Maroc

AMO : les “assurés 114”, un régime dans le régime

Plus de vingt ans après l’institution de l’assurance maladie obligatoire, 2.714 entreprises regroupant 673.210 salariés, sur les quatre millions immatriculées à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), restent couverts par les «mutuelles» des compagnies d’assurance alors qu’elles étaient censées basculer vers le régime général. La plupart des parties prenantes à l’AMO semblent s’accommoder de ce double standard qui ne devait, à l’origine, être que transitoire. Pourtant, celui-ci fait peser une menace sur l’équilibre financier du régime AMO qui supporte l’essentiel des dépenses liées aux pathologies chroniques. Décryptage.

Souvent de grande taille et opérant majoritairement dans les secteurs du commerce, des services et de l’industrie, les sociétés dites «Affiliés 114» selon la nomenclature de la CNSS, sont un peu des «VIP» de la population des entreprises au Maroc.

Ce sont en général de grandes firmes, employant en moyenne 257 collaborateurs (l’effectif moyen est de 12 salariés pour les autres affiliés à la CNSS), et surtout, les plus solvables dans le système car disposant d’une large assiette de cotisations. Le salaire moyen qu’elles déclarent est de 9.039 DH, soit plus du double de la moyenne des entreprises affiliées au régime AMO, qui est de 4.235 dirhams.

Ces entreprises représentent ainsi 1% des affiliés à la sécurité sociale, mais pèsent 31% de la masse salariale déclarée. L’enjeu de leur intégration au régime général de l’assurance maladie est donc crucial pour l’équilibre financier de l’AMO. D’ailleurs, la question revient de manière récurrente à la table du Conseil de la CNSS sans qu’elle ne soit tranchée à ce jour.

L’exception devenue la norme
Le terme «Affilié 114» est une allusion à l’article de la loi formant Code de l’Assurance maladie obligatoire qui leur concédait une période transitoire de cinq ans, renouvelable une fois, avant de pouvoir intégrer le régime général. Mais ce qui ne devrait être qu’une dérogation momentanée s’est transformé en un mini-régime d’assurance maladie bis qu’il sera difficile de démanteler.

C’est un peu comme les Caisses internes de retraite et la galaxie des mutuelles privées que gèrent plusieurs administrations et établissements publics. Les compagnies d’assurances sont parmi les plus ardents défenseurs du statu quo, car la branche maladie, jadis déficitaire, s’est progressivement redressée grâce à une lutte sans merci contre la fraude.

Chez les assureurs, la mutuelle, plébiscitée par les salariés, joue en effet le rôle de produit d’appel, car elle leur permet de placer d’autres produits auprès des entreprises, notamment l’AT (accident de travail), la couverture risque incendie, l’épargne retraite ou encore la perte d’exploitation.

Requête impopulaire
Chez les employeurs, on a souvent plaidé pour «le bon sens», c’est-à-dire maintenir en place ces mutuelles qui «marchent globalement bien», confie un membre du Conseil d’administration de la CNSS.

C’est d’ailleurs un point de convergence avec les organisations syndicales qui n’ont jamais, non plus, remis en cause la couverture des employés par des mutuelles gérées par les compagnies d’assurance.

Leurs états-majors sont conscients qu’il s’agit d’une requête impopulaire car les salariés perdraient l’avantage lié au ticket modérateur pratiqué par la plupart des «mutuelles», en moyenne 20% du montant inscrit sur le formulaire des soins.

Le taux de remboursement des frais engagés pour se faire soigner se situe autour de 80% des tarifs réels, et jusqu’à 100% chez certains employeurs plus généreux qui disposent de leurs propres mutuelles internes (Bank Al-Maghrib ou Royal Air Maroc, par exemple) ou sectorielles, comme les banques.

Faire basculer des milliers de salariés dans l’AMO reviendrait de facto à rogner sur leurs «acquis sociaux». D’où le silence des organisations syndicales sur ce sujet. Aucune d’entre elle n’aborde cette question, qui est pourtant essentielle pour la solidarité nationale.

AMO : un avantage de taille
La couverture «assurance maladie» dans le secteur privé est, d’ailleurs, un argument d’attractivité invoqué par les DRH pour convaincre des talents sur le marché de l’emploi. Ni le plafond de dépenses de soins appliqué pour des pathologies lourdes par les mutuelles privées (que peu de gens connaissent), ni l’exclusion de fait des affections à longue durée du panier des soins, ne semblent entamer l’attachement à ce régime privé.

Malgré un ticket modérateur moins attractif, car déconnecté des tarifs pratiqués dans les cabinets médicaux et les cliniques privées, l’AMO présente l’avantage de prendre en charge, plutôt confortablement, le traitement des maladies chroniques, avec un taux de remboursement des frais de 79% sur la base d’une grille tarifaire, il est vrai, bien inférieure à la réalité. C’est sans aucun doute le principal avantage concurrentiel de l’AMO par rapport aux «mutuelles» privées qui couvrent les assurés «114». Les ménages concernés y sont très attachés.

La forte concentration des assurés atteints d’affections de longue durée (ALD) sur l’AMO, en hausse de 10% sur un an, n’est pas sans risque pour l’équilibre financier du régime.

Au regard du vieillissement de la population marocaine, le schéma actuel transfère de facto la charge des dépenses de santé les plus lourdes sur l’AMO alors que régime ne peut pas encore compter sur l’apport financier des entreprises relevant de l’article 114 du Code de l’assurance maladie.

Au moins la moitié des dépenses de l’assurance maladie couvre les soins de personnes atteintes de maladies chroniques. En 2023, le coût moyen d’un patient atteint d’une maladie chronique était de 15.604 dirhams. Au total, les remboursements AMO relevant de la CNSS se sont élevés à 4,3 milliards de dirhams.

Abashi Shamamba / Les Inspirations ÉCO



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