Les Cahiers des ÉCO

Berlinale 2017 : Des ponts pour rapprocher les cultures du monde

La 67e édition du Festival international du cinéma de Berlin, tenue du 9 au 17 février,  a confirmé son statut de festival studieux et cinéphile. Une programmation pointue, des invités de marque au profit de la rencontre entre professionnels du cinéma. Coulisses du premier grand festival de cinéma de l’année en Europe depuis le Berlinale Palast.

Ça pense films, ça discute films, ça réfléchit films. Telle est l’ambiance de la Berlinale considérée comme pas très glamour pour certains, parce que la place est au travail ! Aubaine pour certains, obstacle pour d’autres, la rigueur allemande n’est pas un mythe. On est ici pour travailler. Même les stars ne se mélangent pas, elles sont concentrées sur leur promotion. Tout est calculé, travaillé. Ici, le jury ne donne pas beaucoup d’interviews. Pourquoi ? «Ils sont concentrés sur leur boulot», confie la responsable des interviews. Et parlons-en de ce bureau de presse. Un espace énorme où le café est gratuit et où tout le monde est rivé sur son ordinateur à rédiger ses articles à n’importe quel moment de la journée.

Les projections commencent à 9h jusqu’à 22h pour la dernière séance. Les films se suivent et ne se ressemblent pas, avec une dizaine de catégories entre la compétition, l’hors compétition, le forum, le panorama, le documentaire, les courts métrages et bien d’autres. 24 productions internationales en compétition officielle dont 18 se disputeront l’Ours d’argent ce samedi 18 février. Le président du jury, Paul Verhoeven, le réalisateur néérlandais de «Robocop», «Basic Instinct» et du récent «Elle» aura pour mission de départager les films en compétition. À ses côtés, l’actrice américaine Maggie Gyllenhaal («La secrétaire», «Donnie Darko», «Sherrybaby»), l’actrice allemande Julia Jentsch (primée à la Berlinale pour «Sophie Scholl – Les derniers jours» et en compétition l’an passé avec «24 semaines»), la productrice tunisienne Dora Bouchoucha (qui a produit entre autres «Hédi», sorti en décembre chez nous et primé l’an passé à Berlin), le réalisateur chinois Wang Quan’an (Ours d’or pour son film «Le Mariage de Tuya»), l’acteur mexicain Diego Luna («Y tu mama tambien», «Harvey Milk», «Rogue One») et, enfin, l’artiste plasticien danois Olafur Eliasson l’aideront à faire son choix.

Une compétition de haut niveau
Présenter son film à Berlin n’est pas donné à tous. La compétition est rude, les films sont au niveau. De l’attendu «Ana, mon amour», film roumain allemand et français, à «Félicité» de Alain Gomis ou encore l’hispano-américano-chilien : «Une mujer fantastica», sans parler de «Django», les films viennent des quatre coins du monde pour proposer leur histoire, leur univers. Une compétition, qui dès les premiers jours fait le point sur la situation actuelle, sur la crise identitaire que vit le monde, histoire de fédérer avec les vraies valeurs, celles du cinéma.

En ouverture, la Berlinale choisit de commencer l’édition avec un «Django» pour le moins engagé d’Étienne Comar, sur la vie du musicien de génie sur fond de dénonciation du génocide tzigane de la seconde guerre mondiale. Une première très attendue et pour le moins inattendue où Berlin rappelle son passé nazi en opening de son grand festival sous le regard du monde. «C’est audacieux ! Je ne m’attendais pas à un film aussi fort. Je m’attendais à un biopic sur un musicien de légende, pas à un film engagé !», confie un journaliste de ZDF. Dans «The Dinner», on dénonce une société américaine qui ne sait plus faire la différence entre le bien et le mal et qui souffre des conséquences de décisions politiques qui les dépassent. En somme, une compétition relevée, entre la détresse et un besoin considérable d’amour. «Nous avons monté un programme de longs métrages portés par le courage, l’optimisme et qui sont pleins d’humour», avait prévenu lors d’un entretien Dieter Kosslick. Avec «On body and soul», la Hongroise Ildiko Enyedi raconte l’histoire de deux employés d’un abattoir qui se retrouvent dans leur rêve en mettant en avant un univers à la fois fantasmé et dur d’un quotidien pas très commode. Dans un autre registre, mais tout aussi ancré dans la solitude, la comédie autrichienne de Josef Hader, «Wild Mouse» raconte l’histoire d’une vengeance d’un critique de musique classique contre celui qui l’a licencié, mais ce sera ce samedi où Alain Gomis présentait «Félicité», sans prétention ni outrance, juste avec beaucoup d’émotion et de justesse. Un film sur une chanteuse, mère avant tout qui fait tout afin de récolter la somme nécessaire pour sauver son fils malade.

Des stars dans la ville de l’ours !
Compétition et films pointus, certes, mais on ne se prive pas d’avoir des stars à la Berlinale. Avec Penelope Cruz dans «La reine d’Espagne» un film de Fernando Trueba, Richard en député véreux dans «The dinner», le trio de choc Robert Pattinson, Charlie Hunnam et Sienna Miller dans «The Lost City of Z» ou encore le grand Hugh Jackman dans «Logan», les flashs des photographes n’ont pas cessé de scintiller. Pour des avant-première de qualité, la Berlinale s’est permise des acteurs et réalisateurs de taille. Danny Boyle, y a présenté son «Transpotting 2», près de 20 ans après le premier avec ses acteurs fétiches : Ewan McGregor et Jonny Lee Miller au sommet de leur art. Des films que les journalistes du monde ont pu découvrir grâce à des projections dédiées à la presse qui sont suivies des infaillibles conférences de presse où les équipes de film font face au jeu des questions. Un marathon projections-conférences de presse bien organisé par une Berlinale qui semble marcher comme sur des roulettes.

Le monde arabe en avant
Dans une ambiance politique tout à fait dans l’ère du temps, «la Berlinale veut s’inscrire dans l’actualité, celle des protestations et des désillusions», a souligné l’organisation du festival du film. Pour ce faire, le Film Prize a mis en avant des projets de jeunes scénaristes arabes en collaboration avec des réalisateurs et producteurs allemands. Un pont entre l’Europe et l’Orient à travers le cinéma. «C’est une opportunité incroyable. J’écris mes histoires sans que mon pays s’y intéresse. La Berlinale m’a tendu la main et j’ai trouvé des réalisateurs et producteurs pour faire naître mon film. C’est un rêve qui devient réalité», confie une scénariste égyptienne qui s’est vu produire son court-métrage. «On est allés en Jordanie pour rencontrer les scénaristes et échanger. Après cela, on décide de faire suite ou pas. J’ai tout de suite adhéré, j’ai eu envie de participer à l’aventure», raconte une réalisatrice allemande qui a réalisé le court métrage en question de l’Égyptienne. «Nous voulions créer des ponts pendant que d’autres créent des murs», met en garde la responsable du film «Prize of the Robert Bosch» en faisant allusion à Donald Trump, lors d’un dîner jeudi 10 février, les organisateurs du prix ont fait se rencontrer les artistes avec la presse, histoire d’échanger. L’important était de se rencontrer et de créer des réseaux. Le concept du dîner reposait sur échanger des places à chaque plat pour se rencontre. Ils ont tout compris, ces allemands !

Une autre facette du Maroc
Et oui, l’Allemagne a mis en avant le Maroc et son cinéma à travers une rétrospective des plus pointues et sophistiquées, puisque le festival a choisi de faire la lumière sur Ahmed Bouanani, cinéaste et écrivain marocain. Monteur de formation, réalisateur, auteur et dessinateur, il est né en 1938 et décédé en 2011 et il est connu pour son livre «L’hôpital» et pour son film «Mirage». Qualifié de «mémorialiste d’un cinéma sans mémoire» par un journaliste marocain, le cinéaste était un scruteur de l’histoire. Il travaillait sur la mémoire et le post-colonialisme. Son œuvre importante a beaucoup attiré la curiosité des journalistes et du public allemand. Sa fille Touda Bouanani, lors d’un hommage, a décrit son père comme étant un «illustre inconnu». «Son projet : raconter et réparer la blessure du protectorat, rétablir la continuité culturelle avec le Maroc précolonial, construire une école cinématographique authentiquement marocaine. Il a de son vivant collaboré avec quelques contemporains et surtout tissé des liens d’héritage symbolique ou effectif avec des réalisateurs «prédécesseurs» et «successeurs». Longtemps empêché de réaliser, son entreprise fondatrice a largement été amputée et n’est pas devenue la référence qu’elle aurait dû constituer pour les jeunes cinéastes marocains. Depuis sa mort, néanmoins, sa fille, Touda Bouanani et le documentariste Ali Essafi, appuyés ponctuellement par la Cinémathèque de Tanger ou le Centre cinématographique marocain, travaillent à faire redécouvrir son œuvre et ses préoccupations mémorielles au public et aux étudiants marocains, confiera la même source. Pendant ce temps-là, à Berlin, le monde découvrait l’œuvre d’un artiste marocain qui n’a pas eu le succès escompté mais dont le talent a voyagé assez pour qu’un des plus grands festivals du monde porte un regard plein de respect et de pudeur sur lui. La Berlinale se poursuit jusqu’à ce week-end. Les yeux seront rivés sur la capitale allemande pour savoir qui gagnera l’Ours d’argent. Que le meilleur du meilleur gagne…  


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