Code de la famille : une réforme globale s’impose
Certains députés craignent l’amendement de l’article 16 qui permettait aux polygames de contourner la loi.
Les députés aspirent à amender le Code de la famille dont certaines dispositions sont jugées discriminatoires à l’égard de la femme. L’appel a été adressé, mercredi dernier, au ministre de la Justice lors de la réunion de la commission de la justice, de la législation et des droits de l’Homme. Opposition et majorité sont unanimes sur la nécessité d’ouvrir un débat sur ce dossier «pour mettre fin à l’injustice exercée au nom de la loi», pour reprendre l’expression de la parlementaire progressiste Fatima Ezzahra Barassate. Le Code de la famille, qui a été considéré comme un texte révolutionnaire en 2004, est aujourd’hui obsolète et nécessite une profonde réforme pour que ses dispositions soient à la hauteur de celles de la Constitution et des conventions internationales auxquelles adhère le Maroc. Le ministère de la Justice est très attendu sur cette réforme qui n’aboutira, fort probablement, pas au cours de ce mandat qui tire vers sa fin, selon plusieurs députés. Mais l’enjeu est d’entamer un débat sociétal sur ce dossier pour que la plateforme de la réforme soit fin prête au début du prochain mandat. Dans l’attente d’une réforme globale qui s’impose, le défi est de pouvoir faire passer, au cours de cette année, les propositions de loi portant sur certains articles du Code de la famille.
À commencer par celle relative à l’article 20 (mariage des mineurs) qui a été élaborée par le groupe socialiste à la Chambre des conseillers et adoptée par les parlementaires de la Chambre haute il y a huit ans, mais elle a été bloquée chez les députés. Le texte a été dépoussiéré en janvier 2018 par la Commission de la justice de la Chambre basse, mais les députés se sont contentés de sa présentation à cause des divergences des points de vue entre les composantes de l’institution législative. Le texte ne vise pas à interdire le mariage des mineurs, mais il entend combler le vide juridique en termes du minimum d’âge autorisé par le juge pour le mariage des mineures. La proposition de loi le fixe à 16 ans tout en prenant en considération l’âge des deux parties. Le parlementaire du PJD, Reda Bouguemazi estime qu’il est temps de déterrer cette proposition de loi pour mettre fin au mariage des filles à un âge très précoce, précisant que «la loi devra suivre le développement de la société». L’accélération de l’amendement de l’article 20 s’impose, de l’avis des représentants de la nation, tout comme d’autres dispositions du code de la famille. Le président de la Commission de la justice, Toufik Mimouni plaide pour l’élaboration d’une proposition de loi portant sur l’article 16 qui permettait la reconnaissance des mariages établis sans acte en vue d’éviter la procédure normale prévue dans l’article 42. Il appelle à accorder un nouveau délai pour faire reconnaître les mariages coutumiers ou ceux conclus par la Fatiha. Sauf que d’autres députés ne sont pas du même avis, car cette disposition, qui a expiré en février 2019, était un moyen qui permettait le contournement de la loi par les polygames. Selon Toufik Mimouni, l’idée est de trouver une formule pour verrouiller le dispositif et permettre à beaucoup de personnes qui n’ont pas pu enregistrer leurs mariages de pouvoir se rattraper.
La parité
Par ailleurs, la réforme escomptée du C ode de la famille est censée faire prévaloir le principe de la parité prônée par la loi fondamentale. Un principe qui n’est pas consacré par plusieurs dispositions du code de la famille, comme l’article 49 qui est considéré par le ministère des droits de l’Homme comme un point conflictuel dans le cadre du plan d’action national en matière de démocratie et des droits de l’Homme. Son amendement est une doléance insistante du mouvement de défense des droits de la femme. Cet article consacre le principe des séparations des biens et n’impose pas le partage de l’épargne en cas de divorce ou de décès sauf si un contrat est conclu indépendamment de l’acte de mariage pour la gestion des biens acquis pendant le mariage. Or, l’expérience démontre que peu de couples recourent à la conclusion d’un contrat de mariage en raison de considérations culturelles. La tutelle légale sur les enfants est un autre point clé qui nécessite d’être révisé pour consacrer la notion d’autorité parentale partagée. La loi actuelle ne permet à la mère d’accéder à la tutelle légale sur ses enfants mineurs que sous certaines conditions très restrictives. Qu’elle soit mariée ou divorcée, une mère, à titre d’exemple, n’a pas le droit de faire une demande d’obtention de passeport pour ses enfants mineurs. L’amendement du code de la famille devra porter aussi sur la suppression de la déchéance du droit de garde de la mère en cas de son remariage. Actuellement, la garde de l’enfant incombe au père et à la mère tant que les liens conjugaux subsistent. On s’attend à ce que la réforme globale du code de la famille soit basée sur l’évaluation qui a été menée par le ministère de la Justice sur ce texte. À cela s’ajoutent les résultats des concertations sur les points conflictuels du plan d’action national en matière de démocratie et des droits de l’Homme dont certains font partie du code de la famille.
Quid des questions sensibles ?
Plusieurs points s’avèrent compliqués à réviser dont la législation successorale. Est-il possible d’instaurer l’égalité dans l’héritage au Maroc ? Cette question demeure en suspens en dépit des recommandations du Conseil national des droits de l’Homme. En tout cas, l’actuel gouvernement n’a jamais eu la volonté de s’attaquer à cette réforme qui relève, selon le chef de gouvernement, Saâd Eddine El Otmani, des «prérogatives royales». Sur le plan politique, les partis sont divisés. Le PJD qui dirige le gouvernement est contre l’égalité dans l’héritage. La polygamie fait également partie des points considérés comme « sensibles ». Son interdiction est une requête de longue date des défenseurs des droits de l’Homme. Mais, on sait d’emblée que cette question ne pouvait pas être tranchée sous le mandat de l’actuel gouvernement dirigé par le PJD dont certains membres défendent la polygamie et la pratiquent.
Jihane Gattioui / Les Inspirations Éco