Maroc

Enseignement à distance: Amzazi fait le point

Les vacances scolaires qui étaient programmées à partir du 29 mars sont reportées pour assurer la continuité du dispositif de l’enseignement à distance. Les dates des examens sont maintenues, du moins pour le moment. Des scénarios d’une éventuelle reprogrammation des examens sont à l’étude si la crise dure. La publication d’un décret réservé à l’obligation de l’usage des NTIC est érigée en priorité. Les détails avec Saaïd Amzazi, ministre de l’Éducation nationale qui écarte catégoriquement le scénario d’une année blanche.

Quelle évaluation faites-vous de la mise en place du nouveau dispositif de l’enseignement à distance ?
Un travail remarquable a été fait par les différents enseignants, les inspecteurs et les acteurs administratifs. Directement après l’annonce de la suspension des cours, vendredi 13 mars, nous avons constitué des groupes de travail. Dès samedi 14 mars, le tournage a commencé. Le challenge était de pouvoir démarrer le 1er jour de l’arrêt de la scolarité, soit lundi 16 mars. Nous avons été au rendez-vous. Le portail «tilmid tice» a démarré à 10H. À midi, la diffusion des premiers contenus sur la quatrième chaîne a été lancée. Nous avons activé une ligne offline pour recevoir les réactions des familles, des enseignants et du grand public.

Le Maroc ne part pas de zéro en matière d’enseignement à distance mais pourquoi peu de ressources pédagogiques étaient disponibles ?
«Tilmid tice» est un portail qui existe depuis longtemps, depuis le démarrage du programme GENIE (Généralisation des technologies d’information et de communication dans l’enseignement au Maroc) qui a permis, il y a une douzaine d’années, de fournir l’équipement informatique à 85% des établissements et à les connecter y compris en milieu rural et à former quelque 150.000 enseignants en la matière. Ce qui nous a permis de développer une grande expertise dans le domaine. Cinq ans après le lancement de ce programme, la production du contenu numérique a commencé. Le premier jour du démarrage de l’enseignement à distance, quelque 600 contenus étaient déjà disponibles et couvraient toute l’année. La priorité a été donnée, lors des premiers jours, à la diffusion des cours aux niveaux certificatifs sur le portail «Tilmid tice» : le baccalauréat (1re et 2e année), le brevet (3e année du collège) et la 6e année primaire. C’est un portail qu’on peut consulter sur tablette, ordinateur, smartphone. Il contient des contenus par niveau et par discipline. Il est vrai que durant les premiers jours, il n’y avait pas beaucoup de contenus car il fallait se concentrer uniquement sur les chapitres qui restent encore à enseigner d’ici la fin de l’année. À côté de «tilmide tice», nous avons lancé «Taalim tice», un portail qui contient des ressources que nous avons achetées dans plusieurs bibliothèques. Il contient plus de 1.000 ressources. Un élève peut naviguer entre «tilmid tice» et «Taalim tice» et peut suivre ses leçons sans aucun problème.

Quid des familles qui ne disposent pas d’internet et d’ordinateurs ?
Nous avons pensé à toutes ces familles qui n’ont ni ordinateurs, ni smartphones, ni connexion internet. Nous avons négocié avec la SNRT de disposer de la quatrième chaîne. La réaction de M.Laaraichi a été rapide. Il a non seulement permis la diffusion des contenus des cours filmés sur la quatrième chaîne «Attaqafia» mais il nous a aussi donné quatre caméras pour pouvoir filmer les cours. Les cours qui sont diffusés sur la quatrième chaîne viennent d’être filmés. On a passé samedi, dimanche et lundi de la première semaine à filmer ces cours. Il fallait assurer au moins la programmation d’une semaine. Ces cours exigent une certaine qualité de son, d’écriture, d’enseignement…C’est un travail monstre qui a été fait. Aujourd’hui après 13 jours ( NDR : interview réalisée le jeudi 26 mars), le portail «timid tice» est de plus en plus riche. Tous les niveaux sont aujourd’hui couverts, de la première année primaire jusqu’au terminal. Des liens de tous les partenaires sont sur «Taalim tice». Le portail «taalim.ma» a été aussi lancé pour permettre à chaque enseignant de se créer sa classe virtuelle à travers l’outil «Microsoft teams» dont dispose l’Éducation nationale puisque ce portail est arrimé à «Massar» qui comprend tous les enseignants et les élèves. Un enseignant peut créer sa classe en 5 secondes.

Tout dépend de la volonté de l’enseignant. Ce n’est pas un dispositif obligatoire ?
Je tiens à souligner que nous avons réussi la mise en place du dispositif technique et nous l’avons testé. Il est possible de générer trois, quatre classes pour chaque enseignant afin qu’il puisse suivre ses élèves durant la journée et respecter exactement son emploi du temps comme s’il était dans son établissement. Il peut donner des exercices, des cours, sous forme de vidéo, de PowerPoint…De mardi à jeudi, 222.000 classes ont été créées soit 31% des classes. Le chemin est encore long pour pouvoir faire adhérer tous les enseignants mais on note déjà l’adhésion de quelque 50.000 enseignants qui sont très actifs sur un total de 250.000. Vous avez dit que ce n’est pas un dispositif obligatoire. Il faut reconnaître que nous sommes aujourd’hui en train de vivre une situation exceptionnelle. L’enseignement à distance ne pourra jamais remplacer l’enseignement présentiel. Nous demandons l’adhésion des enseignants dont la plupart ont manifesté cette volonté. On veut plus de sérénité, plus de sens de patriotisme et d’adhésion à ce grand projet national. Personne ne peut prédire, pour le moment, l’arrêt de ce dispositif. Le ministère de la Santé gère la situation au jour le jour. Nous n’avons aucune idée de l’évolution de l’épidémie chez nous.

Au cas où l’épidémie dure, le dispositif de l’enseignement à distance va-t-il continuer ?
Nous allons continuer jusqu’au bout jusqu’à ce qu’on termine le programme. Aujourd’hui, l’enseignement à distance est le seul moyen d’enseigner nos élèves.

Les vacances scolaires sont-elles annulées ?
Il n’ y aura pas les vacances scolaires qui étaient prévues à partir du 29 mars. Nous allons continuer à dispenser l’enseignement à distance. Les réactions des familles sont favorables. Le dispositif a été renforcé. Nous ne sommes pas limités à la quatrième chaîne. Le contenu pédagogique est diffusé aussi sur la chaîne de Laâyoune de 8h à 19H et sur Al Amazighia de 8H jusqu’à midi afin de pouvoir couvrir tous les niveaux et pour que chacun puisse s’y retrouver. On peut critiquer le dispositif mis en place mais je tiens à souligner que nous avons fait le mieux que nous pouvions en si peu de temps.

Quels sont vos objectifs aujourd’hui pour améliorer le dispositif ?
Nous travaillons sur la qualité et prenons plus de temps pour analyser les contenus, les regarder, les revisionner, rejeter certains, accepter d’autres, choisir d’autres enseignants beaucoup plus éloquents…

Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées ?
Franchement, les enseignants nous ont énormément facilité la tâche grâce à leur grand engouement. Au début, nous avons commencé au niveau central. Les académies ont manifesté leur volonté d’y contribuer. Dès lundi, une répartition a été faite aux AREF. Chaque soir, on recevait des dizaines de cours filmés de part et d’autre. Toutes les académies ont mobilisé leurs directions provinciales pour faire cette production. Trois jours après, les enseignants aussi ont manifesté leur volonté de contribuer au processus. C’est ainsi qu’on a pensé à lancer «Taalim.ma» pour permettre à chaque enseignant d’avoir sa classe virtuelle.

Au départ, les familles et les élèves craignaient une année blanche. Qu’en dites-vous ?
Avant la décision de la suspension des cours, 75% du programme était déjà dispensé. En aucun cas, on ne peut parler d’une année blanche. Quelques sites électroniques avaient lancé cette idée infondée, farfelue. Il ne faut absolument pas parler d’une année blanche.

Les examens seront-ils reprogrammés ?
Pour le moment, les examens sont retenus à leurs dates, à partir du début du mois de juin comme prévu pour les niveaux certificatifs. Rien ne change, pour le moment. J’espère que la date du 20 avril fixée par le gouvernement, dans le cadre du décret-loi, sera celle de la fin du confinement. Au cas où cette date est repoussée, nous sommes en train d’évaluer tous les scénarios possibles de la reprogrammation de ces examens et des conditions de les passer.

Les universités marocaines ont-elles les moyens de dispenser l’enseignement à distance ?
Bien sûr. Il n’y a pas une université qui n’a pas de studio d’enregistrement et de plateforme pédagogique d’enseignement à distance. Les sites web des universités sont riches en contenu. Mercredi dernier, j’ai fait une visioconférence avec tous les présidents des universités ; on est entre 80 et 100% de cours couverts par l’enseignement à distance. Mieux encore : nous avons également commencé, le 25 mars, la diffusion de certains cours sur la chaîne Arryadia. Des cours sont en cours d’enregistrement au niveau des universités notamment ceux des licences fondamentales qui constituent 87% des étudiants (droit et économie, gestion, sciences humaines et sociales, sciences…). La priorité est donnée à l’accès ouvert pendant la première semaine. Nous sommes aujourd’hui en train de filmer des travaux pratiques pour les étudiants de médecine et de médecine dentaire que nous allons projeter. Des classes virtuelles vont aussi être créées à travers teams. Nous avons aussi les MOOCs (Massive Open Online Courses) qui sont sur une autre plateforme edX. Beaucoup d’étudiants recourent à ces cours, notamment en comptabilité générale, en entrepreneuriat, en développement durable…Ce sont des cours entiers de A à Z avec des séquences et des travaux à rendre…

Quid des ateliers de la formation professionnelle ?
Une grande partie de la formation professionnelle est faite au niveau des ateliers dont les apprentissages nécessitent de la manipulation, beaucoup de dextérité et des travaux manuels. Malheureusement toutes ces activités en atelier ne se feront pas mais des TP filmés sont projetés aux élèves et stagiaires. Je tiens par ailleurs à rappeler qu’on a pu arracher la gratuité de tous les sites qui diffusent «tilmide tice», «taalim tice» et «taalim.ma» et tous les sites des universités marocaines et de la formation professionnelle.

La loi-cadre de l’éducation et de la formation stipule le développement de l’enseignement électronique. Sera-ce le début de la mise en œuvre de cet objectif ?
Il s’agit de la consécration de tous les efforts amorcés au niveau des universités, du secondaire, du primaire et de la formation professionnelle. Parmi le dispositif législatif que nous avons présenté au chef du gouvernement et que nous sommes en train d’appliquer à travers des décrets de loi, un décret est réservé à l’obligation de l’usage des NTIC. On ne veut pas qu’un enseignant puisse utiliser ces supports uniquement parce qu’il a la volonté de le faire mais il faut que ce soit une activité obligatoire au sein des classes. Les compétences que nous sommes en train de développer à travers ces outils ne peuvent pas être dispensées à travers une classe classique, notamment le travail collaboratif. À travers les NTIC, on peut écrire une leçon de manière collaborative. Ainsi, on développe le sens critique, l’esprit d’analyse, le travail en groupe…Toutes ces compétences ne sont pas en effet développées dans le cadre de la pédagogie d’une classe classique. La publication de ce décret sur l’usage des NTIC est érigée en priorité.

C’est le principal enseignement à tirer de cette expérience ?
Beaucoup d’enseignements sont à tirer de cette expérience inédite qui mérite d’être développée, améliorée, généralisée et pérennisée. On ne pouvait pas imaginer une adhésion aussi importante autour de ce projet national, le sens de la responsabilité des enseignants, le volontarisme, la résilience d’un certain nombre de familles, d’enseignants et d’élèves qui acceptent cette situation et qui font tout pour faire réussir cette phase. C’est une expérience extraordinaire sur le plan humain.


Éviter l’impact sur les résultats des élèves

Le ministère de tutelle est en train de travailler sur l’amélioration de la qualité des contenus pédagogiques numériques. Pour que cette qualité soit au rendez-vous, Saaïd Amzazi estime qu’il faut non seulement la contribution du ministère mais également l’adhésion des familles dont le rôle est capital. L’heure est en effet à la «co-éducation». Les parents sont appelés à réveiller leurs enfants à 8h, leur préparer leur petit déjeuner à temps et à leur demander d’aller étudier. Il faut vérifier, chaque heure, s’ils sont vraiment en train de travailler. Dès la reprise des cours, des séances de soutien scolaire et de rattrapage très intenses seront organisées pour combler les lacunes et réduire la différence d’assimilation et d’acquisition entre les élèves. Un temps suffisant sera consacré à ces séances «quitte à décaler les examens d’une semaine ou deux», comme l’assure Amzazi. Le responsable gouvernemental s’attend à ce que les cas soient très différents, selon chaque famille : certaines familles vont être très impliquées avec leurs enfants, d’autres vont à peine regarder ce qu’ils font alors que quelques-unes ne vont même pas suivre le déroulement de l’enseignement à distance. «Il faut que le niveau d’apprentissage soit standardisé à travers les séances de soutien et de rattrapage», selon le ministre.



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