Maroc

Circuits de commercialisation : l’urgence de la réforme des marchés de gros

Le système de commercialisation des produits agricoles, notamment les marchés de gros, a été l’un des facteurs qui ont contribué au renchérissement des prix des principaux produits alimentaires. Ce constat a été dressé à la fois par le rapport de la mission exploratoire temporaire de la Chambre des Représentants, mais aussi par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) et les rapports de la cour des comptes au titre des années 2019 et 2020.

Le marché national est confronté actuellement à des difficultés, à commencer par l’accélération de la réforme des marchés de gros des fruits et légumes (MGFL). Ce constat a été une nouvelle fois dressé par le rapport de la mission exploratoire temporaire de la Chambre des représentants, mais aussi le Conseil économique, social, et environnemental (CESE) qui rappelle l’urgence d’une réorganisation des circuits de commercialisation et d’une réglementation du rôle des intermédiaires pour atténuer la hausse des prix des produits alimentaires. Les rapports annuels de la Cour des comptes au titre des exercices 2019 et 2020 vont dans le même sens. Diligentée par la commission des secteurs productifs à la Chambre des représentants, la mission exploratoire temporaire a émis 64 recommandations pour pallier les fragilités du système de commercialisation et de distribution des produits agricoles frais et périssables. Le rapport a notamment permis de mettre le doigt sur les dysfonctionnements caractérisant les conditions de distribution et de commercialisation des produits agricoles, dans un contexte de flambée des prix alimentaires (+20,1% à fin février selon le HCP) et de pression inflationniste sur les prix de l’ensemble des matières premières importées y compris les intrants agricoles.

Le cadre juridique en décalage avec la réalité
Selon la mission parlementaire, le cadre juridique actuel régissant l’opération de commercialisation et de distribution des produits agricoles frais et périssables ne prend pas en considération les mutations des chaînes et circuits de commercialisation, notamment en ce qui concerne les marchés de gros. Ces derniers nécessitent, selon le rapport, une modernisation et une réorganisation urgente. Une réforme qui tarde toujours à voir le jour en raison de la multiplicité des intervenants.

Le rapport s’intéresse aussi à la tendance à la spéculation sur les prix des produits agricoles. Les auteurs pointent particulièrement l’impact de la multiplication des intermédiaires sur le renchérissement des prix de vente au consommateur final, surtout dans des situations de baisse de l’offre. La mission exploratoire souligne par ailleurs que la gestion du processus de commercialisation n’est pas accompagnée par un contrôle couvrant toutes les étapes d’écoulement et d’acheminement et prenant en considération la variété des produits agricoles. En se référant aux recommandations émises, notamment le cadre juridique réglementant la commercialisation et la distribution des produits agricoles, le rapport insiste sur l’adoption d’une nouvelle loi régissant la création et la gestion des marchés de gros en plus des bourses de produits agricoles avec la promulgation de textes réglementaires clarifiant leurs statuts et règlements, ainsi que les conditions régissant le rôle des différents intervenants en matière de commercialisation et les modalités de versement des taxes d’accès.

L’actualisation du cadre caduc de 1962
Il est question aussi de promulguer une nouvelle loi imposant l’entrée de tous les produits agricoles aux marchés de gros, pour un meilleur suivi de la commercialisation et de la distribution, mais aussi de l’intervention des intermédiaires dans les étapes de commercialisation. Le rapport souligne aussi la nécessité d’actualiser le cadre caduc de 1962, devenu aujourd’hui inadapté au statut des mandataires des marchés de gros de fruits et légumes. Les auteurs préconisent la mise en place d’un cadre légal pour les produits frais périssables, de manière à garantir la qualité et la sécurité sanitaire de ces produits agricoles.

S’agissant des recommandations afférentes à la situation et la structuration des équipements de commercialisation et de distribution, la commission propose de mettre en place des bourses dédiées à la vente et l’achat des produits agricoles dans les différentes régions permettant le suivi des prix et les quantités approvisionnées. Il est question aussi de munir les marchés de gros de structures de stockage frigorifiques et de conditionnement afin de limiter la détérioration des produits périssables.

Le rapport recommande aussi la réforme des espaces de commercialisation tels que les marchés de proximité, et la modernisation de la flotte de transport avec des unités frigorifiques et de stockage. L’objectif ici est de réduire la perte des produits. Les auteurs préconisent à ce niveau de mettre à niveau les installations de stockage frigorifiques au sein des ports accueillant les produits agricoles importés pour assurer les conditions de sécurité sanitaire.

Le CESE plaide pour un observatoire des prix et des marges
De son côté, le CESE impute le renchérissement des prix des produits agricoles aux dysfonctionnements organisationnels et fonctionnels dans le système de commercialisation. Autre facteur déterminant, les failles en matière de gestion des ressources hydriques. Des dysfonctionnements exacerbés par les sécheresses récurrentes, la crise sanitaire et les répercussions de la guerre en Ukraine, et qui se sont répercutés sur les coûts de production.

Dans ce contexte exceptionnellement difficile, l’inflation a culminé à des niveaux jamais atteints depuis le début des années 1990, avoisinant, selon le HCP, 11% en moyenne pour les produits alimentaires sur l’année 2022. À la lumière des différents constats et analyses établis par le CESE dans ses différents avis, il est proposé d’accélérer la réforme des marchés de gros et  de développer les circuits courts de commercialisation à caractère coopératif tout en mettant en place un cadre juridique encadrant les pratiques de stockage des produits agricoles.

Il s’agit aussi d’accélérer la transformation digitale de la commercialisation des produits agricoles et mettre en place un cadre réglementaire précis et opposable pour repenser et réguler le rôle et les missions du métier d’intermédiaire au niveau de la chaîne de commercialisation.

En plus du renforcement des opérations relatives au contrôle des prix et au respect de la concurrence pour lutter efficacement contre les pratiques spéculatives dans les différents secteurs concernés par la hausse des prix, le CESE insiste sur la mise en place d’un «observatoire des prix et des marges». Il pourrait être abrité par le Conseil de la concurrence, pour aider à la détection de tout comportement d’accumulation non justifiée des marges de profit au détriment du pouvoir d’achat des citoyens.

Cour des comptes : retard de la réforme des marchés de gros
Les rapports annuels de la Cour des comptes pour 2019 et 2020 ont mis l’accent sur le retard de la réforme des marchés de gros. Trois projets pilotes de marché de gros ont été déjà sélectionnés, depuis 2017, pour leur mise en œuvre à Rabat, Berkane et Meknès. Toutefois, ces marchés n’ont pas encore vu le jour. Aujourd’hui, dans le cadre de l’activation du schéma national d’orientation et de modernisation des marchés de gros des fruits et légumes (MGFL), réalisé en 2009 et actualisé en 2019, une convention-cadre a été conclue, depuis janvier 2021, entre les ministères du Commerce, de l’Agriculture, des Finances et de l’Intérieur pour créer de nouvelles plateformes commerciales dans le cadre de la stratégie Génération Green 2020-2030. Elle prévoit la réalisation de 12 marchés de gros modernisés dans les différentes régions. En attendant, la gestion des marchés de gros des fruits et légumes a été confiée, depuis 1962, aux communes «urbaines». Fixés actuellement à 29 plateformes commerciales, ces marchés sont de tailles très variables et ne couvrent pas, selon la Cour des comptes, toutes les régions du Maroc y compris certaines régions à vocation agricole, notamment la région Souss-Massa qui approvisionne en majorité le marché national.

Yassine Saber / Les Inspirations ÉCO


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