Dialogue social : quel effet sur la consommation ?

En s’engageant à consacrer plus de 46 milliards de dirhams au dialogue social d’ici 2027, le gouvernement affiche une volonté forte de répondre à la pression sociale et de booster le pouvoir d’achat des fonctionnaires. Mais derrière cette ambition budgétaire inédite, se posent des questions de soutenabilité financière et d’efficacité économique.
À l’horizon 2027, le coût du dialogue social au Maroc devrait franchir un seuil historique. Avec une enveloppe de 45,738 milliards de dirhams prévue pour 2026, portée à 46,702 MMDH en 2027, l’effort consenti par l’État marque un tournant majeur dans la gestion des relations sociales.
C’est ce qu’a souligné le ministre délégué chargé des Relations avec le Parlement, porte-parole du gouvernement, Mustapha Baitas, à l’issue du Conseil de gouvernement.
Un effort budgétaire colossal
La montée en puissance de l’engagement public est présentée comme «exceptionnelle et sans précédent dans l’Histoire du dialogue social» au Maroc. Elle traduit la volonté de l’exécutif de répondre aux attentes accumulées depuis plusieurs années par les partenaires sociaux, dans un contexte économique encore fragilisé par l’inflation persistante et les pressions sur les finances publiques. Mais au-delà de l’effet d’annonce, cette décision soulève de nombreuses questions, tant sur son impact immédiat que sur sa soutenabilité à moyen terme. Le gouvernement met en avant l’ampleur de cette mesure sur le plan social.
Selon Mustapha Baitas, l’enveloppe budgétaire bénéficiera à 1.127.842 fonctionnaires, touchant ainsi indirectement des millions de foyers marocains. Il ne s’agit donc pas uniquement d’un ajustement technique des rémunérations, mais bien d’un signal politique fort en faveur du pouvoir d’achat de la classe moyenne. À partir du 1er juillet prochain, le salaire minimum net sera porté à 4.500 DH, soit une augmentation de 50%.
Dans le même temps, le salaire net moyen dans la fonction publique atteindra 10.100 dirhams en 2026. Ces chiffres illustrent une volonté affirmée de revaloriser le travail salarié, dans un pays où la pression sociale s’intensifie face à l’augmentation du coût de la vie.
Pour autant, cette politique ambitieuse interroge sur sa viabilité budgétaire. Le Maroc consacre déjà près de 12% de son PIB à la masse salariale publique, un niveau parmi les plus élevés de la région. En y ajoutant les nouveaux engagements issus du dialogue social, un risque de déséquilibre des finances publiques est-il envisageable ? Certains économistes estiment qu’il s’agit d’un équilibre que l’exécutif tente de maintenir. Ainsi, une pression fiscale sera exercée.
«Le montant global annoncé représente près de 3% du PIB, ce qui est l’équivalent de la valeur ajoutée produite chaque année. Ce coût social est le prix à payer pour accepter la pression inflationniste. Il s’agit, en effet, d’une compensation à l’inflation. Tout compte fait, l’Etat va gagner en recettes fiscales pour maintenir l’équilibre», suppose Omar Kettani, professeur d’économie à l’Université Mohammed V de Rabat.
Et d’ajouter que les finances publiques sont soutenues par la dette et l’impôt. En effet, le débat est d’autant plus crucial que d’autres chantiers stratégiques, tels que la généralisation de la protection sociale, la réforme du système de retraite ou le financement de l’éducation et de la santé, requièrent également des ressources considérables.
Pouvoir d’achat vs inflation
Le dialogue social, dans sa nouvelle configuration, pourrait devenir un véritable levier de modernisation. Mais à condition qu’il s’inscrive dans une logique de réforme de la fonction publique, fondée sur la performance, l’équité et l’évaluation. Sans cela, le risque serait grand de voir ces hausses de rémunération alimenter une dynamique inflationniste ou créer des inégalités durables entre secteurs.
Le gouvernement assure vouloir inscrire ces mesures dans une stratégie plus large de consolidation du climat social. En engageant plus de 46 MMDH dans le dialogue social d’ici 2027, le Maroc fait le choix d’une réponse sociale forte, dans une période où la cohésion nationale repose en partie sur la capacité des institutions à répondre aux attentes des citoyens. Reste désormais à transformer cette impulsion budgétaire en une opportunité durable de réforme, dans un équilibre subtil entre progrès social et responsabilité financière.
Pourtant, cette injection de liquidités au profit des fonctionnaires ne garantit pas pour autant un redémarrage mécanique de la consommation. Le gouvernement semble parier sur un effet de relance, en supposant que l’amélioration des revenus moyens stimulera la demande intérieure. Mais cet effet reste à confirmer, notamment dans un contexte où les ménages sont confrontés à une flambée persistante des prix.
Omar Kettani nuance fortement cet optimisme. Selon lui, «ce que les citoyens ont perdu en pouvoir d’achat depuis trois ans est bien plus important que ce qu’ils récupèrent aujourd’hui en augmentation salariale. Il s’agit d’une illusion monétaire».
Autrement dit, les hausses annoncées risquent d’être absorbées immédiatement par l’inflation passée et future, sans réel impact sur le niveau de vie ou les capacités de consommation. La revalorisation salariale, à elle seule, ne saurait répondre aux défis systémiques auxquels fait face la fonction publique, ni aux attentes croissantes des classes moyennes.
D’ailleurs, le dialogue social est loin d’être clos. Selon une source syndicale, les rencontres avec l’exécutif devraient se poursuivre avant le 1er Mai. Une réunion avec le gouvernement est attendue afin de rouvrir les discussions sur des volets jugés prioritaires tels que la réforme du système de retraite, ainsi que la révision du statut des administrateurs et des ingénieurs.
Maryem Ouazzani / Les Inspirations ÉCO