pour cause d’utilité publique devraient en pratique rester exonérées, conformément au régime fiscal actuel», nuance un comptable.
La mesure ne devrait s’appliquer qu’aux expropriations et transferts forcés intervenus à compter du 1er janvier 2025. Ceux antérieurs à cette date resteront soumis à l’ancien régime fiscal.
En définitive, cette clarification devrait permettre d’assurer une imposition plus équitable des profits fonciers issus d’expropriations par voie de fait ou de procédures judiciaires similaires. Reste à savoir quelle sera son application concrète par l’administration fiscale.
Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO