Fatim-Zahra Ammor : “Le tourisme interne figure parmi nos priorités”
Fatim-Zahra Ammor, ministre du Tourisme, de l’artisanat et de l’économie sociale et solidaire, dévoile, dans cet entretien, la place accordée au tourisme interne dans le cadre de la feuille de route touristique 2023-2026 et les leviers qui seront activés pour le développement de ce créneau, lequel constitue la principale clientèle du secteur.
En se référant aux chiffres d’avant Covid-19, on constate que la progression la plus importante a été observée au niveau des nuitées des nationaux, qui sont passées de 4,03 millions en 2010 à 7,84 millions en 2019. En chiffres, quel est le poids de ce marché en matière d’indicateurs touristiques ?
Effectivement, entre 2010 et 2019, le tourisme interne a connu une bonne évolution, passant de 4 millions à 7,8 millions de nuitées. Cette progression a continué en 2022 pour atteindre 8 millions, soit 42% des nuitées globales. En 2019, plus de 3,5 millions de touristes marocains résidents ont transité par des établissements touristiques classés, soit 10% de la population du Maroc. Ces chiffres reflètent une mutation sociale majeure durant la dernière décennie, induisant une démocratisation du voyage de loisirs plutôt que de nécessité. Nous savons par ailleurs, d’après nos études, que seuls 25% des touristes nationaux recourent aux établissements classés. En 2019, le nombre de nuitées réalisées par ces derniers est estimé à plus de 30 millions de nuitées, si l’on compte les séjours chez la famille/amis mais également la location chez les particuliers, laquelle constitue un mode de consommation très prisé par le consommateur marocain.
Quelle place accorde la nouvelle feuille de route 2023-2026 à ce segment qui correspond à une enveloppe budgétaire de 6,1 MMDH ?
Le tourisme interne figure parmi nos priorités, et dans notre feuille de route 2023-2026 du secteur, nous lui accordons une place particulière. Dans la nouvelle logique d’offre que nous avons adoptée et qui, pour rappel, fait passer notre offre touristique d’une logique de destination à une logique de filières, nous avons dédié deux filières touristiques au tourisme interne qui sont «Bord de mer» et «Nature & Découverte». Nous avons identifié ces deux filières en nous basant sur les préférences du touriste marocain. La première, parce que le bord de mer reste le produit de prédilection des Marocains. La deuxième («Nature & Découverte»), pour développer une offre moins saisonnière qui permettra au touriste marocain de voyager tout au long de l’année. Concrètement, cela se traduira par la mise en place de feuilles de routes opérationnelles dédiées au tourisme interne, incluant des projets et mesures spécifiques pour le développement de ce segment important. Dans ce sens, un laboratoire d’impulsion dédié sera mis en place avec une équipe multidisciplinaire publique-privée ainsi que la mobilisation d’experts. Par ailleurs, nous travaillons sur l’adaptation et la conversion de la capacité d’hébergement existante aux besoins et pouvoirs d’achat ainsi qu’à la création de nouvelles capacités ciblées comme les campings et les appartements familiaux. Enfin, n’oublions pas que les autres filières thématiques et transverses s’adressent aux touristes, qu’ils soient nationaux ou internationaux, notamment les filières City Break, Beach & Sun, Circuits Culturels, Desert & Oasis Adventure, Ocean Waves, et enfin Nature, Trekking and Hiking.
Durant le contexte de relance touristique, le tourisme interne a joué un rôle vital dans le maintien de la résilience du secteur, aux côtés des différentes mesures de soutien. À votre avis, quels sont les facteurs qui n’ont pas permis auparavant de tirer profit de l’énorme potentiel qu’offre ce segment ?
Il est indéniable que le tourisme interne a été un vrai levier de résilience pendant la crise du Covid-19. Mais il a montré son dynamisme bien avant, comme le montrent les croissances enregistrées depuis 2010. En comparaison avec le tourisme international, la croissance moyenne annuelle, entre 2010 et 2019, était de 7,6% pour le tourisme interne, contre seulement 2,5% pour les nuitées des touristes étrangers. Aussi, gardons en tête que le tourisme interne est corrélé au développement du pays. Notre pays a connu de vraies avancées socio-économiques sous le leadership de Sa Majesté le Roi Mohammed VI que Dieu l’assiste, qui ont permis une démocratisation du voyage chez les Marocains.
Le développement du tourisme interne passe impérativement par une meilleure adaptation de l’offre touristique (produit) aux besoins et au pouvoir d’achat des touristes nationaux, surtout dans ce contexte d’inflation. Comment votre département compte arriver à cet objectif ?
L’adaptation de l’offre aux besoins, aux habitudes et au pouvoir d’achat des touristes marocains est au cœur du travail que nous sommes en train de mener dans le cadre de la feuille de route. Cela étant, nous ne démarrons pas de zéro. Il existe déjà aujourd’hui une capacité en Hôtels, Clubs et Résidences Hôtelières qui permet d’offrir à nos concitoyens des produits adaptés à leurs besoins. Mais notre objectif est de leur donner plus de choix en créant de nouveaux hébergements alternatifs qui répondront à différents besoins, que ce soit des voyages en familles ou d’autres formes de tourisme plus expérientielles comme l’éco-tourisme.
Depuis le lancement en 2003 du programme Kounouz-Biladi, cette opération n’a pas fait l’objet d’une forte adhésion de la part des hôteliers. Selon vous, quelle est la formule la plus appropriée pour garantir l’implication des professionnels dans l’appui de ce segment, dans le cadre de la confection de futurs programmes dédiés au tourisme interne ?
Nous avons la chance, aujourd’hui, d’avoir une relation privilégiée avec les professionnels. Ceci est le fruit d’un dialogue constructif que nous avons entamé dès ma nomination à la tête de ce département. Ce dialogue a été la base de l’ensemble des projets que nous avons menés, de la relance du secteur jusqu’à l’élaboration de la feuille de route 2023-2026. Nous avons tenu à ce que les professionnels soient impliqués dans les différentes phases de la feuille de route, de l’élaboration jusqu’au déploiement, puisqu’ils participeront dans différents chantiers structurants. Pour le tourisme interne, et comme précisé précédemment, il occupe une place très importante dans cette feuille de route, à travers les filières touristiques ainsi que tous les leviers que nous allons actionner pour créer une offre plus adaptée. C’est un chantier que nous allons mener avec les professionnels mais aussi avec toutes les forces vives. Et je peux vous garantir que les professionnels sont plus motivés que jamais pour réussir avec nous ce pari.
Sur huit stations touristiques, deux ont vu jour dans le cadre du plan Biladi, à Imi Ouddar et Ifrane. Actuellement, est-ce que la capacité litière est en mesure, malgré la saisonnalité des flux nationaux, d’accompagner le développement de ce segment ?
S’agissant des stations touristiques Biladi, adaptées uniquement à une tranche de population bien précise, trois stations ont vu le jour au niveau d’Ifrane, Agadir et Mehdia, avec une capacité additionnelle créée d’environ 12.000 lits. En réalité, le business model choisi (avec pour unique cible les nationaux), ne permettait pas de réaliser des niveaux de rentabilité attractifs pour des investisseurs privés.
En effet, lorsque nous analysons les tendances de consommation du touriste national, nous constatons qu’il s’oriente plus vers le moyen standing avec 66% des nuitées dans les hôtels 4* à hauteur de 25%, 5*(21%) et 3* (20%).
Durant les cinq dernières années, la capacité litière a significativement évolué, en corrélation avec l’évolution des nuitées consommées par les touristes marocains. Plus de 80% de la capacité additionnelle créée a été développée au niveau des destinations les plus prisées par les nationaux à savoir Marrakech, Tanger et Agadir avec la progression, également, de la Région de l’Oriental. Aussi, de nouvelles destinations ont émergé auprès du touriste marocain comme Dakhla, qui a connu une forte progression, avec un taux de croissance annuel moyen de 21% sur les huit dernières années. Enfin, je rappelle que le taux d’occupation moyen des établissements d’hébergement touristique classés est de 48%, ce qui implique que nous disposons encore d’une capacité litière importante à remplir et qui peut accompagner le développement du tourisme interne.
Quels seront les chantiers prioritaires afin de sortir ce marché de la spécificité saisonnière qui le caractérise, notamment en période estivale ?
Notre objectif est de lisser les voyages tout au long de l’année et de diversifier ainsi les expériences. Pour ce faire, nous travaillons sur trois chantiers prioritaires. Le premier consiste à faire émerger de nouveaux produits autres que le balnéaire, notamment la nature, le city break, la culture. Des produits qui peuvent être consommés à n’importe quel moment de l’année. Le deuxième chantier porte sur un choix d’hébergement diversifié qui répond au mode de voyage (plutôt familial) et au pouvoir d’achat. Nous sommes conscients que l’hébergement est un critère déterminant pour le touriste marocain. C’est pourquoi nous avons accéléré l’adoption des textes d’application de la loi n°80-14 relative aux établissements touristiques et aux autres formes d’hébergement touristique, pour en intégrer rapidement de nouvelles formes telles que l’hébergement chez l’habitant et l’hébergement alternatif. Ceci se déclinera sous forme d’unités d’hébergement innovantes et familiales, offrant une meilleure qualité de service avec des cahiers des charges spécifiques. Aussi, pour permettre à un plus grand nombre de nos concitoyens de voyager, nous continuons d’avancer sur les dispositifs d’accompagnement, notamment les chèques-voyages qui permettront un départ en vacances pour un plus grand nombre de Marocains. Le troisième chantier est celui de la promotion interne de notre pays et des richesses qu’il recèle. Avec l’ONMT, nous continuerons de déployer la campagne «Netla9aw f bladna» qui sera centrée sur les expériences à vivre en groupes, en famille ou entre amis.
Yassine Saber / Les Inspirations ÉCO