Les Cahiers des ÉCO

«La Mauritanie peut s’entendre à la fois avec le Maroc et l’Algérie»

Abdoul Alassane Kane, expert consultant en Intégration régionale et ancien fonctionnaire de la CEA (Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique)

Au-delà des opportunités bilatérales, le partenariat économique entre le Maroc et la Mauritanie devrait s’ouvrir sur une perspective régionale. Tel est le point de vue d’Abdoul Alassane Kane, expert consultant en Intégration régionale pour qui Nouakchott peut être dans de bons termes à la fois avec Rabat et Alger.  

Les Inspirations ÉCO : Avec la visite du chef de gouvernement, Abdelilah Benkirane, pensez-vous que l’imbroglio entre la Mauritanie et le Maroc est désormais derrière nous ?
Abdoul Alassane Kane : Il devrait en être ainsi, tout au moins pour la cause immédiate dudit imbroglio. Une rencontre à un si haut niveau devrait, ensemble avec les déclarations non-équivoques des officiels marocains qui l’ont précédée ou suivie, permettre de mettre un terme à l’incompréhension et à la polémique générées par les propos du responsable du Parti de l’Istiqlal. A-t-elle été suffisante pour aplanir toutes les divergences et apurer les ressentis qui semblent perceptibles depuis quelques années entre les deux pays ? Il est trop tôt pour l’affirmer. Les échéances à venir -le tout prochain sommet de l’Union africaine notamment- nous donneront probablement quelques indications ou signaux y afférents.

Comment la Mauritanie peut-elle à la fois être dans de bons termes avec Rabat et Alger ?
Question simple et complexe à la fois. Simple, si on se réfère aux idéaux et principes qui structurent les relations entre États -respect de la souveraineté de chacun, bon voisinage, coopération mutuellement avantageuse, règlement pacifique des différends-. Complexe, quand on prend en compte l’ampleur des divergences existantes entre Rabat et Alger sur le dossier du Sahara, et ce, depuis quatre décennies. L’enjeu pour la Mauritanie, c’est d’avoir sa propre diplomatie, avec une approche holistique, lisible et cohérente dans la durée. Il est communément admis que pour un pays, les facteurs structurants de la diplomatie devraient être d’abord sa géographie, ensuite ses intérêts, et enfin ses sentiments. La diplomatie régionale de la Mauritanie doit refléter sa géographie -toute sa géographie-, ne doit pas être réduite à un mouvement de balancier entre tel et tel voisin, et être sous-tendue par ses intérêts stratégiques. Il n’y a pas que Rabat et Alger autour de la Mauritanie, et son positionnement régional gagnerait en pertinence et en opportunités, s’il est inclusif de tout son voisinage. Les relations avec un pays voisin ne peuvent pas se définir par opposition à un autre voisin. Vu sous cet angle, être en bons termes avec le Maroc et l’Algérie est du domaine du possible, pour peu que les relations soient basées sur des partenariats mutuellement avantageux, et libérées autant d’un certain angélisme anachronique (du genre «nous sommes frères arabes» ou «frères africains») et des soupçons de condescendance qui ont de temps à autre pollué lesdites relations.

Comment analysez-vous les échanges économiques entre le Maroc et la Mauritanie ?
Les données statistiques de la période 2008-2014 montrent notamment que la Mauritanie est en pourcentage, le 3e partenaire commercial du Maroc en Afrique subsaharienne (ASS), avec 8,3%, juste derrière le Nigéria (15,7%) et le Sénégal (11%). Si l’on se réfère aux seules exportations de l’exercice 2014, la Mauritanie a été la première destination des produits marocains avec 12%, devant le Sénégal (9,4%) et la Côte-d’Ivoire (9,1%), loin devant le Mali (4,1%). Pour autant, la Mauritanie reste encore l’un des «parents pauvres» des IDE marocains vers l’ASS, avec seulement 1% durant la période 2003-2013 (au même niveau que le Togo), très loin derrière le Mali (15%), la Côte-d’Ivoire (9%) ou le Burkina (8%). Le ratio Exportations/IDE du Maroc n’est en équilibre qu’avec le Sénégal, la Côte d’Ivoire et -dans une moindre mesure- le Gabon. La Mauritanie fait partie des marchés porteurs pour les exportations marocaines en Afrique, mais elle n’apparaît presque pas sur les radars IDE du royaume chérifien. Il y a donc là un besoin de rééquilibrage, le renforcement et la durabilité de tout partenariat étant tributaire d’une bonne répartition des gains escomptés.

Qu’est-ce que la Mauritanie et le Maroc ont à gagner en développant, chacun leur partenariat ?
Au-delà des opportunités bilatérales, l’optimalité du partenariat économique Mauritanie-Maroc devrait être recherchée dans une perspective régionale. Le Maroc ambitionne de développer ses exportations vers l’Afrique de l’Ouest, et a donc besoin d’une économie mauritanienne ouverte et performante, notamment en matière de transport -transit inter-États, de fourniture de services logistiques et de facilitation du commerce. Le royaume chérifien gagnerait donc à accompagner la Mauritanie dans ses efforts de réalisation et d’entretien d’un réseau routier de qualité, à travers différentes formules de PPP. De son côté, la Mauritanie a un besoin impératif de diversifier son économie, encore largement tributaire du commerce de quelques produits primaires. Cela passe impérativement par une insertion dans des chaînes de valeur régionales, aux fins de promouvoir la transformation desdits produits et une industrie de services dynamique. Une arrivée soutenue d’investisseurs marocains dans le secteur manufacturier, notamment dans le cadre de la Zone franche de Nouadhibou, serait pour l’économie mauritanienne un important levier de croissance et de diversification. Mais pour une plus grande attractivité des IDE -marocains ou autres- la Mauritanie devra gagner le pari de réformes plus audacieuses pour une véritable administration de développement, une amélioration sensible de certains indicateurs de l’environnement des affaires et un retour formel dans le marché régional CEDEAO.

Pensez-vous que le Maroc peut partager avec la Mauritanie son expérience de développement économique, notamment dans des secteurs comme l’Agriculture ?
Le Maroc et la Mauritanie ont en commun un certain nombre de défis de développement dont l’importance du stress hydrique, un déficit céréalier structurel, une forte dépendance aux importations de produits énergétiques d’origine fossile. Sur ces questions, comme sur d’autres, le Maroc développe, depuis quelques années, des politiques et stratégies de réponse à long terme (Plan Maroc Vert, Masen/Énergies renouvelables…) dont les enseignements seraient très utiles pour la Mauritanie, et pas seulement. 


Une économie en quête de rebond

Après avoir fléchi en 2015, l’activité de la Mauritanie a accéléré en 2016 et devrait rester sur une bonne dynamique en 2017. La croissance devrait être soutenue par la relance de la production de la pêche qui compenserait partiellement le ralentissement de l’industrie manufacturière et minière. Le secteur primaire,  pilier majeur de l’économie, reste  particulièrement vulnérable aux fluctuations pluviométriques. Malgré le recul de la production manufacturière, le secteur secondaire reste lui aussi central et devrait être stimulé par les activités de construction et de travaux publics dans le cadre d’un programme d’investissement structurant. S’agissant du secteur tertiaire (secteur financier et commerce), celui-ci devrait poursuivre son expansion pour devenir le premier contributeur à la formation du PIB. L’activité dans le secteur manufacturier pourrait ralentir, et le secteur minier, dominé par la production de cuivre mais surtout de minerai de fer, continuerait à souffrir d’une demande extérieure peu porteuse et de l’absence de rebond du prix de ces matières premières après la baisse observée en 2015.


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