Entreprises familiales : Un modèle gagnant … mais fragile
C’est un fait : les entreprises familiales trônent dans le classement des entreprises les plus performantes. Cependant, derrière ces structures, se cachent souvent des problématiques spécifiques à leur caractère d’«affaire familiale» qui peuvent gripper la machine.
Les entreprises familiales sont connues, au Maroc, pour être les plus performantes et les plus résilientes face aux crises. Elles s’érigent pour nombre d’entre elles en véritables «success stories». Cependant, ces structures, bien que solides, se trouvent confrontées à des problématiques spécifiques à leur caractère d’«affaire familiale». Et pour cause, ces problèmes ont souvent trait à une forte implication de la famille généralement motivée par une autre logique qui, souvent, s’avère difficilement conciliable avec celle de l’entreprise et du business. Si les différentes études de cas ont démontré la forte longévité de ces entreprises et la capacité de ces familles à assurer l’harmonie entre les deux logiques, des incompréhensions persistent et elles sont près de 40% à rencontrer des problèmes dans leur mode de gouvernance. C’est à l’aune de ce contexte que le CJD (Centre des jeunes dirigeants d’entreprises) a planché sur la question, à travers un travail approfondi mené par ses commissions.
Affaires familiales ou familles en affaires ?
La question est aujourd’hui centrale. De nombreux chefs d’entreprises interrogés considèrent diriger une entreprise familiale alors que ce n’est parfois pas le cas. «Ce n’est qu’à partir de la transmission à la seconde génération qu’une entreprise peut être qualifiée de familiale», précise néanmoins cet expert. Cette transmission s’avère, donc, nécessaire pour qu’une entreprise accède au statut d’entreprise familiale. Les premiers traits caractérisant une entreprise familiale, celle donc qui a fait l’objet d’au moins une transition générationnelle, sont la présence majoritaire de la famille dans le capital social, ainsi que celle de ses membres aux postes sensibles. Ce dernier point s’explique par la très grande importance accordée à la valeur confiance.
Équations complexes
Une des caractéristiques qui singularise l’entreprise familiale réside dans le lien à assurer entre la logique de la recherche de profit et les émotions, très présentes dans les entreprises familiales et qui peuvent peser sur toutes les décisions de gestion (recrutement, licenciement, ouverture du capital). Autre spécificité: le capital dit «patient» de ces entreprises. «Les entreprises familiales privilégient leur durabilité, plutôt qu’une profitabilité rapide à tout prix», note notre expert. Un niveau de blocage qui ne les empêche, tout de même, pas d’être, en moyenne, 25% plus rentables que des entreprises comparables, mais non-familiales. Pour pérenniser cette rentabilité, et par là, pérenniser l’entreprise dans son existence même, il faut assurer un relais. Et c’est sur ce point qu’entre en ligne de compte l’impératif de bien choisir son mode de transmission intergénérationnelle.
Quid du modèle de transmission
Sur ce point, les statistiques sont alarmantes. Trois-quarts des entreprises, fondées par des familles, échouent dans la transmission à la génération suivante, et seuls 10% de ces entreprises sont transmises à la troisième génération, quand 3 à 4% seulement, parmi elles, arrivent à la quatrième génération. Ceci pose, de facto, l’importance de bien gérer la phase transmission en préparant en amont la succession et en prévenant les crises. Il est un fait, la génération fondatrice qui met toute son énergie dans le développement de l’entreprise, n’a en général, et sauf complications de son environnement ou de gestion, pas de difficultés à faire progresser et prospérer l’entreprise ce qui en fait un projet personnel.
Parallèlement et avec le temps, le nombre des membres impliqués dans l’entreprise parmi la famille aura, entre-temps, grandi, et parfois même le cercle familial concerné se trouvera élargi. Ce qui impliquera de mettre en place des outils appropriés afin d’assurer le bon fonctionnement de la gouvernance en famille, tels un code de gouvernance, une charte familiale, ainsi qu’un conseil de famille et ce, avant que la survenance de crises ou de difficultés. Tout ceci doit idéalement être réalisé avec l’accompagnement d’un expert en vue de détailler les dispositifs qui concernent directement l’entreprise en n’omettant aucun aspect de la gouvernance, en clarifiant, avec précision, le rôle de chacun.
Zakaria Fahim
Expert en accompagnement d’entreprises de croissance, transmission d’entreprises familiales et IT
«La complexité des entreprises familiales réside dans le mode de gouvernance»
Les Inspirations ÉCO : Comment assurer un bon processus de transmission ?
Zakaria Fahim: : À la première génération, le fondateur gère seul tous les pouvoirs et a du mal à lâcher du lest le moment venu. Il faut dire que la valeur de l’entreprise, sa mémoire vive est souvent dans la tête du dirigeant, ceci du fait qu’il y ait peu de process dans l’entreprise. Il faut impérativement impliquer les enfants dès leur plus jeune âge. Il faut leur transmettre les bonnes pratiques dès l’âge de 10/12 ans à travers des formations pour les enfants au sein de l’entreprise, à travers des stages. Les enfants se sentent alors fiers de leur patrimoine familial qu’ils voudront pérenniser. Aujourd’hui, on en est encore loin puisque le sujet est toujours considéré comme tabou.
Combien de temps faut-il pour stabiliser l’entreprise après une passation ?
La passation demande un travail préalable, à savoir des compétences techniques et humaines de la personne qui doit reprendre le flambeau. La préparation de celui qui part prend davantage de temps puisqu’il faut en moyenne 3 à 5 ans. Pour celui qui reprend le flambeau, 3 mois suffisent. Un fois la machine lancée, il faut à la 2e génération entre 6 mois et an pour bien
se lancer.
Comment se déroule, concrètement, cette passation?
Le problème au Maroc réside dans le fait que le dirigeant se détache difficilement par souci d’assurer le suivi de près ou de loin. Ceci peut réellement perturber la gouvernance. Dans le mode même de transmission, certain optent pour l’option qui consiste à transmettre une partie du patrimoine dans une démarche que nous appelons «démembrement». Mais malgré tout, il faut retenir que cette démarche de transmission reste largement taboue dans la mesure où les dirigeants d’entreprises ne mettent pas cela dans leurs priorités, bien que ceci présente un véritable enjeu.