Les Cahiers des ÉCO

Politique culturelle : On en est où ?

Au lendemain des élections, l’heure est aux questionnements.  Quelles ont été les actions concrètes du ministère ?   Mohamed Amine Sbihi, ministre de la Culture, fait le point au terme de l’action gouvernementale sur la période 2012-2016. 

Des actions culturelles ponctuelles importantes mais avec un manque de réelle politique culturelle et une vision à long terme. En clair, le ministère de la Culture a toujours eu du mal à joindre les deux bouts avec un des budgets les plus bas comparés aux autres ministères. Cependant en 2012, Mohamed Sbihi avait promis «de faire évoluer un ministère au comportement de mécène et d’acteur culturel vers un ministère aux politiques structurantes, plus horizontales, plus partenariales, en connexion avec les réseaux culturels, artistiques, sociaux et économiques». Certes, plusieurs actions ont été menées mais qu’en est-il de l’impact de ces actions ? Les festivals sont-ils suffisants à mettre en place une politique culturelle saine ? La politique de subventions de projets ponctuels permet-elle d’avancer réellement ? Et qu’en est-il de la répartition de ces subventions ? Pourquoi certaines disciplines sont lésées, plus que d’autres ? Pourquoi le star système est pauvre ? Comment se fait-il que les artistes sont souvent amenés à s’auto-produire ou à immigrer pour réussir ? Pourquoi le cinéma marocain n’a aucune visibilité ? Le théâtre est-il toujours vivant ? Réponses à travers un zoom sur ce qui ne va pas et ce qui a été réalisé.

Quel est le problème de la culture ?
Pourquoi n’arrive-t-on pas à décoller et à avoir une politique culturelle structurée et forte ? Pourquoi les artistes ne vivent pas encore de leur art? Pourquoi ne fait-on pas confiance à la culture ? Et bien parce que la culture au Maroc n’inspire pas confiance et pour la plupart, elle n’est pas source d’argent, ou même plus : pas source d’intérêt. «Jamais le public ne pourra s’intéresser à des films d’auteur», s’amusaient des réfractaires il y a quelques années. «Les salles de cinéma sont vides, le cinéma n’intéresse plus». Pourtant, les semaines du film européen ont fait salle comble à chaque projection. Les projections du Festival international du film de Marrakech attirent de plus en plus de monde.

Les concerts sont pleins. Le public est toujours au rendez-vous. Comment expliquer cela ? Comment peut-on expliquer que même des festivals qui ont eu de l’impact, ont du mal à vivre et sont même reportés par manque de budget ? Comment expliquer que le L’Boulevard, qui fait du bien à la jeunesse et a su créer toute une génération d’artistes marocains qui comptent et qui est une des seules preuves que l’on peut réussir à avoir une industrie musicale au Maroc, vient de rendre l’âme pour cette année et donne rendez-vous l’année prochaine, peut-être…pourquoi ? D’après le ministère de la Culture, malgré les efforts déployés en vue de faciliter l’accès à la culture et de garantir une offre culturelle en mesure de contribuer à la dynamique culturelle et artistique nationale, le niveau des prestations culturelles continue à être affecté par une carence en ressources humaines compétentes et par la modicité des enveloppes budgétaires allouées aux institutions culturelles. Combler ce déficit exige la mobilisation de ressources supplémentaires et la convergence des efforts de l’ensemble des intervenants concernés.

Dans cette perspective, le département de la Culture a élaboré et déposé auprès du Secrétariat général du gouvernement, en 2014, un projet de loi portant création d’établissements de partenariat culturel, constituant une nouvelle génération d’établissements publics, régis par des procédures simplifiées. Ce nouveau modèle de gestion partenariale entre l’État, les collectivités territoriales et autres institutions est en mesure d’assurer une gestion plus efficace et une amélioration des prestations à travers la convergence des moyens et potentialités des partenaires concernés. «Il a été constaté que, malgré une certaine vitalité culturelle au sein de la société et nombre de réalisations culturelles, l’action du ministère de la Culture était restée profondément limitée, disposant de moyens modestes et d’outils d’intervention parfois essoufflés face à un environnement en évolution rapide», affirme le ministre de la Culture.

Cependant, entre 2012 et 2016, il y a eu priorité sur cinq axes majeurs : Une politique de proximité en matière culturelle, la mise en place d’un nouveau modèle de soutien à la création culturelle et artistique, à travers un fonds de soutien à l’édition et au livre, à la production théâtrale, à la musique et aux arts chorégraphiques, aux arts plastiques et visuels, ainsi qu’à l’organisation de manifestations culturelles et artistiques, la réhabilitation et la valorisation du patrimoine culturel, avec l’objectif de répondre au mieux au défi de préservation de notre patrimoine, tout en contribuant à sa valorisation, la diplomatie culturelle, qui vise à mieux faire connaître à l’international notre création artistique et culturelle contemporaine, notre patrimoine et l’amélioration de la gouvernance du secteur, à travers des actions permettant une gestion plus efficace des ressources et une meilleure motivation des personnels.

La proximité pour mieux grandir ensemble
Un des plus grands problèmes de la culture au Maroc est ce vide culturel dans les quartiers, dans les communes, dans les régions. Où sont nos conservatoires et nos maisons de jeunesse ? Des lieux où des générations se sont construites autrement. Le ministère a pointé du doigt une gangrène qui ne fait qu’empirer. Pour ce faire, il y a eu une volonté de mettre sur pied une réelle politique culturelle de proximité dont l’objectif est de palier graduellement à la faiblesse des infrastructures culturelles dans les régions et communes à travers la construction de centres culturels, théâtres, bibliothèques et médiathèques, galeries d’art, conservatoires de musique. «Grâce à une politique volontariste et partenariale qui a connu une avancée très substantielle avec la réalisation de plus de 50 établissements culturels, dont certains sont en cours de réalisation, contribuant à renforcer le réseau des centres culturels, et d’atténuer le déséquilibre flagrant entre les régions et les communes.

Aux côtés des établissements culturels de proximité, de grands projets culturels, initiés par sa majesté le roi Mohammed VI, en particulier à Rabat, Casablanca, Tanger, Safi, Oujda, Kénitra vont permettre de doter notre pays de nouveaux espaces culturels de référence et d’envergure internationale. Un effort particulier a, en outre, été fourni pour améliorer la gestion et l’animation culturelle des établissements dédiés pour qu’ils soient plus en mesure d’assurer leur rôle éducatif, de socialisation, d’intégration et de soutien à la création», précise Mohamed Amine Sbihi.

En effet, entre 2012 et 2016, un budget annuel de 160 millions de dirhams a été alloué à ce programme, soit plus que 67% du budget d’investissement du ministère, consolidé par un effort de l’État, dans le cadre des grands projets du roi Mohammed VI et par divers partenariats avec les collectivités territoriales et dans le cadre de la convergence des politiques sectorielles. Lors de la période 2012-2016, le Maroc a réalisé ou lancé les travaux de 54 nouvelles institutions culturelles, à un rythme inégalé auparavant, souligne le bilan dudit ministère. Partant de la cartographie culturelle, élaborée par le ministère de la Culture en 2012, un programme précis de réalisation de centres culturels a été préparé, accordant la priorité aux capitales des préfectures et provinces, ainsi qu’aux régions désavantagées. C’est ainsi qu’il y a eu couverture de 35 collectivités urbaines qui ne disposaient d’aucune structure culturelle avant, auxquelles s’ajoutent 19 nouvelles institutions culturelles venant renforcer le réseau culturel de plusieurs grandes villes.

Il y a également eu des efforts consentis pour la couverture de 29 capitales de préfectures ou provinces qui ne disposaient auparavant d’aucune structure culturelle. Le déficit des collectivités urbaines en structures culturelles, relevé jusqu’en 2016, affecte en premier lieu 15 capitales de préfectures ou de provinces, 32 autres collectivités locales de plus de 20.000 habitants, 20 villes, grandes et moyennes, qui nécessitent le développement du réseau de leurs institutions culturelles d’où un déficit qui concerne, prioritairement, 67 villes ou collectivités territoriales. Afin de combler ce déficit à l’horizon 2020, le ministère de la Culture a élaboré, en 2015, un ambitieux projet de programme national consacré à l’équipement culturel. Le coût global du projet étant estimé à 2 milliards de dirhams, il a été soumis aux départements de l’Intérieur, et de l’Habitat et de la politique de la ville pour une réalisation et un financement conjoints.

Soutenir la création culturelle ?
Les infrastructures c’est bien, mais comment faire vivre ces murs vides sans nourrir et encourager la créativité ? C’est à cet effet qu’une nouvelle politique en matière de soutien à la création culturelle et artistique a été mise en place pour accompagner les secteurs de l’édition et du livre, du théâtre, de la musique et des arts chorégraphiques, des arts plastiques et visuels, et des manifestations culturelles et artistiques. «Ce nouveau dispositif, qui constitue une avancée notable, permet d’associer la création culturelle et artistique à sa nécessaire diffusion et commercialisation, en soutenant ainsi bien les créateurs, dans le plein respect de leur liberté de création, que les entrepreneurs culturels permettant ainsi de renforcer nos industries culturelles et créatives». Pour permettre à ce dispositif de soutien de constituer un véritable modèle national de développement des industries culturelles et créatives, basé, d’une part sur un fonds de soutien à la création, doté aujourd’hui de 65 millions de dirhams avec l’objectif d’atteindre 100 millions de dirhams en 2020, et d’autre part sur un programme spécifique aux entreprises culturelles, des mesures d’accompagnement ont été mises en place.

Ce nouveau dispositif a connu un attrait indéniable comme en témoignent le nombre de projets soumis et soutenus depuis 2014. Pour les années 2012 et 2013, pour lesquelles l’ancien système était en vigueur et ne concernait que le soutien au théâtre, à la musique, aux revues culturelles et aux associations culturelles, une augmentation substantielle des budgets alloués a permis de soutenir 182 projets en 2012 et 196 en 2013. Le ministère a mis en place un programme de soutien aux entreprises culturelles, en partenariat avec une grande banque marocaine, permettant l’accès aux crédits bancaires à des taux préférentiels et avec le renforcement du Fonds de garantie des industries culturelles, a créé le Bureau export de la musique -MOMEX- en partenariat avec les fondations OCP et Hiba, pour promouvoir les artistes nationaux à l’international et accompagner les projets artistiques sur les nouveaux supports numériques, organisé depuis 2014 la première plateforme professionnelle de la musique en Afrique : «Visa for Music» en partenariat avec la Fondation Hiba et la société Anya. Le ministère, selon son bilan, a permis l’intégration de 82 métiers artistiques et prestations culturelles dans le statut d’auto-entrepreneur et dans les dispositifs de couverture médicale et de retraite prévus par la loi sur les travailleurs indépendants et la promulgation d’une nouvelle loi de l’artiste et des métiers artistiques permettant de mieux encadrer les relations professionnelles entre les artistes et les entreprises culturelles via l’octroi de la carte professionnelle.

Écrire l’histoire…pour s’ouvrir au monde.
Le troisième axe de la politique culturelle du ministère concerne la conservation, la protection, la valorisation et la transmission aux générations futures du patrimoine culturel. Le secteur du patrimoine a bénéficié de la mobilisation de près de 140 millions de dirhams annuellement, à travers les ressources budgétaires du département de la Culture, les contributions de plusieurs départements, dans le cadre de la convergence des politiques sectorielles, et les partenariats et dons. Le programme de réhabilitation et de valorisation de 27 sites historiques de l’ancienne médina de Fès, initié par le roi Mohammed VI, a donné l’exemple.

Par ailleurs, le ministère a fourni un effort particulier pour l’inscription et le classement de nombreux sites historiques et d’œuvres du patrimoine mobilier, atteignant ainsi une moyenne annuelle de plus de 45 opérations. L’administration régionale du patrimoine s’est renforcée, au cours de la période 2012-2016, par la création de 6 inspections régionales des monuments historiques et des sites archéologiques, de 7 conservations, de 10 conservations régionales du patrimoine matériel et immatériel, de 6 services d’inventaire et de valorisation du patrimoine et de 5 centres d’interprétation du patrimoine. Un travail sur la mémoire pour mieux entrevoir l’avenir et le monde qui nous entoure puisque le quatrième axe insiste sur la diplomatie culturelle.

Le rayonnement culturel du Maroc, le renforcement des liens culturels avec la communauté des Marocains du monde et l’ouverture sur les cultures du monde, et tout particulièrement celles de pays amis, ont constitué des composantes essentielles de la politique sectorielle du ministère de la Culture. «Sur la période 2012-2016, l’action culturelle et artistique marocaine à l’étranger s’est caractérisée par une remarquable vivacité qui s’exprime par une présence remarquable du Maroc dans plusieurs manifestations culturelles et artistiques de premier rang, en tant qu’invité d’honneur à nombre de salons du livre, de biennales, de manifestations musicales ou théâtrales, ou comme participant à d’innombrables activités artistiques et culturelles organisées à travers le monde. Par ailleurs, le Maroc a abrité nombre de manifestations et rencontres culturelles et artistiques, dans le cadre de sa coopération culturelle avec de nombreux pays amis et organisations internationales».

En effet, le ministère a participé, entre 2012 et 2016, à plus de 160 manifestations culturelles dans le monde, organisé ou co-organisé environ 70 activités étrangères et initié 17 mémorandums d’entente, accords, protocoles de coopération et programmes d’application d’accords ont été conclus entre le royaume du Maroc et plusieurs pays. Le budget du ministère de la Culture a connu, durant la période 2012-2016, une augmentation de 20% qui est demeurée insuffisante pour répondre à l’ensemble des attentes. Le problème qui se pose et ce qui ralentit la machine, c’est un déficit chronique en ressources humaines, qui s’aggrave d’année en année avec l’ouverture de nouvelles institutions culturelles, un retard dans l’approbation de projets de lois et de décrets soumis par le ministère, alors que leur mise en vigueur est à même d’améliorer leur cadre juridique pour une meilleure exécution de la politique publique dans le secteur culturel, un budget du département de la Culture qui reste très en deçà des besoins et des budgets de la culture de pays comparables au Maroc. «Ce bilan du ministère de la Culture pour la période 2012-2016, nous l’estimons positif. Nous en sommes d’autant plus fiers qu’il a été réalisé dans des conditions difficiles de faiblesse des moyens alloués.

La force de la volonté, l’engagement sans faille des collaborateurs et des cadres du ministère, au niveau central et régional, l’adhésion des partenaires culturels, tous ces éléments réunis ont permis d’aller aussi loin que possible», conclut Mohamed Amine Sbihi qui se dit plein de gratitude pour les efforts qu’ils ont déployés, en espérant que «la culture, au Maroc, puisse trouver toute sa place»…



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