Enquête: les Marocains ont-ils confiance en leurs institutions ?
La confiance des citoyens dans les institutions politiques a été rudement mise à l’épreuve pendant cette période de crise sanitaire. Dans une récente enquête de la fondation Konrad Adenauer Stiftung (KAS) portant sur la confiance dans les institutions politiques au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, les citoyens marocains se démarquent dans la région, avec le capital confiance le plus important dans les institutions, qu’elles soient politiques, administratives ou sécuritaires. Décryptage.
Les gouvernements et autorités ayant été relativement efficaces pour stopper la propagation du nouveau coronavirus pourront mieux rentabiliser le capital confiance placé en eux. Ce constat émane de l’enquête PolDiMed 2020 de la fondation Konrad Adenauer Stiftung (KAS), publiée il y a quelques jours, qui révèle des disparités importantes en matière de confiance dans les institutions de la région. Tout au long de l’année 2020, les pays de la région MENA ont été confrontés à des défis importants à cause de la Covid-19. Les premières mesures énergiques prises pour lutter contre le virus semblent avoir modifié l’opinion des citoyens à l’égard de leurs gouvernements, ce qui constitue en soi un revirement de situation inespéré.
En effet, les troubles observés dans la région en 2019 et 2020 ont davantage creusé la baisse de confiance dans les institutions, notée durant la dernière décennie déjà. Gardons à l’esprit qu’au niveau régional, les niveaux de confiance dans les gouvernements avaient chuté d’environ 20 points entre 2013 et 2018, selon les résultats du Baromètre arabe. Cependant, la confiance dans les parlements et les partis politiques reste faible, ce qui est préoccupant car ces deux institutions sont conçues pour mettre les citoyens en contact avec leur gouvernement. Selon la Fondation, l’instauration d’une plus grande confiance dans chacun de ces organes nécessitera des changements importants, notamment l’augmentation de la mesure dans laquelle ils remplissent les fonctions qui leur sont assignées et répondent au mieux aux besoins des citoyens.
Dans tous les pays étudiés, moins de la moitié des citoyens font pleinement, beaucoup ou quelque peu confiance aux partis politiques. Cette tendance se poursuit dans l’ensemble de l’Union européenne, ce qui montre que les partis politiques sont largement discrédités. Ce résultat découle, entre autres raisons, des limites des partis de la région à développer une large base ou plateforme qui vise à améliorer la vie des citoyens. Au lieu de cela, ils sont souvent considérés comme des véhicules d’intérêts d’hommes politiques ou des coquilles vides pour soutenir des régimes non démocratiques.
Les niveaux de confiance dans les partis politiques sont les plus élevés au Maroc (46%) et en Algérie (37%). Le système de partis relativement stables, leur identification relativement plus élevée ou encore leur ancienneté peuvent expliquer ce résultat au Maroc, souligne l’enquête. Or, la confiance est l’un des facteurs essentiels pouvant conduire à une bonne gouvernance et à favoriser de solides résultats économiques. Le faible niveau de confiance de nombreuses institutions de la région, en particulier celles conçues pour canaliser les demandes des citoyens vers leurs gouvernements, tels que les partis politiques et les parlements, est profondément préoccupant. Toutefois, les niveaux de confiance sont plus élevés pour un certain nombre d’autres institutions qui pourraient contribuer à canaliser les demandes des citoyens vers leurs dirigeants.
Les gouvernements nationaux et dirigeants politiques
Le niveau de confiance dans les gouvernements nationaux varie considérablement dans la région. Au Maroc, les trois quarts (76%) des populations participant à l’enquête déclarent avoir une confiance totale, grande ou moyenne dans le gouvernement. Les niveaux de confiance sont similaires en Jordanie (71%) et en Algérie (70%), sept personnes sur dix déclarant la même chose. Toutefois, ces résultats s’accompagnent d’une note de prudence – dans les trois cas, la réponse la plus courante est «une certaine confiance», ce qui indique que le degré de confiance dans le gouvernement reste relativement faible.
Dans une large mesure, les niveaux de confiance relativement élevés dans ces trois pays sont probablement dus à la manière dont les gouvernements ont géré la pandémie de la Covid-19. La confiance dans le parlement est la plus élevée au Maroc, où une légère majorité (56%) dit avoir pleinement, beaucoup, ou quelque peu confiance en cette institution. Ailleurs, moins de la moitié des citoyens font confiance à leur parlement : 44% en Algérie, 37% en Jordanie. Au Liban et en Tunisie, les niveaux de confiance dans le parlement sont bien plus faibles, avec seulement 19% de capital confiance dans les législatures des deux pays. Pour la Tunisie, le pays censé être le plus démocratique de la région, ce faible niveau suscite une grande inquiétude pour l’avenir du pays. En Libye, la confiance dans le Congrès national général (CNG) est également faible : seul un tiers des citoyens lui font entièrement, beaucoup ou quelque peu confiance. Dans toutes les régions du pays, ce niveau se situe entre 27 et 37%.
Les autorités locales
Au Maroc, 72% des personnes interrogées déclarent faire entièrement, beaucoup ou quelque peu confiance aux autorités locales, contre près des deux tiers en Algérie (65%) et en Jordanie (64%). Dans ces deux pays, la confiance est légèrement plus faible qu’au niveau national, mais pas de manière substantielle. La Libye, où il n’existe pas de gouvernement national unifié et opérationnel, constitue une exception majeure à cette tendance. Pour ce qui est des collectivités locales, des majorités au Maroc (74%), en Algérie (61%), en Libye (60%) et en Jordanie déclarent faire entièrement confiance, beaucoup ou assez confiance à l’administration municipale. Pour le Maroc, l’Algérie et la Jordanie, ces résultats impliquent que les citoyens n’ont pas une perception très différente de l’administration, quel que soit le niveau ou la fonction, tandis qu’en Libye, elle renforce l’importance des autorités municipales à un moment où le gouvernement national est largement incapable de répondre aux besoins fondamentaux des citoyens. Toutefois, l’opinion sur les performances du gouvernement ne varie pas de manière cohérente en fonction de l’âge ou du niveau de revenu, mais il semble que les personnes ayant une formation universitaire soient moins enclines à approuver les efforts du gouvernement que celles qui ont un niveau d’éducation plus faible. Des différences significatives sont constatées au Maroc (-12 points), en Jordanie (-8 points) et en Tunisie (-7 points).
L’armée et la police
Il existe également une confiance relativement élevée dans les institutions conçues pour assurer la loi et l’ordre. L’armée reste l’institution la plus fiable de la région, tandis que la confiance dans la police est plus élevée que d’aucuns pourraient le penser. L’armée est depuis longtemps respectée par les citoyens de toute la région, tandis que le niveau de confiance dans la police est peut-être plus élevé compte tenu des efforts déployés ces derniers mois pour lutter contre la Covid-19I. L’institution qui conserve la plus grande confiance dans toute la région MENA est les forces armées. Au moins les trois quarts des citoyens de tous les pays font confiance à cette institution. En Tunisie, l’armée est presque universellement soutenue (96%) et il en va de même au Maroc (93%). Comme pour les forces armées, la police jouit d’une grande confiance auprès des populations par rapport aux autres institutions de gouvernement. Les niveaux de confiance sont les plus élevés au Maroc (93%), suivis de l’Algérie (88%), de la Libye (83%) et de la Tunisie (79%).
Au Liban, les deux organismes qui jouent le rôle de police, la Direction générale de la sécurité (87%) et les forces de sécurité intérieure (79%), bénéficient d’un niveau de confiance similaire.
Modeste Kouamé / Les Inspirations Éco