Maroc

Enseignement : interminable ping-pong dans le dossier des AREF

Le gouvernement est appelé à mettre fin au dialogue de sourds. Deux points phares du cahier revendicatif sont en cours de résolution: la mobilité et la retraite. Les enseignants cadres des AREF campent sur leur position et plaident pour leur intégration dans la fonction publique. Les protestations se poursuivent, mettant en jeu l’avenir des élèves.

Le dossier des enseignants cadres des Académies régionales d’éducation et de formation (AREF) demeure une grosse épine dans le pied du gouvernement, qui n’arrive toujours pas à trouver d’issue. Les protestataires comptent ne rien lâcher sur leur cahier revendicatif. Pis encore, les tensions se sont exacerbées davantage après les violences commises à leur encontre, lors de la dispersion de leurs rassemblements à Rabat. Ces violences ont été dénoncées sur les réseaux sociaux, par les acteurs associatifs, les partis politiques et des parlementaires. Le groupement parlementaire de la Confédération démocratique du travail (CDT) a demandé la convocation à la Chambre des conseillers d’Abdellatif Hammouchi, directeur général de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN), en présence du ministre de l’Intérieur. Le groupe parlementaire du PJD à la Chambre des représentants lui a emboîté le pas en adressant une lettre au président de la Commission de l’Intérieur pour demander la tenue d’une réunion avec le ministre de l’Intérieur. Les derniers rebondissements ont, ainsi, remis au goût du jour le dossier revendicatif de ces enseignants. Rappelons que la principale requête des cadres des AREF concerne leur intégration dans la fonction publique alors que le gouvernement affiche un niet catégorique face à cette doléance. Même si l’Exécutif a mis fin, en mars 2019, au système de contractualisation qui a été à l’origine de la grogne des enseignants recrutés par les académies, le problème n’est pas encore résolu. Jusqu’à présent, le gouvernement n’a pas réussi à calmer les esprits.

D’ailleurs, le ministre l’Éducation nationale, de la formation professionnelle, de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, Saaid Amzazi, a été récemment interpellé sur ce dossier par les députés qui l’ont appelé à œuvrer à mettre fin aux multiples débrayages observés par ces enseignants sur toute l’étendue du territoire national. Cet appel n’a pour autant pas eu un grand effet, puisque l’exécutif ne compte visiblement pas répondre à la principale requête des enseignants. Le gouvernement n’a eu de cesse de préciser, à chaque fois, que les enseignants cadres des académies jouissent d’une situation professionnelle similaire à celle des fonctionnaires du ministère (salaires, promotions…), sauf pour deux aspects qui sont en cours de résolution avec les parties concernées : la mobilité et la retraite.

Négociations
Les discussions sont en cours avec les AREF pour pouvoir résoudre la question de la mobilité qui n’est garantie, jusque-là, qu’à l’intérieur de la région dans laquelle l’enseignant de l’académie a été recruté. Cette disposition est très critiquée, partant du fait qu’elle ne garantit pas l’égalité avec les enseignants du ministère qui ont, eux, droit à la mobilité nationale. Cela fait quelque mois que le ministre de tutelle a annoncé que ce problème allait être résolu. Une procédure d’échange de cadres entre les AREF sera mise en place à l’instar de ce qui est fait pour les universités, est-il promis. Quant à la retraite, il est utile de rappeler que les fonctionnaires du ministère adhèrent à la Caisse marocaine de retraite (CMR) alors que les enseignants des académies sont affiliés au Régime collectif d’allocation de retraite (RCAR). Les deux systèmes sont différents tant sur les taux de cotisations que les pensions de retraite. Le ministère de l’Education nationale et celui de l’Economie et des finances planchent sur ce dossier pour régulariser la situation des cadres des AREF, nous confie une source interne. Les enseignants des AREF pourraient, ainsi, bientôt bénéficier du même régime de retraite que les fonctionnaires. Si pour l’heure, rien n’est encore officiel, notre source souffle en tout cas que, tôt ou tard, l’unification des deux caisses sera opérée dans le cadre de la réforme des systèmes de retraite. Bémol: cette réforme qui devait être lancée au cours de ce mandat gouvernemental tarde à voir le bout du tunnel. D’après les différents pronostics, tout porte à croire que l’exécutif n’aura pas le temps, à quelques mois des élections, de faire passer cette réforme qui vise le basculement vers un système de retraite bipolaire dans la perspective d’aboutir à un régime de retraite unique à long terme. Dans l’attente de l’aboutissement de ce chantier, les cadres des AREF plaident pour la résolution immédiate de leur cas.

Problème de masse salariale ?
Le règlement de ces deux points ne sera pas suffisant pour mettre fin à la grogne des enseignants des AREF qui tiennent à leur intégration directe dans la fonction publique, à l’instar des anciens enseignants alors que l’exécutif ne compte pas faire marche arrière concernant l’objectif de réduction de la masse salariale. Un point que le gouvernement n’a pas encore bien expliqué car le budget consacré à la masse salariale dans les AREF provient du budget général de l’Etat. En effet, 90 % du budget du ministère de l’Education nationale est réparti entre les 12 académies régionales. Une source proche du dossier estime qu’il s’agit là d’un faux débat, car les AREF doivent dorénavant développer leurs sources de financement à travers les partenariats, notamment les Partenariats public-privé, les subventions, la gestion de leur patrimoine foncier… Une explication qui jette de l’huile sur le feu : les enseignants cadres des AREF craignent, en effet, une instabilité financière des académies, contrairement à l’appartenance à l’Etat qui garantit les salaires des fonctionnaires. La coordination nationale de ces enseignants plaide pour la création des postes budgétaires dans le cadre de la loi de finances. À cet égard, le ministère de tutelle rappelle que ce mécanisme ne permet pas de recruter suffisamment d’enseignants pour répondre aux besoins du système éducatif. Par le passé, on ne dépassait pas 5.000 postes budgétaires créés par la loi de finances alors que, depuis 2016, ce chiffre a triplé. Le nouveau système permet de répondre aux besoins des régions et d’améliorer la qualité de l’enseignement même dans les zones les plus reculées, selon le département de tutelle. Une explication qui est loin de convaincre les protestataires.

Crainte d’instabilité
Outre la mobilité et la retraite, les cadres des AREF pointent du doigt « la fragilité » de leur système de recrutement. Ils craignent, entre autres, l’injustice en matière d’application des mesures disciplinaires par les instances décisionnelles des académies. Selon nos sources, il s’agit d’une crainte infondée car, d’une part, les mesures disciplinaires sont similaires à celles appliquées aux enseignants fonctionnaires en cas de faute professionnelle grave et, d’autre part, le département de tutelle veille à la garantie de la stabilité du système éducatif qui compte actuellement quelque 102.000 enseignants cadres des AREF, soit 33 % du corps professoral. Face à ce cadre global, le gouvernement est appelé à mettre fin au dialogue de sourds. A l’heure où le Maroc est en train de mettre en œuvre la réforme de l’enseignement, le dossier des enseignants doit être érigé en priorité. Cette réforme ne peut, en effet, réussir sans ce pilier fondamental. Tant que cette problématique n’est pas résolue, l’avenir de millions d’élèves est en jeu, en raison des débrayages successifs de ces enseignants. Après la grève observée cette semaine, le mouvement de grogne se poursuivra en avril prochain, si rien n’est fait entre-temps. 

Jihane Gattioui / Les Inspirations Éco



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