Dirham vs lire turque : le match de la compétitivité
La chute de la livre turque et la politique nationale du pays d’Ataturk constituent un défi à relever pour l’ensemble de ses pays partenaires, y compris le Maroc. La compétitivité du royaume semble également menacée par ce dumping monétaire entamé il y a plusieurs années et accentué par la géopolitique actuelle. Analyse.
La livre turque est en forte baisse depuis des jours. Elle côtoie même son plus bas historique depuis la semaine dernière. Il faut désormais un peu plus de 8 livres turques pour acheter un dollar américain. Cette année, elle a perdu 25% de sa valeur, ce qui en fait la deuxième monnaie la plus faible au niveau international après le réal brésilien. Une dégringolade attribuée au regain de tensions géopolitiques exacerbées par les difficultés économiques structurelles du pays et le manque de visibilité sur la politique économique. «En Turquie, les premiers signes de désaveu des investisseurs étrangers ont émergé avec la crise sanitaire internationale… La situation s’est détériorée après les tensions avec la Grèce et d’autres pays de la région, mais aussi après le récent affrontement avec la France», explique un économiste. Et le statu quo monétaire de la Banque centrale turque depuis quelques jours n’a pas arrangé les choses. Cette dernière a choisi de maintenir son taux directeur à 10,25%, quand l’inflation a atteint 11,75%.
De son côté, le président Recep Tayyip Erdogan souhaitait une baisse des taux d’intérêt en vue de stimuler l’économie nationale. «L’état actuel de la lire est aussi dû à la pression économique exercée par certaines grandes puissances pour pousser Erdogan à changer sa politique», ajoute l’expert. La dégringolade de la lire ne coïncide pas avec la crise de la Covid-19. La monnaie se dépréciait déjà régulièrement, par rapport au dollar, avant que la pandémie de coronavirus ne frappe. Elle a même perdu 85% de sa valeur par rapport au dollar depuis la dernière crise financière de 2008. Cette politique monétaire est assumée par le président turc qui voit dans la dépréciation de la monnaie un moyen de booster la compétitivité des exportations nationales, qui évoluaient à un rythme plus élevé que la plupart des pays émergents avant la pandémie de la Covid-19. «La faible lire devrait ainsi attirer davantage de touristes et doper les exportations», soutient notre économiste. «Les Turcs ont renforcé leur autonomie. Ils ont de moins en moins besoin de produits extérieurs. Le coût de l’énergie a baissé. Cela les aide à être plus indépendants», commente un autre analyste sollicité. Un point à relativiser, puisque la Turquie reste très dépendante, pour sa propre production, d’importations payées en devises étrangères, notamment en ce qui concerne l’énergie. Toutefois, malgré cet aléa, la Turquie reste aussi très compétitive.
Livre turque vs dirham
Cette situation n’est pas sans impact sur les autres pays du bassin méditerranéen, notamment le Maroc. «Il est plus facile de jouer avec des devises faibles comme la Turquie, lorsque vous produisez l’essentiel de votre consommation. Le Maroc est encore plus dépendant des produits importés», remarque l’analyste. Sur un autre registre, la situation de la lire risque de déstabiliser davantage les relations commerciales entre les deux pays puisque cela creuse encore plus leur écart de compétitivité. «La Turquie a toujours été un pays industriel et la plupart des exportations sont subventionnées par le gouvernement», rappelle l’économiste. En bout de chaîne, les produits arrivent sur le marché marocain à des prix défiant toute concurrence. Pour pallier cette situation, le gouvernement marocain a validé, le 8 octobre dernier, un projet de loi amendant l’Accord de libre-échange Maroc-Turquie scellé en 2004. Cet avenant intègre une liste négative de près de 1.200 produits relevant des secteurs du textile-habillement, du cuir, de la métallurgie, de l’électricité, du bois et de l’automobile. Le nouvel accord prévoit l’application d’un droit de douane équivalent à 90% du droit commun sur une durée de 5 ans. Si certains professionnels de la place estiment que ces mesures de protection arrivent à point nommé pour contrer les effets de la dépréciation de la livre turque, d’autres affirment que l’on est loin de régler le problème des déficits commerciaux du Maroc. Depuis l’entrée en vigueur de l’Accord de libre-échange entre les deux pays en 2006, le volume des échanges entre le Maroc et la Turquie a plus que triplé pour atteindre 31,8 MMDH. La balance commerciale bilatérale est devenue déficitaire, atteignant, selon les chiffres de l’Office des changes, 19,5 MMDH en 2019 au détriment du Maroc. Pour les économistes, le nouvel accord occulterait même les réels problèmes de la production industrielle du royaume. «Avec un peu de chance, une fois que nos producteurs locaux offriront une proposition de rapport qualité-prix intéressante, nous pourrons acheter du Maroc, créer des emplois et rendre nos exportations plus compétitives», nous explique-t-on.
Aida Lo / Les Inspirations Éco