Circularité dans le textile : comment transformer le défi en opportunités
Pour établir une véritable circularité, le Maroc doit passer en revue l’ensemble de la chaîne de valeur du textile, de la conception à l’approvisionnement, puis la commercialisation, en tenant compte des déchets produits à ces différentes étapes. Il s’agit de s’assurer que son industrie est suffisamment compétitive pour satisfaire aux exigences de l’UE.
Depuis que la notion de circularité a été adoptée en orientation stratégique sur les marchés européens du textile et de l’habillement, la transformation de ce secteur au Maroc s’est profilée comme une nécessaire remise en question afin de préserver ses parts de marché et, idéalement, les renforcer.
Les textiliens marocains sont, en effet, confrontés à un défi fondamental, celui de s’aligner sur les critères réglementaires qui ne tarderont pas à se généraliser sur les marchés européens afin de faire du chiffre à l’export et de décrocher davantage de commandes venant du Vieux continent. C’est un fait : aujourd’hui, la page du modèle de production linéaire, consistant à extraire d’importantes quantités de ressources non renouvelables pour confectionner des vêtements qui sont utilisés brièvement avant d’être mis au rebut, doit être tournée au regard des impératifs environnementaux.
Pour débattre de ce sujet doublement crucial pour l’économie nationale, une table ronde a été organisée par le groupe Horizon Press en partenariat avec la Société financière internationale (IFC), membre du Groupe de la Banque mondiale, et l’Association marocaine des industries du textile et de l’habillement (AMITH).
Cette rencontre qui a bénéficié du soutien du gouvernement espagnol, en marge de la 20e édition du salon Made in Maroc (MIM), tenue du 10 au 12 mai 2023, à Casablanca. Structurée en deux panels, la rencontre, placée sous le thème «Circularité dans le textile : de l’ambition à l’action», a connu un franc succès au regard de l’intérêt porté par l’assistance aux échanges et de la qualité des intervenants. Mais, avant cela, le premier moment fort de l’événement a été consacré à la présentation, en avant-première, d’une étude d’IFC intitulée «Du linéaire au circulaire : perspectives pour l’industrie marocaine du textile».
La circularité, un modèle aux multiples enjeux
La présentation des principales recommandations et conclusions de l’étude a été faite par Eleonore Richardson, responsable des projets de conseil pour le secteur du textile au sein d’IFC à Rabat. Ce travail, réalisé en collaboration avec l’AMITH et le soutien du gouvernement espagnol, avait pour but de réfléchir aux maillons à installer dans l’industrie du textile nationale afin de la préparer à la transition vers ce modèle en expansion chez son principal client, les pays de l’Union européenne.
«L’un des objectifs d’IFC est de promouvoir la mise en place de modèles de production circulaire dans le textile marocain, en appuyant le développement de la filière de recyclage des chutes textiles post-industrielles dans la région de Tanger», affirme, d’emblée, Eleonore Richardson.
En effet, ce rapport thématique entend donner un aperçu des grandes tendances de la circularité dans le secteur, et sonder les plus pertinentes d’entre elles pour le Maroc, tout en mettant à profit les potentialités du secteur au Maroc dans cette transition du linéaire au circulaire.
Les mesures à adopter
Pour relever ce défi, le Maroc devra adopter plusieurs mesures cruciales, selon le rapport d’IFC. Il s’agit, en l’occurrence, de promouvoir la récupération des déchets post-industriels (en particulier les chutes de la salle de coupe) et des déchets pré-consommation, mais également d’établir, au niveau local, des usines modernes de collecte et de recyclage capables de transformer les déchets en fils et en tissus. Il est aussi question de recycler les vêtements importés invendus, bien que cette tâche nécessite d’adopter de nouvelles règles douanières.
Les auteurs du rapport recommandent aussi de bâtir localement une industrie moderne et durable, qui fournisse des éléments en amont comme le fil, le tissu, l’impression et la teinture, et qui assure la traçabilité pour les marques. Accroître les possibilités de collaboration avec des entreprises locales en amont de la chaîne de valeur aiderait également, selon IFC et l’AMITH, le Maroc à satisfaire aux règles d’origine de la zone pan euro-méditerranéenne relatives à l’accès préférentiel à l’Union européenne.
L’UE, ce marché stratégique !
Figure également dans les recommandations du rapport, la nécessité de passer de la mode éphémère et du modèle CMT (Cut, Make and Trim), selon lequel les tissus proviennent de l’étranger, à un modèle de sourcing local qui offre aux acheteurs des articles issus d’un système de production de FPP (Full Package Production).
Toujours aux fins d’assurer la bonne transition du secteur textile vers la circularité, il serait aussi essentiel de collaborer étroitement avec l’UE et ses représentations pour le commerce international dans l’objectif d’obtenir des conseils (en ce qui concerne notamment les exigences d’informations sur la production, la législation relative à l’écoconception, et l’étiquetage, entre autres) et, le cas échéant, solliciter des financements pour appuyer la transition.
Dans ce sens, Fatima Zahra Alaoui, directrice générale de l’AMITH, note que «les industriels marocains attendent que l’UE précise ce qu’on attend véritablement d’eux avant de se pencher sur la question et de commencer à prendre les mesures qui s’imposent». Le secteur se doit également de cibler les filières textiles dans lesquelles le Maroc dispose d’un avantage comparatif et investir davantage dans l’innovation et la technologie pour améliorer son avantage concurrentiel.
Le rôle d’IFC
Sur cette voie de la circularité, le Maroc bénéficie de l’accompagnement d’institutions de haut niveau, à savoir l’IFC qui propose un accompagnement technique et financier.
«Nous aspirons à jouer un rôle fédérateur et à promouvoir une étroite collaboration entre les différents acteurs. Relever le défi d’une transition vers un modèle de production circulaire permettra de soutenir la stratégie de décarbonation du Maroc et d’explorer de nouveaux marchés tels que ceux offerts par le Pacte vert de l’Union européenne», a tenu à souligner Eleonore Richardson, lors de la présentation du rapport. IFC vise à accompagner cette transformation à travers plusieurs actions.
L’organisation a signé, en avril dernier, un accord de coopération avec le ministère de l’Industrie et du commerce et l’AMITH, pour assurer une étroite collaboration entre les trois parties, dans la transition du secteur, tout en renforçant la place du Maroc dans les chaînes logistiques mondiales. Cet accord permettra, entre autres, de jeter les bases d’une filière de recyclage du textile post-industriel et de mobiliser l’investissement privé pour faire du textile au Maroc une industrie plus durable.
Le Royaume dispose, en effet, de tous les ingrédients nécessaires pour réussir l’amorçage de la circularité. N’est-il pas déjà champion de l’économie verte, rappellent les auteurs. À elle seule, cette longueur d’avance le qualifie largement pour relever le challenge du leadership en matière de production textile circulaire, s’accordent à affirmer IFC et les opérateurs.
Sanae Raqui / Les Inspirations ÉCO