Finance participative : Les sukuk avant tout
Le retard d’octroi des agréments aux banques participatives est tributaire des contraintes inhérentes à la gestion ultérieure des liquidités. Une gestion impossible en l’absence des sukuk, seuls titres «valables» comme collatéraux. Ceux-ci sont aussi vitaux pour les opérateurs Takaful. À l’heure actuelle, aucune émission de sukuk n’a été effectuée.
Retour à la case départ ! C’est, d’une certaine manière, le sort de la finance participative au Maroc. Alors que le marché s’enorgueillissait du lancement – enfin – des banques participatives, on se rend compte qu’il fallait en fait commencer par les sukuk. En effet, ces titres sont vitaux pour l’écosystème de la finance participative. Qu’il s’agisse des banques, des opérateurs Takaful ou encore des véhicules de placement participatif, les sukuk sont une pierre angulaire pour le placement ou encore pour répondre aux normes prudentielles. Une situation qui pourrait se résoudre avant la fin de l’année en cours, puisque le ministre de l’Économie et des finances, Mohamed Boussaid, a signé le 6 septembre un mémorandum d’entente avec la Société islamique pour le développement du secteur privé (ICD), filiale de la Banque islamique de développement, pour l’émission de sukuk locaux avant la fin de l’année en cours.
Besoin de liquidité
En effet, chez les banques participatives, la principale problématique qui se posera est celle du refinancement. Quand déjà, avec Dar Safaa, l’encours est de 1,5 MMDH, celui-ci sera encore plus important avec dix banques. Quand bien même les partenaires du Golfe injecteraient des fonds conséquents ou les fonds collectés seraient de taille, le risque que certaines banques se retrouvent, tôt ou tard, en situation d’excédents de liquidités tandis que d’autres en soient en manque est toujours présent. Comme tous bons gestionnaires de trésorerie, les premiers se doivent de placer cet excédent tandis que les seconds devront en emprunter; or aujourd’hui, aucun instrument ne permet un tel échange de manière «halal». Pour Said Amaghdir, président de l’Association marocaine pour les professionnels de la finance participative (voir interview page 15), «il fallait démarrer par les sukuk avant même de lancer les banques».
En effet, le fait de disposer de sukuk permettra la circulation de la liquidité entre les banques participatives à travers l’achat et la vente de ces titres, face notamment à l’absence d’un marché interbancaire participatif. C’est la raison, d’ailleurs, du retard de l’octroi des agréments. Par ailleurs, en dépit de ce retard d’émission de sukuk, les banques vont bon train en ce qui concerne leurs organisations. C’est le cas, notamment, du consortium formé par le CIH avec le qatari QIIB et CDG. Celui-ci avait lancé le recrutement pour sa future banque participative – Ajarinvest – des directeurs d’agences dans les villes de Casablanca, Rabat, Oujda, Laâyoune, Fès, Tanger, Tétouan, Agadir et Marrakech, soit au total 9 villes, parmi les plus grandes agglomérations du royaume.
Contrainte réglementaire
Pour ce qui est des opérateurs Takaful, le besoin en sukuk est double. Le cadre réglementaire prévu a calqué les règles prudentielles de l’assurance classique sur l’assurance participative – Takaful. Ainsi, «à l’image des compagnies d’assurance qui doivent détenir dans leur portefeuille titres des bons du Trésor à hauteur de 30%, les opérateurs Takaful devront avoir 30% de leur portefeuille placé en titres souverains; or il est impossible pour les opérateurs Takaful de placer leurs fonds dans les bons de Trésor, car ils ne sont pas sharia compliant, mais plutôt dans des sukuk», souligne Hakim Bensaid, vice-président de l’Association marocaine pour les professionnels de la finance participative (AMFP). Hormis cette contrainte réglementaire, les opérateurs Takaful auront aussi besoin de véhicules de placement à même de générer des revenus pour faire fructifier l’épargne collectée. Cependant, les seules possibilités offerts se déclinent en des placements immobiliers, pourtant très illiquides, ou en actions cotées, alors que seules 24 actions sur les 75 que compte la corbeille de Casablanca sont sharia compliant, explique Bensaid. Il est donc primordial de disposer des sukuk pour permettre aux opérateurs d’être rentables.
Par ailleurs, si les banques participatives sont en passe de voir le jour, les opérateurs Takaful risquent d’accuser du retard. En effet, la loi les régissant (le projet de loi 59-13), bien qu’elle ait été adoptée par les deux chambres du Parlement, attend sa publication au Bulletin officiel pour entrer en vigueur. Mais il faudra tout de même attendre les décrets d’application et donc la désignation du nouveau ministre des Finances pour son application effective. Il faudra donc attendre 2017 avant de voir les premières compagnies Takaful opérer au Maroc. «Entre-temps, toutes les compagnies d’assurance travaillent sur le volet Takaful pour être prêtes rapidement et accompagner les banques participatives qui n’ont aucun intérêt à commercialiser des packages Mourabaha adossés à des assurances classiques», souligne Bensaid. Quant au schéma du réseau de distribution, Bensaid explique que «compte tenu du choix du législateur d’opter pour le modèle de filiales indépendantes pour le secteur des Takaful, le coût d’investissement est très lourd. Dans un premier temps, les contrats Takaful seront commercialisés via le réseau bancaire participatif, d’autant plus que les contrats prévus concernent la prévoyance et l’épargne.
Un super-régulateur pour une meilleure vision
Said Amaghdir, qui explique dans l’interview ci-contre que le royaume a manqué de vision en ce qui concerne le lancement de la finance participative, estime que, pour mener à bien ce chantier, «il est nécessaire de se doter d’un super-régulateur qui assurera la coordination entre les trois régulateurs existants, notamment Bank Al-Maghrib pour le secteur bancaire, l’Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale (ACAPS) pour le secteur des assurances et l’Autorité marocaine des marchés de capitaux (AMMC) pour les produits de placement, ainsi qu’avec le Conseil supérieur des Oulémas». Il précise par ailleurs que la Banque centrale pourra jouer pleinement ce rôle comme elle le fait pour la stabilité financière en chapeautant un comité multipartite.