Le plus tarentinesque des DJs !
Musicien décalé comme sorti tout droit d’un scénario de Tarentino, à la «Pulp Fiction», Butch alias Bülent Gürler est, depuis 20 ans, l’un des DJs les plus talentueux de sa génération. Versatile et véritable caméléon dans sa façon de mixer, il puise dans tous les genres, se nourrit des énergies du moment et propose des sets tech-house qui font voyager dans le temps et dans l’espace. Après un set mémorable à l’Oasis festival de Marrakech en septembre, il revient à Casablanca pour partager la scène avec le DJ marocain Amine K au V Club. Interview exclusive avec le magicien zen des platines dont la clef du succès est le travail et la patience.
Les Inspirations Éco : Après un des meilleurs sets de l’Oasis festival, vous revenez au Maroc. Comment vous préparez-vous avant de venir dans un pays qui ne vous est pas familier ?
Butch DJ : Merci pour ces gentils mots ! À chacun de mes gigs, je me prépare comme si je m’étais préparé toute une vie, que ce soit dans le salon d’un ami, il y a de cela 20 ans à Mayence (sa ville natale en Allemagne) ou récemment au Maroc. Toute ma vie a été dédiée à la préparation et à l’écoute : écouter des démos, de la musique et quand j’arrive à destination, j’écoute les DJs locaux, j’écoute le public et la foule et quand je suis face à mes platines, j’écoute mon instinct pour savoir ce qu’il me reste à faire.
Vous avez cette capacité à explorer et à proposer de nouvelles choses dans la musique électronique avec beaucoup d’instinct. D’où vous vient l’inspiration ?
J’ai découvert, il y a bien longtemps, que j’aimais beaucoup de genres musicaux. J’ai remarqué aussi ce que les choses avaient en commun. Les gens semblent se soucier plus de ce qui différent : les genres et les styles. Moi, je me concentre sur ce qui les connecte, ce qui les rassemble et ce qu’ils ont en commun ! Je ne me rends même pas compte des transitions, c’est quelque chose de fluide chez moi. Et c’est sûrement parce que je ressens cela que le public le ressent comme cela aussi.
Quand vous mixez, on a l’impression que c’est inné. Quelle est la part de don, de magie et de technique, c’est le résultat d’un travail acharné ?
On ne peux pas séparer le travail et la rigueur, de la magie ! La magie n’opérera jamais si vous n’avez pas les capacités nécessaires pour faire sortir cette magie, même de façon inconsciente. Il faut avoir une réelle éthique de travail et aimer la profession, passer des heures derrière les platines à s’entraîner pour que cela devienne une seconde nature. C’est à ce moment là que l’on peut se laisser aller, se connecter à la foule et laisser la magie opérer…
Vous avez dit dans une interview : «Vous pouvez devenir l’un des plus grands DJs au monde sans avoir aucune idée de la notion du Djing»….
Toute est une question de connexion avec les gens autour de vous. Un DJ bon et brillant techniquement, qui ne fait que montre de son talent sans faire attention de faire du public un allié, des amis, ne pourra jamais gagner la partie ! Il faut vraiment bâtir une réelle relation et sentir où la connexion musicale s’établit afin de commencer par là. La musique peut être belle par elle-même mais la musique est là pour connecter les gens et te connecter, toi, avec quelque chose que l’on a au plus profond de nous. Si tu oublies cela, alors ton set sera vide, manquera de profondeur. Si tu gardes cela en tête alors de cette manière là, tu peux créer la connexion même si tu ne sais pas caler deux morceaux sans appuyer sur le bouton Sync (Bouton qui sert à mettre deux morceaux sur la même tonalité alors que les vrais DJs les calent à l’oreille). Mais honnêtement, cela aide également d’être capable de mixer un bon vieux vinyle, ça donne du relief et de la profondeur à la façon de mixer.
Quel genre de musique écoutez-vous ?
Tous les genres de musique, du rock à la pop en passant par la musique classique, le hip hop ou encore la musique expérimentale. Tous les styles ont quelque chose à offrir et m’apporte quelque chose à moi. La deuxième symphonie de Mahler est une tuerie !
À quel moment vous vous êtes dit que le métier de DJ était ce que vous vouliez faire de votre vie ?
Le Djing est une grande partie de ma vie, mais ce n’est pas toute ma vie. Produire de la musique est presque aussi important ! Mais la musique a toujours été en moi, sous plusieurs formes. Je me souviens avoir été bouche bée devant un documentaire, quand j’étais gamin. Un documentaire avec un DJ qui, selon moi, était le plus heureux gars de la planète puisqu’il arrivait à faire danser toute une foule, tout en maîtrisant de façon hallucinante les platines ! C’est là où j’ai su que ma place était, derrière les platines.
À quel point, Berlin la capitale de la musique électronique, a contribué à faire de vous un meilleur DJ ?
Berlin est incroyable, mais honnêtement, j’étais déjà un DJ à part entière avant même d’arriver à Berlin. J’étais déjà habitué à la scène, à Mayence, pas loin de Frankfort où j’ai grandi. L’entourage est important et influence forcément, donc j’ai commencé à être influencé par des DJs hip hop et à me préoccuper de ma technique. Lorsque j’ai constaté que certains DJs locaux avaient un pouvoir sur le public sans étaler leurs compétences, ou leur talent, c’est là que j’ai commencé à travailler ce volet en moi. Berlin est venue bien après. Ce qui rend Berlin unique, c’est le fait que la musique électronique est partout. C’est fou et j’adore cela ! Mais Berlin n’a pas fait de moi le DJ que je suis aujourd’hui…
Les titres de vos morceaux sont incroyables : «Shahrzad», «El camion», «Juice Machine», «Badassacid»…Comment se fait le choix des noms de vos mixs ?
(Rires). Je n’en ai aucune idée ! Ces mots me viennent à l’esprit quand je travaille un morceau intensément. Je n’ai pas l’impression de choisir un nom, c’est le nom qui choisit les morceaux. Ça me vient naturellement…Les titres s’imposent de par eux-mêmes. Ils sont soudainement là.
Comment voyez-vous la scène électronique de nos jours et comment avez-vous vécu son évolution depuis 20 ans ?
La scène a beaucoup évolué et a beaucoup grandi, et j’aime cela personnellement ! Elle n’arrête pas d’évoluer, de prendre des directions qui des fois me plaisent, des fois me touchent moins. Mais, je me sens chez moi, à l’aise au sein de cette scène. Et j’aime le rôle que j’y joue.
Quel conseil donneriez-vous à cette nouvelle scène justement ?
Tout d’abord, je leur demanderai de se poser la question s’ils sont prêtes à travailler leur musique 364 jours par an pendant 7 ans avant de sortir un son. Si la réponse est oui, alors ce boulot est pour eux ! Apprenez la théorie, côtoyer des musiciens qui sont meilleurs que vous et qui vont vous apprendre les ficelles du métier, imiter les sons dans un premier temps des producteurs que vous aimez ou imiter les mixes des DJs que vous admirez. Travaillez dur chaque jour et doucement vous réussirez à développer votre propre style. Ne vous ententez pas à sortit un mix les premières années. Apprenez à aimer ce que vous faites et ne vous attendez pas à ce que tout le monde aime ou adhère à votre musique. Vos chansons sont comme vos bébés. Et parce que vous allez travaillez votre musique tous les jours, vous allez avoir plusieurs bébés qui ne seront pas tous réussis. Vous pouvez les aimez quand même mais n’attendez à ce que d’autre les aiment.
Selon vous, la clé de réussite est de ne pas baisser les bras ?
Absolument ! Ne pas baisser les bras, être patient, travailler et se nourrir du travail des autres. Regardez les tutorials sur Youtube et n’hésitez pas à prendre des cours de Djing. Ecouter tous les types de musique pour développer votre oreille et trouver quelque chose que vous aimez ou tout du moins quelque chose qui fait le lien entre différents genres. Encouragez les DJs, les Youtubers, les producteurs, les compositeurs, les labels, les gens que vous aimez en partageant des videos, des sons. Achetez leur musique, interagissez avec eux, encouragez les sur le long terme. Au fil du temps, ces gens là vous remarquerez et commenceront à construire un lien avec vous. Si vous en valez la peine, ces gens là seront prêts à vous aider en retour, à vous tendre la main si vous demandez leur aide. Mais soyez patient. Ne demandez à être écouté par un professionnel que lorsque vous êtes prêts , il faut résister à cette tentation de tout vouloir vite, si votre bébé n’est pas assez beau, laissez lui le temps de grandir, de devenir meilleur. Ce que je veux dire c’est qu’il faut donner de le consistance à votre travail en s’investissant à corps et âme pendant des années. C’est ce qui fera de vous quelqu’un de meilleur. Et le plus important : avoir une vie en dehors de la vie d’artiste, de DJ. Avoir une vie de famille équilibrée, manger équilibré, faire du sport. C’est tellement mieux de danser sur un dance floor avec de l’énergie que de se sentir fatigué et dépassé. L’hygiène de vie est primordial. C’est le secret de la longévité d’une carrière…