Fès : comment Ramadan transforme le commerce dans la médina

Durant Ramadan, la médina de Fès, habituellement paisible, est prise d’une fièvre commerciale. Les artisans et commerçants réalisent plus de 50% de leur chiffre d’affaires annuel, profitant de la demande accrue pour les produits traditionnels, des pâtisseries aux vêtements.

Les ruelles labyrinthiques de la cité millénaire de Fès, d’ordinaire bercées par le murmure des artisans et le marchandage des touristes, se métamorphosent en un véritable théâtre commercial à ciel ouvert. C’est le spectacle saisissant que propose la médina en cette période de Ramadan.

Dans le dédale des ruelles chargées d’histoire, le mois sacré n’est pas seulement une période de jeûne et de prière, c’est aussi, et surtout, un mois d’intense activité commerciale, où les traditions ancestrales rencontrent les réalités économiques contemporaines.

Les places emblématiques transformées en centres commerciaux
De Fès Jdid à Rcif, en passant par Bab Semmarine, les places emblématiques de la ville impériale attirent une foule dense et bigarrée venue de toute la région, voire du pays entier. Ces lieux deviennent alors des artères commerciales survoltées. Pour les commerçants de la médina, cette période est bien plus qu’une simple saison haute. C’est l’apogée de leur année ! «Le Ramadan, c’est notre bouffée d’oxygène», confie Nasser Benzakour, un commerçant de tissus installé près de la mosquée Karaouiyine.

«En deux mois, nous réalisons jusqu’à 60% de notre chiffre d’affaires annuel. C’est la période la plus importante pour nous, celle qui permet à la plupart des artisans de tenir le reste de l’année». Cette concentration de revenus en un laps de temps si court met une pression considérable sur les commerçants, les obligeant à optimiser leurs stocks, à recruter du personnel supplémentaire et à adapter leurs horaires pour saisir pleinement cette manne économique éphémère. La dynamique commerciale de Ramadan ne se limite pas à une simple augmentation des ventes. Elle transforme profondément la nature des échanges. Les commerçants rivalisent d’ingéniosité pour séduire une clientèle exigeante. Des dégustations improvisées de dattes et de chebakia aux étals débordants de couleurs et de parfums en passant par les négociations animées et autres sourires chaleureux, l’acte d’achat se transforme en une expérience immersive, ancrée dans les traditions Ramadanesques.

Cette atmosphère unique, à la fois intense et conviviale, contribue à faire de la médina de Fès un lieu de commerce exceptionnel. À l’occasion, le rythme de la médina, habituellement diurne, bascule dans un mode nocturne. Si l’activité tourne généralement au ralenti en matinée, elle explose littéralement dans l’après-midi. Les boutiques, d’habitude fermées en soirée, restent ouvertes jusqu’à très tard, profitant de l’effervescence ambiante.

Cette extension des horaires permet aux commerçants de maximiser leurs opportunités de vente, compensant ainsi la réduction du temps d’activité durant la journée. Les pratiques commerciales évoluent également. Le réapprovisionnement des étals devient un défi logistique quotidien face à la demande soutenue. La fraîcheur des produits alimentaires, notamment les pâtisseries traditionnelles, impose une gestion rigoureuse des stocks et une coordination accrue avec les fournisseurs et les artisans locaux.

Voyage gourmand
Le ftour, un moment sacré et convivial, engendre une demande alimentaire exceptionnelle. Les effluves de miel, de fleur d’oranger et de fritures sucrées embaument les ruelles, guidant les passants vers les étals débordants de délices. Les pâtisseries traditionnelles sont les stars incontestées de cette économie saisonnière.

La chebakia, joyau croustillant et mielleux, trône sur tous les étals. M’kharka, blighates, bouchnikha, makrout, briouates aux amandes…, la liste des gourmandises traditionnelles inondant les marchés et les foyers fassis est longue.

Face à l’explosion de la demande en cette période, la question des prix devient un enjeu de taille. Ramadan a la réputation d’être le mois le plus coûteux pour les ménages marocains, en raison de la hausse des prix des denrées alimentaires de base.

Pour y faire face, les autorités locales interviennent régulièrement pour contrôler les prix et lutter contre la spéculation abusive, afin de garantir à tous les citoyens un accès aux produits essentiels. Cette intervention crée un cadre réglementaire spécifique qui influence directement les pratiques commerciales dans la médina de Fès.

Paradoxalement, cette contrainte stimule l’innovation et la valorisation de la qualité. L’artisanat local et les produits traditionnels tirent leur épingle du jeu.

La mode traditionnelle fassie à l’honneur
La frénésie acheteuse ne se limite pas à l’alimentaire, elle s’étend aussi aux vêtements traditionnels, aux produits de beauté naturels, aux articles de décoration artisanaux. Ramadan devient ainsi une vitrine exceptionnelle pour l’artisanat local, renforçant son rôle économique et culturel au sein de la médina. Le désir de porter des tenues plus originales, combiné à la dimension sociale et festive des soirées Ramadanesques, stimule les ventes de caftans, djellabas et autres tenues traditionnelles marocaines.

Les boutiques de la médina spécialisées dans ce domaine connaissent une affluence record. Le caftan, symbole de l’élégance marocaine, devient la pièce maîtresse des garde-robes de Ramadan. La djellaba makhzania brodée à la main, véritable œuvre d’art textile, est particulièrement prisée.

Cette demande pour les vêtements traditionnels s’inscrit dans une dynamique plus large d’équilibre entre tradition et modernité qui caractérise la société marocaine contemporaine. Ramadan, tout en ancrant la population dans ses traditions ancestrales, offre aussi un espace de liberté sociale et de convivialité, notamment lors des soirées Ramadanesques.

Cette dualité se reflète dans les choix vestimentaires, où la tradition se conjugue avec une certaine modernité et un souci d’élégance.

Mehdi Idrissi / Les Inspirations ÉCO