Langue : Pourquoi un dictionnaire pour la darija
L’acteur associatif Nourredine Ayouch a beaucoup fait parler de lui ces dernières années pour son engagement en faveur de l’arabe dialectal marocain. Aujourd’hui, il sort un dictionnaire de darija où sont recencés les mots courants de cette langue aussi riche que complexe. Une initiative très controversée. Dans une interview accordée à Horizon TV, dans le cadre de l’émission «Fi Samim», Ayouche défend ardemment son projet.
Depuis toujours, la darija est un sujet qui ne laisse pas indifférent. L’acteur associatif Nourredine Ayouch (photo) ravive le débat avec la publication d’un dictionnaire de la langue «parlée». Idée de génie ou blasphème ? Solution miracle au grand souci de l’éducation nationale ou mauvaise orientation d’un débat qui gagnerait à penser à renforcer la langue de Molière et de Mahmoud Darwich ? Le fervent défenseur de la darija n’en démort pas. Selon lui, la darija est notre langue, il faut l’assumer à l’écrit comme à l’oral.Résultat, plus de 8.000 mots sont recensés afin de cerner l’ensemble des mots utilisés dans tout le Maroc.
Un travail de longue haleine
«Nous travaillons sur ce dictionnaire depuis plus de 4 ans. L’équipe qui a travaillé sur ce projet est composée de trois professeurs en linguistique originaires d’Oujda, d’El Jadida et de Casablanca. Ils se sont entourés d’une dizaine de doctorants en linguistique afin de mieux cerner le sujet», confie Nourredine Ayouch qui a choisi d’opter pour la darija parlée à Casablanca et à Rabat. Une décision qui fait mouche puisque notre langue dialectale est à l’image de notre diversité régionale, elle varie selon les régions, selon les villes même. Comment parler d’une seule darija dans ce cas là, quand le Maroc dispose de plusieurs langues parlées ? Comment se faire comprendre dans le nord, comme dans le sud ? «Nous avons opté pour la darija qui se parle à Casablanca et à Rabat car c’est la darija qu’on entend à la télévision, dans les informations, à la radio. Tout le monde la comprend, mais nous avons intégré des mots utilisés dans les différentes régions, au nord, dans le sud…On réfléchit peut être à des versions réduites par région, mais nous préférons œuvrer pour une darija qui touche tout le monde, que tout le monde comprend. En Angleterre, ou dans plusieurs pays, le dialecte varie selon les régions, cela n’empêche pas de comprendre la langue officielle parlée et écrite». Considérée comme une langue vivante, qui évolue tous les jours, la darija a le droit à un dictionnaire évolutif, qui sera mis à jour régulièrement.
«La darija est une langue vivante, qui change tous les jours. Ce dictionnaire est amené à évoluer avec la langue. C’est pour cela que nous travaillons sur une version électronique que l’on peut mettre à jour facilement et les Marocains sont invités à participer en proposant des mots, en donnant leur avis». En effet, un jury composé de professionnels étudiera les propositions et décidera d’ajouter, ou pas, les mots proposés. Un dictionnaire participatif, pour que le Marocain s’approprie sa langue, se reconnaisse dans ce travail qui a coûté 580.000 DH de budget seulement en 4 ans. En effet, un travail à moindre coût puisque plusieurs bénévoles ont mis la main à la pâte. Aujourd’hui, il existe 1.500 exemplaires seulement du dictionnaire qui sera vendu à 200 DH. Les initiateurs du projet misent sur la voie électronique. «Quand j’ai parlé de la darija, il y a 4 ans, 80% étaient contre. Aujourd’hui, 50% sont avec moi parce que les gens ont commencé à en parler, cela s’est démocratisé. Les médias en ont parlé».
Mission linguistique
Un réel travail en profondeur a été fait mais pourquoi nous donner des définitions de mots que l’on connaît déjà, que l’on utilise tous les jours dans la rue ? «Beaucoup de Marocains ne connaissent pas la signification de plusieurs mots. Après études et recherches, nous nous sommes rendus compte qu’il y avait des mots oubliés», précise Nourredine Ayouch qui défend corps et âme la nécessité de se rapprocher des mots parlés dans différentes régions que l’on n’utilise pas dans la vie de tous les jours. «La darija est une langue comme toutes les langues et comme toutes les langues, elle mérite son dictionnaire. Une langue qui est parlée par 90% de la population ne peut pas être mise de côté, nous n’avons pas à avoir honte de notre langue. Quand on parle avec la famille, les amis, l’entourage, ce dictionnaire peut aider à chercher un mot comme on irait chercher dans le Robert», continue Ayouch. Un «Robert» à nous qui a été mal reçu par une certaine presse, qui l’a trouvé choquant, au limite du vulgaire.
En effet, le dictionnaire comporte des mots familiers utilisés dans la rue qui ont dérangé des âmes. Pour les réfractaires, il y a la langue parlée et la langue écrite, la langue de la rue et la langue «plus respectueuse» utilisée dans les foyers. Nul besoin de mélanger les deux. «Tous ces mots dont on parle existent dans les dictionnaires du monde entier. Pourquoi pas le nôtre ? Dans le Robert, on trouve tous ces mots, de l’argo aux mots familiers. Il n’y a pas de honte dans tout cela, les mots «de la rue» doivent être intégrés dans le dictionnaire. Les explications sont professionnelles, faites par des professionnels, des professeurs». Selon Nourredine Ayouch, il n’y a pas à avoir honte de sa langue. Elle existe, elle est là, tout le monde la connaît, tout le monde la parle. Il faut l’assumer. L’initiateur du projet souhaite tellement l’assumer qu’il pense déjà à des projets à long terme : «Nous pensons à une anthologie, à des livres scolaires pour que la darija soit enseignée à l’école. Elle existe à l’école, aujourd’hui mais à l’oral seulement. Nous oeuvrons pour qu’elle soit enseignée à l’écrit et dès les premières années. 300.000 élèves quittent l’école chaque année. Pourquoi ? Parce que la langue avec laquelle on accueille ces enfants n’est pas la langue maternelle mais une autre langue !». Fier de la darija, Nourredine Ayouch souhaite la voir se démocratiser dans les écoles avec, dans un premier temps, un dictionnaire que tout le monde prendrait le temps de feuilleter, de partager. «Nous sommes fiers de notre dictionnaire, nous n’en avons pas honte !».