Maroc

Fonction publique : l’Etat-employeur, quel mauvais DRH !

Le plus gros employeur du pays est aussi un piètre DRH. Avec un statut de la fonction publique d’un autre âge et l’absence de toute culture d’évaluation, l’administration publique ne récompense pas les bons et ne sanctionne pas les moins performants de ses agents. Deux cas, l’Éducation nationale et la Santé symbolisent ce déficit.

Premier en effectifs de la fonction publique, l’Éducation nationale, l’enseignement de manière générale, concentre tous les travers de l’État en matière de gestion des ressources humaines. Les exemples abondent, quel que soit le niveau. La mise en place des Académies régionales de l’éducation et de la formation (AREF) n’a pas été suivie d’une mise en cohérence, ni de la déconcentration des pouvoirs qui devrait être adossée à ces structures et assurer leur efficacité. Aujourd’hui encore, deux corps distincts d’enseignants cohabitent dans les effectifs du «mammouth». Le premier comprend des détachés régis par le statut général de la fonction publique et le deuxième est composé d’enseignants rattachés, en principe, aux académies régionales, les contractuels. Ils seraient plusieurs dizaines de milliers, selon les chiffres officiels.

Sous la pression des organisations syndicales qui multipliaient des débrayages, les contractuels ont fini par obtenir leur intégration dans les effectifs des fonctionnaires avec des incidences budgétaires que cela implique. Ce n’est pas ce passage sous le pavillon du statut de la fonction publique qui est critiqué par les magistrats de la Cour des comptes. La Cour est vent debout contre une improvisation qui a abouti au recrutement de milliers d’enseignants n’ayant pas été soumis au filtre de l’examen de qualification professionnelle. En gros, aucun mécanisme n’a permis d’évaluer leurs capacités à exercer leur métier. Sur 83.422 enseignants recrutés, seuls 3.568, soit 4%, ont passé l’épreuve de qualification professionnelle. «Et que l’on ne s’étonne pas après que le niveau de l’école publique s’effondre», tempête un haut fonctionnaire.

Bons ou pas, tout le monde est promu
Alors que les pouvoirs publics s’engagent dans une «refondation de l’école» après des années passées à tourner en rond, il n’existe aucun dispositif d’évaluation du personnel fondé sur les résultats. Du cycle primaire au supérieur, aucun gouvernement n’a osé appliquer l’évaluation du corps enseignant par crainte de fâcher les syndicats.

«C’est un peu comme si tous les élèves et étudiants devraient passer en classe supérieure, qu’ils soient bons ou mauvais, peu importe», analyse notre interlocuteur. On se trouve dans un système qui ne récompense pas les bons et ne sanctionne pas les moins performants. Résultat, et ce sont les magistrats de la Cour des comptes qui le dénoncent : «Les promotions sont basées plus sur l’ancienneté que sur le rendement, et l’avancement de grade est souvent accordé sans tenir compte de la compétence et du mérite de la personne». Ce schéma s’applique à tous les niveaux du système d’enseignement.

Dans le supérieur, les doyens et les présidents d’université sont démunis en matière de gestion des ressources humaines. Ils disposent de très peu de pouvoirs dans ce domaine, enrage un ancien président de l’Université Hassan II. La gestion des carrières des enseignants relevant toujours de l’administration centrale, malgré la loi sur l’autonomie des universités qui prévoit l’inverse, les responsables des établissements ne peuvent pas grand-chose contre les absences répétées de professeurs ou leurs insuffisances académiques.

Par ailleurs, l’enseignement supérieur sera confronté, dans les trois à cinq prochaines années, à un véritable choc démographique faute d’avoir anticipé les départs massifs de professeurs à la retraite. En 2005-2006, l’opération «Départs volontaires», les fameux DVD, avaient déjà vidé les facultés de médecine de leurs meilleurs éléments. Ses conséquences se ressentent encore aujourd’hui. La crise de la relève touche désormais toutes les facultés et les écoles supérieures.

La Santé est gravement malade de ses RH
Dans le secteur de la santé qu’elle a passé au peigne fin, la charge de la Cour des comptes est violente. Ses magistrats soulignent l’absence de toute vision dans ce domaine et la planification des ressources humaines. Ces ressources ont connu, depuis des décennies, des problèmes structurels liés notamment au manque de personnel soignant, aux disparités dans leur répartition, ainsi qu’à la baisse de l’attractivité du secteur public.

Ces contraintes majeures dépassent le cadre d’intervention du  ministère de la Santé, et nécessitent l’implication des différents secteurs gouvernementaux concernés en matière de formation, de planification et de gestion des professionnels de la santé, ainsi que de s’assurer la convergence de leurs actions.

Ainsi, l’absence d’une véritable politique gouvernementale en matière de ressources humaines de santé et les actions limitées (marge de manœuvre restreinte) du ministère dans ce domaine, conjuguées aux difficultés liées à la planification, ne font qu’aggraver les problèmes liés aux ressources humaines. La répartition des cadres de santé entre les réseaux de soins, entre milieux et entre établissements ne repose pas sur des critères objectifs, constate la Cour des comptes. Conséquence : des disparités territoriales («le Maroc utile» et le reste), des déséquilibres de couverture de la population ainsi que des inadéquations entre les structures de soins et les RH dédiées.

Les projections parlent d’elles-mêmes
Tous secteurs compris, public et libéral, compte tenu des projections de croissance démographique, le déficit en nombre du personnel de soins (médecins, infirmiers et techniciens de santé) devrait continuer de se creuser, selon la Cour des comptes. De plus, par rapport aux prévisions des flux des diplômés, l’aboutissement à une bonne couverture de la population (4,45 agents de santé pour 1.000 habitants selon la norme OMS) n’est pas atteignable. A moins que l’appareil de formation maintienne le rythme de production de diplômés. Cela dépendra aussi de la capacité à retenir les compétences dans le secteur public.

Au rythme actuel de recrutement des médecins et sa projection future rapportés aux prévisions des départs à la retraite, les effectifs vont continuer de décroître. Si les recrutements et les départs restent au rythme actuel, les entrées ne suffiront pas à couvrir les départs à la retraite dès 2028. Pourtant, à cette échéance, le système de santé va devoir faire face à une forte demande en soins due à la généralisation de l’assurance-maladie.

Abashi Shamamba / Les Inspirations ÉCO

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