Chômage : l’emploi, mère de toutes les priorités
En annonçant que le chômage est passé de 11,8% à 13% en l’espace d’un an, le HCP avait provoqué une déflagration. Ryad Mezzour a fait face aux questions de la rédaction, lors de son récent passage dans le cadre de l’Invité des ÉCO.
Interpellé sur les chiffres du chômage, lors de son récent passage à la rédaction des Inspirations ÉCO pour l’interview de l’Invité des ÉCO, le ministre de l’Industrie et du Commerce, Ryad Mezzour, accepte «bien sûr» d’aborder ce sujet épineux.
«L’emploi est la mère de toutes les priorités», assure-t-il. Le ministre reconnaît les chiffres du Haut-commissariat au plan (HCP). Comme toute méthode de calcul, l’approche du HCP pourra toujours être l’objet de discussions scientifiques, mais Mezzour admet que le HCP fournit au pays un indicateur qui est en phase et validé avec les organismes internationaux. Il ajoute dans la foulée que la publication des récentes données relatives au marché de l’emploi a placé son ministère au-devant de la scène. Sur les causes du chômage, Mezzour plaide principalement le déficit structurel.
Après avoir évoqué la sécheresse, dans sa sixième année, il fait valoir que la nouvelle classe d’âge arrivée sur le marché du travail représente 300.000 à 350.000 jeunes, en chiffre net. Or, estime-t-il, lorsque «tout va bien», dans une année sans crise particulière, le Maroc ne sait créer que «150.000 emplois». L’argument ne répond toutefois pas à la réduction du nombre de postes pointée par le HCP : pour 41.000 créés en milieu urbain, 198.000 ont disparu en milieu rural.
Des faiblesses structurelles plaidées
La réponse du ministre est de souligner qu’il faut distinguer la qualité des emplois. Les emplois ruraux sont le plus souvent des emplois non rémunérés, dans une exploitation familiale, par exemple. Il estime que cette tendance va continuer, car les familles marocaines sont en train de changer.
Mezzour émet, en outre, l’hypothèse d’un effet de sous-déclaration, qui n’expliquerait pas tout, mais accompagnerait la tendance de ces chiffres. Car avec le déploiement du soutien direct aux individus, certains ayants droit ont pu croire qu’en répondant qu’ils travaillaient, ils auraient pu perdre leur capacité à recevoir un soutien. Peut-être, suggère-t-il, qu’un certain nombre d’années devront s’écouler pour que les répondants prennent confiance et aillent vers plus de transparence.
La rédaction des Inspirations ÉCO l’a alors relancé sur le cas des NEET. L’acronyme anglais désigne les jeunes n’étant ni en situation d’emploi, ni étudiants, ni en formation, au sujet desquels le CESE vient de publier un rapport alarmant. Là encore, Mezzour pointe la réalité du monde rural, en ajoutant que 80% des NEET sont des femmes.
«Quelqu’un qui a décidé de construire une famille et de s’y consacrer a son projet, il est très bien», commente le ministre.
s’empresse toutefois de reconnaître qu’un jeune en train de se chercher – dans une année sabbatique, par exemple – doit être aidé à trouver une école de la deuxième chance, une formation technique, une opportunité entrepreneuriale, etc. «On doit lui donner des choix pour pouvoir aller de l’avant», reconnait Mezzour.
Les talents qui partent ne sont pas perdus
Interrogé sur le départ des talents diplômés vers l’étranger, Mezzour commence par rappeler que la communauté des Marocains à l’étranger est une communauté forte, qui rapporte à son pays non seulement des devises, mais aussi des savoir-faire et des transferts technologiques.
Il se refuse donc à incriminer ceux qui font le choix du voyage, parfois pour mieux revenir. Si l’on parle des ingénieurs, ajoute le ministre, nous avons toujours la capacité «d’augmenter la voilure», d’en former plus. S’étant fixé un objectif de 10.000 diplômés, le Royaume a atteint le chiffre de 19.000 nouveaux ingénieurs. Rien ne l’empêche d’aller maintenant vers 30, 40 ou 50.000 de plus, veut croire le ministre pour qui 4 ou 5.000 ingénieurs partis à l’étranger ne feraient que rapporter au pays, ne serait-ce qu’en brillant par leur réussite.
Pour autant, il reconnaît qu’il y a des secteurs sous tension, comme l’IT et la Santé. À son sens, les négociations en cours seront la solution, dès qu’un accord sera trouvé.
Utiliser tous les leviers
Pour créer des emplois en quantité suffisante, il va falloir, souligne Mezzour, utiliser tous les leviers, «au-delà de l’industrie du commerce, mais y compris avec l’industrie et le commerce». Et d’évoquer les secteurs productifs sur lesquels le pays a l’habitude de compter : le tourisme, l’agriculture, etc.
Encore au-delà, il voit de nouvelles niches dans l’industrie du care, au niveau de la consommation publique, où le gouvernement voudrait intégrer une préférence nationale, précise-t-il. Sont encore citées l’industrie du gaming, celles de la culture et du sport, sur lesquels «un travail va être fait», assure le ministre.
«Nous allons chercher de l’emploi là où on peut le trouver», ajoute l’Invité des ÉCO.
Le niveau de priorité est tel que désormais chaque stratégie ou politique publique sera mesurée à sa capacité à créer de l’emploi. La rédaction des Inspirations ÉCO le résume en notant que l’emploi devient un Key performance indicator (KPI), un indicateur clef de performance (ICP).
«Un véritable changement de paradigme», estime le ministre, abondant dans ce sens. Il admet que la phase de structuration du projet royal de protection sociale constitue une lourde charge de travail pour les équipes gouvernementales.
Elle «doit être accompagnée de réformes au niveau du système de santé et de réformes au niveau du système d’éducation, qui ont demandé un effort et une concentration assez importantes», ce qui a pu conduire à délaisser les secteurs productifs, avoue le ministre. La correction annoncée est donc que l’emploi et le Made in Morocco vont devenir les indicateurs clés d’évaluation des politiques publiques.
Murtada Calamy / Les Inspirations ÉCO