Immobilier : les notaires se dressent contre les promoteurs
En blacklistant les promoteurs peu scrupuleux, le Conseil national de l’ordre des notaires du Maroc (CNONM) entend lutter indirectement contre la fraude immobilière.
Devant la porte désespérément fermée du bureau de vente d’un promoteur immobilier (sise quartier Massira à Marrakech), un groupe hétérogène, dominé par une forte présence féminine, squatte en permanence les lieux. Sur une pancarte accrochée à un immeuble vacant à proximité, on peut lire «les victimes du projet Al Ghali», en référence aux personnes qui se disent avoir subi une spoliation de leurs biens.
La même pancarte est perçue dans de nombreux sit-ins devant la wilaya de la ville ocre, pour dénoncer les aberrations d’un projet «en cours de construction depuis 2017». «Parmi nous, il y a des promesses de livraison non tenues, des appartements commercialisés à plusieurs reprises», s’indigne, au bord des larmes, l’une des victimes.
Épurer le secteur
Afin de lutter contre ce type d’agissements émanant de certains promoteurs, le Conseil national de l’ordre des notaires du Maroc (CNONM) a pris une décision courageuse, en dressant une liste interne des promoteurs véreux. L’annonce en a été faite par Hicham Sabiry, président du Conseil national de l’ordre des notaires du Maroc, en marge de la dernière assemblée générale du Conseil régional de Casablanca tenue le 26 septembre dernier.
Objectif recherché : lutter contre la fraude immobilière et inciter les promoteurs véreux à renoncer à leur pratique. D’après nos informations, une liste établie circulerait déjà dans les cercles des notaires.
«Tous les membres de l’ordre en ont pris connaissance, et elle sera en vigueur à partir de la semaine prochaine», confie le président du Conseil national de l’ordre des notaires.
Liste noire
La «liste noire» envisagée par l’Ordre des notaires vise à contrer les dérives récurrentes des promoteurs immobiliers non respectueux des dispositions légales. Parmi les pratiques les plus préoccupantes figure le non-respect de la loi sur la Vente en l’état futur d’achèvement (VEFA), un cadre légal pourtant crucial pour la protection des acquéreurs.
«Certains promoteurs ne respectent pas leurs engagements en termes de livraison des biens immobiliers», surenchère un notaire qui exige l’anonymat. Ce manquement s’accompagne souvent d’autres dérives plus flagrantes. Le refus de procéder à la réservation des biens, un acte pourtant fondamental pour assurer la sécurité des transactions dès les premières étapes de l’acquisition.
«Sans cette réservation, les acquéreurs se retrouvent sans protection en cas de litige ultérieur», explique un notaire.
Ainsi, vendre des biens avant l’obtention du permis d’habitation expose directement les acheteurs à des risques juridiques et financiers. Ce type de pratique, bien que formellement illégal, persiste dans le secteur immobilier, fragilisant davantage la confiance des consommateurs dans un marché déjà sous pression, en particulier depuis l’annonce de l’organisation du Mondial en 2030.
À ces pratiques s’ajoutent les difficultés financières auxquelles sont confrontés certains promoteurs, lorsqu’ils sont en litige avec les banques, souvent incapables de régler les hypothèques en suspens. Leur capacité à honorer leurs engagements contractuels s’en trouve fortement compromise. Les opérateurs englués dans des difficultés de trésorerie s’annoncent également comme des profils à risque, au même titre que ceux qui ne parviennent pas à livrer les biens dans les délais impartis.
La liste de la discorde
Cette initiative, au-delà de son caractère dissuasif, entend instaurer une transparence dans l’un des secteurs clés de l’économie, contribuant, in fine, à assainir un marché aux enjeux majeurs pour le développement du Royaume. Cela dit, la stratégie de shamenaming a certes pour mérite de responsabiliser publiquement les promoteurs peu scrupuleux, tout en envoyant un message clair à l’ensemble du secteur, mais certains promoteurs, se voyant exclus du circuit notarial, pourraient contester leur intronisation sur ce registre restrictif, dans un secteur où les intérêts divergent.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO