Maroc

Ahmed El Bouari : “L’investissement cumulé dans le secteur agricole, entre 2021 et 2024, s’élève à 83,3 MMDH”

Ahmed El Bouari
Ministre de l’Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et forêts

Dans cet entretien, Ahmed El Bouari, ministre de l’Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et Forêts, fait le point sur le bilan des réalisations dans le cadre de la Stratégie génération green ainsi que sur les mesures d’urgence prises pour faire face aux défis actuels.

L’agriculture génère près de 13% du PIB. Elle est le principal moteur économique des zones rurales dont la récente sécheresse a accentué la vulnérabilité. Quelles mesures concrètes sont prises pour renforcer la résilience économique du secteur en milieu rural ?
L’agriculture au Maroc est l’un des secteurs productifs les plus importants de l’économie nationale. Elle contribue à la création de richesse à hauteur de 13% du PIB national et à la génération d’opportunités d’emploi de l’ordre de 30% au niveau national et de 70% en zones rurales. Elle participe aussi à l’emploi dans les campagnes, à la cohésion sociale et à la sécurité alimentaire.

Néanmoins, l’agriculture fait face à des enjeux croissants et à des défis de taille, notamment ceux liés au changement climatique ainsi qu’à la fluctuation des prix des produits agricoles et des intrants sur les marchés internationaux. Face à cette situation, le département de l’Agriculture œuvre à renforcer la résilience du secteur grâce à une série de mesures stratégiques et d’autres à caractère urgent.

L’objectif est de redresser l’équilibre des filières agricoles, de pérenniser l’activité agricole et de renforcer l’inclusion sociale. Tout d’abord, il s’agit de poursuivre le développement et la modernisation du secteur. Ceci passe par le renforcement de l’investissement, la consolidation et la diversification des filières agricoles, l’amélioration des circuits de distribution et de commercialisation ainsi que par le développement de la recherche-innovation.

Parmi les autres mesures, figure aussi le développement d’une agriculture plus résiliente et éco-efficiente, et ce, par l’amélioration de la valorisation et de l’efficacité hydrique ainsi que par celle de l’offre en eau d’irrigation. Citons aussi l’amélioration des opportunités d’emplois afin de garantir un revenu satisfaisant aux agriculteurs par la facilitation de l’accès au foncier (exemple des terres collectives) et au capital (incitations de l’État, crédits à des taux bonifiés et dispositif de l’agriculture solidaire), le développement des filières de production, l’encouragement de l’entrepreneuriat des jeunes et des sociétés de services agricoles, para-agricoles et de transformation, et enfin, l’organisation des agriculteurs en coopératives et autour de projets d’agrégation. À cela, s’ajoute également la gestion des risques par la généralisation de la protection sociale aux agriculteurs et le renforcement de l’assurance agricole.

Quel bilan tirez-vous de la mise en œuvre de la Stratégie génération green à mi-parcours et comment cette stratégie a-t-elle été ajustée pour accompagner les défis actuels ?
Grâce aux stratégies adoptées, le Plan Maroc Vert (PMV) puis la stratégie génération green (SGG), l’agriculture marocaine a considérablement progressé : elle s’est diversifiée, modernisée et elle est devenue plus compétitive.

En effet, le bilan des réalisations, à fin 2024, révèle des avancées positives à plusieurs niveaux. Ainsi, parmi les principaux objectifs de la SGG, l’émergence d’une nouvelle classe moyenne agricole pour près de 350.000 à 400.000 nouveaux ménages, et ce, à travers la promotion de l’investissement.

Entre 2021 et 2024, l’investissement cumulé mobilisé dans le secteur agricole s’est élevé à 83,3 milliards de dirhams (MMDH), dont 63% d’investissement public et 37% d’investissement privé. Outre l’immatriculation à la CNSS de 1,438 million d’agriculteurs pour bénéficier de la protection sociale, les réalisations ont permis l’amélioration des revenus des agriculteurs par la facilitation de l’accès au foncier (exemple des terres collectives) et au capital (incitations de l’État, dont celles spécifiques aux jeunes et aux membres des collectivités ethniques des terres collectives et dispositif de l’agriculture solidaire). Il s’agit aussi de l’encouragement de l’entrepreneuriat des jeunes par l’accompagnement financier et technique à travers la création de 25 Centres régionaux d’entrepreneuriat des jeunes.

À date, 5.000 jeunes ont vu leurs business plans validés en plus de l’organisation des agriculteurs autour de projets d’agrégation, avec 49 nouveaux projets approuvés, dont 28 ont reçu l’attestation d’agrégation. Pour l’agriculture solidaire, ce volet a été marqué par le lancement de 65 projets, ce qui a permis la plantation de 82.877 ha d’espèces résilientes, la construction et l’équipement de 42 unités de valorisation, l’aménagement hydro-agricole de 894 km de séguias, la création de 262 points d’eau et l’aménagement de 251 Km de pistes.

La SGG vise également la poursuite de la dynamique du développement agricole à travers, d’une part, la signature de 19 contrats-programmes, avec un investissement de 108 MMDH, pour le développement des filières de production ; et d’autre part, l’amélioration des circuits de commercialisation et de distribution des produits agricoles dont, notamment, l’achèvement des travaux du marché de gros de Rabat en 2024 et le lancement de plusieurs marchés de gros et d’abattoirs modernes – dont 17 ont déjà été agrées par les services de l’ONSSA –
en plus de la valorisation de l’eau d’irrigation par l’amélioration de l’efficacité et de l’offre hydriques.

Quel bilan dressez-vous du volet afférent à l’offre hydrique ? Dans le détail, l’extension de l’irrigation en goutte-à-goutte a permis de couvrir une superficie supplémentaire de 270.000 ha,
portant la superficie en goutte-à-goutte à 866.000 ha (soit 54% de la superficie sous irrigation). Par ailleurs, dans le cadre de l’aménagement hydroagricole, les réalisations ont atteint une superficie de 39.900 ha dont 18.100 ha sont déjà achevés. Quant au développement des projets de dessalement de l’eau de mer en partenariat public-privé (PPP) pour l’irrigation des cultures à haute valeur ajoutée, il s’est traduit par l’installation de la station de Chtouka Aït Baha, d’une capacité de 275.000 m³/jour dont 125.000 m³/jour destinés à l’irrigation. Son extension permettra un apport supplémentaire de 40 millions de m³ par an. De surcroît, la poursuite des travaux de la station de dessalement de l’eau de mer de Dakhla, dans un cadre de PPP permettra de mobiliser une capacité totale de 37 Mm3/an dont 30 Mm3/an pour l’irrigation de 5.000 ha.

Le taux d’avancement des travaux est de 64%. À signaler aussi le lancement de grands projets d’interconnexion entre les bassins hydrauliques. Une première phase du projet de liaison entre les bassins de Sebou et de Bouregreg a été réalisée, permettant de transférer environ 400 millions m3/an. Une seconde phase est prévue pour acheminer l’eau vers les zones souffrant de déficits structurels, telles que les bassins de l’Oum Er-Rbia et du Tensift.

Face aux défis croissants auxquels est confrontée l’agriculture au Maroc, des réajustements sont nécessaires, en particulier par le renforcement de la résilience climatique. Ceci passe par la poursuite du développement et la diversification de l’offre en eau d’irrigation, le renforcement des mesures d’adaptation au changement climatique à travers la poursuite du programme de semis direct et le lancement du programme d’irrigation de complément pour les céréales en zones bour. À cela s’ajoute l’accélération de la valorisation des produits agricoles en renforçant le secteur de l’agro-industrie : un projet de nouveau plan d’action de développement de ces industries, conjointement avec le ministère de l’Industrie et du Commerce, est en cours de lancement.

Selon le HCP, le secteur «Agriculture, forêt et pêche» a perdu 137.000 postes en 2024 au niveau national, découlant d’une perte de 146.000 emplois en milieu rural. Quelles mesures d’urgence le ministère a adopté pour inverser cette tendance surtout dans le cadre de la feuille de route gouvernementale afin de créer de nouvelles opportunités en milieu rural, notamment pour les jeunes et les femmes ?
Les données récemment publiées par le Haut-commissariat au plan (HCP) mettent en lumière l’ampleur des défis actuels, dans un contexte marqué par les effets persistants du changement climatique et des mutations socio-démographiques de la population marocaine.

La SGG 2020-2030 accorde une priorité au capital humain à travers des axes structurels qui s’articulent autour de l’émergence d’une nouvelle génération de classe moyenne agricole, l’émergence de jeunes entrepreneurs, le renforcement des organisations professionnelles agricoles et la mise en place de dispositifs d’accompagnement et de conseil. Elle vise à créer 350.000 emplois à travers, entre autres, l’entrepreneuriat et les sociétés de services tout en faisant émerger une nouvelle génération de jeunes entrepreneurs agricoles, essentiellement à travers trois volets : la valorisation de près d’un million d’hectares de terres collectives dans le cadre de la location et de la melkisation en bour et en irrigué au profit de 200.000 bénéficiaires (investisseurs, ayants droits et jeunes), dont 45.000 jeunes ; l’accompagnement technique et financier des jeunes à la création d’entreprises agricoles et de sociétés de services, agricoles, para-agricoles et de transformation ; et la formation de 150.000 jeunes lauréats d’ici 2030, dont 10.000 de l’enseignement supérieur et 140.000 de l’enseignement professionnel.

Durant ces dernières années, les conditions climatiques sévères, marquées par des sècheresses extrêmes, ont impacté négativement les ressources hydriques et la production, avec des répercussions sur l’activité agricole et l’emploi. Dans un objectif de stimuler l’emploi, le Maroc, via la Feuille de route pour l’emploi (FRE), s’engage dans une stratégie volontariste de développement du marché du travail, avec des objectifs précis.

Les difficultés récemment rencontrées par le secteur agricole ont inévitablement impacté certaines filières plus que d’autres en milieu rural. Pouvez-vous nous préciser quelles sont les filières qui ont été les plus affectées et quelles sont les mesures d’urgence et de soutien à long terme que le ministère envisage pour accompagner les agriculteurs et les filières dans leur redressement ?
Le secteur agricole national est confronté actuellement à plusieurs contraintes et défis majeurs. En effet, la sécheresse récurrente qu’a connue le pays lors des six dernières campagnes agricoles, caractérisées par des précipitations irrégulières, inférieures à une année normale, a impacté négativement aussi bien les cultures en bour que les ressources en eau pour l’irrigation (faibles niveaux de remplissage des barrages et baisse des nappes phréatiques). Ceci a limité drastiquement la production au niveau des périmètres irrigués. Cette situation climatique critique a engendré des conséquences négatives sur certaines filières de production, notamment l’olivier, les céréales, les cultures sucrières et le secteur de l’élevage.

En effet, la demande croissante des villes en eau potable pèse lourdement sur l’agriculture irriguée avec des restrictions d’eau sans précèdent dans plusieurs bassins agricoles stratégiques : Doukkala, Tadla, Haouz, Souss Massa et même le Gharb. Ces restrictions, couplées au dérèglement des températures durant les phases critiques de développement des cultures, ont impacté les niveaux de production de l’olivier, des agrumes et des cultures sucrières au niveau des bassins de Tadla, Haouz et Souss-Massa.

En effet, la production oléicole au titre de la saison 2024-25 a atteint 945.000 tonnes (t), soit une baisse de 34% par rapport la moyenne (1,44 Mt). De même, la production agrumicole avoisine 1,5 MT soit -26% par rapport à la moyenne (2,1 Mt). Cette baisse est due principalement au phénomène d’arrachage qu’à connu la filière, impliquant une baisse des superficies des agrumes.

S’agissant des cultures sucrières, une contraction significative de la superficie a été enregistrée entre 2020 et 2024, soit -62% pour la betterave à sucre et -45% pour la canne à sucre. Au niveau des zones pluviales, le déficit pluviométrique a impacté significativement les emblavements des grandes cultures, surtout les céréales et les cultures fourragères. Cette situation a induit une baisse des récoltes céréalières en zones bour. En effet, la superficie emblavée des céréales d’automne lors de la campagne 2024-25 avoisine 2,61 millions d’hectares, soit -39% par rapport à la moyenne.

Ainsi, l’état des parcours a été gravement dégradé, ce qui a impacté les disponibilités fourragères du cheptel national. Face à cette situation, une baisse de 38% de l’effectif des petits ruminants a été enregistrée par rapport à 2016. En outre, la production laitière a connu une réduction de 28% par rapport à la période du PMV. Tenant compte de ces enjeux, le ministère a engagé des actions à caractère urgent pour redresser l’équilibre des filières agricoles, et d’autres de nature stratégique. Celles-ci, destinées à réduire la vulnérabilité du secteur aux aléas climatiques, ont porté essentiellement sur la valorisation de l’eau d’irrigation et le développement de l’offre de l’eau agricole conventionnelle et non conventionnelle, notamment le dessalement de l’eau de mer.

Yassine Saber / Les Inspirations ÉCO



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