Les Cahiers des ÉCO

Kamal Hachkar fait chanter l’amour en amazigh !

Dans un documentaire pour 2M, le réalisateur Kamal Hachkar touche les Marocains avec des images sorties du plus profond de son âme. Il s’interroge sur l’amour en chanson en décortiquant les poèmes et les paroles amazighs. Une fresque attachante.

En amazigh, il est beau de chanter l’amour. C’est ce que prouve le réalisateur franco-marocain berbère, Kamal Hachkar. Avec «Tassanou-Tayrinou», un documentaire sur la force des chansons et le poids des mots qui en disent bien plus sur nous que les conversations que l’on pourrait avoir, le réalisateur de Tinghir-Jérusalem a signé encore une fois une fresque à la fois réaliste et romantique de sa région natale. Déambulant dans les ruelles, les villages, les douars de Megdaz, Timlil, il rencontre jeunes et moins jeunes qui lui parlent à cœur ouvert du sentiment amoureux.

L’amour en musique
Chanter l’amour est plus facile que de le dire. C’est comme un rituel. Tout ce qui ne se dit pas en société peut être chanté. Les amazighs le font très bien comme ces chants de Ahwach où les hommes et les femmes se font face et déclament des vers poétiques. C’est ce qu’apprend Kamal Hachkar en préparant ce documentaire qui lui a nécessité plus de 7 mois de travail. «C’est une commande de Ali n’ Productions qui a gagné un appel d’offres à 2M et ils ont proposé à 10 réalisateurs de donner leur regard sur l’amour au Maroc. J’ai choisi de parler d’amour en musique car j’ai été baigné, très jeune, en été, par les chants de mes grands-parents, par les chants des hommes et femmes à Tinghir, quand ils déclamaient des poèmes d’amour lors de mariages ou de fiançailles», confie le réalisateur frappé par la beauté et la liberté de ces chants qu’il observait dans une société de plus en plus traditionnelle et conservatrice. «C’est cette curiosité là qui m’a titillé l’esprit. J’ai été baigné par les chants de Rouicha, Chikha et je trouve que la musique est le meilleur vecteur pour avouer son amour». Mais pas seulement. Chanter l’amour oui, mais en amazigh ! «Le français est la langue avec laquelle je m’exprime le mieux, l’amazigh est la langue de l’intime. Il y a avait cette pudeur, même jeune. Ma mère me parlait en amazigh, mon père en français et j’avais du mal à parler berbère. L’amazigh est une langue riche, d’une richesse poétique, métaphorique incroyable».

À la rencontre de l’œuvre de Mririda N’Aït Attik
En creusant, Kamal Hachkar découvre l’œuvre d’une poétesse de l’Atlas : Mririda N’Aït Attik. Découverte par le Français, Réné Euloge qui maîtrisait l’amazigh et qui a pu retranscrire tous ses mots, la poétesse a pu surmonter son analphabétisme. «J’ai découvert cette artiste, qui a écrit des textes splendides, elle qui vivait dans le fin fond de l’Atlas marocain, analphabète, écrit des textes d’une femme amoureuse, aimante, qui a le désir et la passion amoureuse dans une société traditionnelle», confie le réalisateur qui a eu tout de suite le déclic pour commencer son aventure. «Aujourd’hui, avec ce surplus d’une religiosité qui n’existait pas avant, ce conservatisme ambiant, cette instrumentalisation du religieux, font que le sentiment amoureux est souvent associé à la pudeur, à la honte alors que c’est un sentiment universel et normal». «Les chants de la Tassaout», recueil des textes de Mririda N’Aït Attik a marqué les gens de la région, qui continuent à réciter ses poèmes et à chanter ses chansons. «Le fantôme de Mririda erre encore dans la mémoire et les murs de ces ruelles», révèle le documentaire qui montre, combien les paroles de cette femme avant-gardiste sont encore dans l’air du temps. Des chants encore présents, où l’on n’hésite pas à fredonner «Ton amour est enterré dans mon cœur» ou encore «Vous mes proches, vous m’empêcher d’épouser celui que j’aime» et qui réussissent à délier des langues comme cette femme qui avoue n’avoir jamais eu de sentiment pour un mari qu’elle ne connaissait pas quand elle s’est marié avec : «J’ai aimé un homme avant, mais ma famille m’a offerte à un autre». Un autre témoignage moins triste prouve que l’amour peut se construire. «Je ne connaissais pas mon mari avant la nuit de noces. C’est son frère qui est venu me demander en mariage à la maison. Le jour où je l’ai vu je l’ai aimé, à la vie et à la mort», avoue une vieille femme au regard amoureux. Quant à la jeune génération, elle n’échappe pas à la tradition. «J’ai été mariée de force, j’ai divorcé quelque temps après. J’espère choisir le prochain qui partagera ma vie», avoue une jeune femme qui trouve que l’amour est une question de choix et non d’obligation parentale. Elle osera même répondre à un jeune homme qui défend qu’il se laisserait guider par ses parents, car ses parents sont tout ce qu’il a : «Ce ne sont pas tes parents qui vont vivre ta vie, mais toi ! » . Un documentaire qui montre encore une fois, le tiraillement de cette société marocaine entre tradition et modernité. «Les gens devraient être capables d’aimer qui ils veulent et que ce ne soit pas un sujet tabou. Le thème de l’amour est récurrent dans la chanson marocaine», précise Kamal Hachkar qui a foi en cette nouvelle génération pour changer la donne.

Le retour aux sources
Pour Kamal Hachkar, un documentaire est toujours un retour aux sources. Professeur d’histoire, il quitte l’enseignement pour raconter des histoires enfouies dans nos mémoires, comme dans «Tinghir-Jerusalem», où il rappelle le passé en commun entre juifs et musulmans ou encore dans son prochain projet : «Retour au pays natal», où il suit la chanteuse Neta El Kayam, de Jérusalem à Tinghir. Dans son prochain opus, la musique est encore une fois omniprésente. «C’est la base, le terreau de notre identité marocain africaine méditerranéenne», confie le réalisateur nourri par les rencontres qui font que ces documentaires voient le jour. «Il est important de perpétuer cet héritage en commun. J’ai rencontré Neta au Festival des Andalousies Atlantiques, et c’était une évidence pour moi que de faire un film autour d’elle. La musique est un formidable territoire en commun que nous devrions cultiver. C’est là où on oublie nos confessions, nos différents, nos couleurs de peau». Animé par ses envies de raviver la mémoire collective, Kamal Hachkar prévoit une sortie pour «Retour au pays natal» en début 2018, et pense déjà à une fiction écrite par Sofia Alaoui et souhaite publier un beau livre prochainement.


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