Les Cahiers des ÉCO

Ayoub Layoussifi achète son ticket pour la réouverture des cinémas au Maroc !

Dans un court-métrage dédié à l’enfance et à l’espoir, Ayoub Layoussifi s’attaque au problème de la fermeture des salles de cinéma. Dans «Tikitat-A-Soulima», l’acteur et réalisateur marocain raconte l’histoire du jeune Hassan qui fera tout pour acheter un ticket de cinéma la veille de sa fermeture définitive. Un film qui sera projeté au célèbre Festival international du court-métrage de Clermont Ferrand. Poignant.

Des acteurs doués, un scénario bien ficelé, plein d’humanité et de sincérité, une réalisation propre et sans prétention, voilà ce que propose Ayoub Layoussifi dans «Tikitat-A-Soulima», un court-métrage qui raconte les méandres de l’enfance à travers les yeux de Hassan, 11 ans, dont l’objectif est de se payer un ticket de cinéma à 20 DH pour voir le troisième volet de Spiderman. Une mission presque impossible pour le jeune garçon qui n’a pas un sou en poche et qui doit convaincre une mère célibataire et pas toujours compréhensive vis-à-vis de son rêve d’assister à cette dernière séance avant que le seul cinéma de la ville d’Azemmour ne ferme définitivement. Une fresque familiale où le réalisateur raconte comment braver les obstacles qui se tiennent entre un enfant et un rêve par la seule force de l’espoir et de la volonté. Un film sur l’enfance avec comme fond des sujets souvent survolés ou dont on ne parle pas assez : la difficulté d’être mère célibataire, le manque de communication dans la famille marocaine, la perception de la culture dans notre société et surtout la fermeture des salles de cinéma tel un fléau qu’on n’arrive pas à guérir. Une co-production franco-marocaine de Sur les toits Production & K Films d’Antonin Sgambato, Samir Benchikh et Khadija Alami.

«Merhaba», le cinéma qui n’était plus le bienvenu
Une ambiance automnale dans une ville colorée, à la fois populaire sans être populiste, créative sans encourager la création. Il n’y a rien à dire, Azzemour est belle dans les yeux d’Ayoub Layoussifi. En effet, le réalisateur choisit, pour son second court-métrage, de parler de cette ville de 40.000 habitants qui s’apprête à devenir une ville sans cinéma ! Son cinéma «Merhaba» qui pourtant accueille tout le monde à bras ouverts, n’est plus le bienvenu. Une idée de base de Samir Kassiri qui a été le déclic d’un scénario co-écrit par Ayoub Layoussifi et Hadrien Krasker. «Le seul et unique cinéma de la ville d’Azemmour, au Maroc, a fermé définitivement il y a dix ans. Cette triste réalité a été le point de départ de notre collaboration. Nous nous sommes rencontrés à l’université et nous l’avons quittée avec l’envie de travailler sur un projet commun. Très vite, nous nous sommes intéressés à plusieurs villes au Maroc dont les salles de cinéma ferment l’une après l’autre, faute de rentabilité. Nous nous sommes arrêtés sur cette ville, qui pour nous représentait la ville sans cinéma», confie le réalisateur marocain qui avait pensé à la ville de Kénitra au départ.

En effet, cette dernière est sans cinéma depuis des années, obligeant les cinéphiles à se rendre à Rabat ou à Salé pour assouvir leurs envies de cinéma. Nostalgique, le réalisateur se souvient de l’époque de «nos» parents où la culture du cinéma existait encore, que l’on a perdue avec le temps. «Nous sommes passés de 280 salles de cinéma, il y a 30 ans, à 37 aujourd’hui. C’est choquant. Il y a quelque chose à faire, quelque chose à dire». C’est comme cela qu’est né le personnage du jeune Hassan, âgé de 11 ans, qui veut absolument assister à la dernière séance. Rôle campé par Ilyass El Jihani repéré dans «L’Orchestre des aveugles» de Mohamed Mouftakir, bluffant de justesse dans un rôle qu’on dirait écrit pour lui. «Ilyass est doué ! C’est incroyable de voir un gamin avoir des codes cinéma déjà», confie Ayoub Layoussifi qui a dirigé, lors de courts-métrages, plusieurs enfants. «Ce n’est pas facile de diriger des jeunes. Il faut les intéresser tout le temps, sinon on les perd. Un enfant te rend service, il est là pour s’amuser et n’est pas censé avoir ce sens du devoir, du travail. Chez les enfants, on est à la recherche de cette spontanéité, de cette réalité», continue le réalisateur qui pense aux paroles sages de Truffaut, qui aimait diriger les enfants. «Plus je tournais avec Ilyas, plus je me voyais moi quand j’étais petit. C’est un peu mon enfance aussi».

Le réalisateur avoue que plus qu’un film militant sur la fermeture des cinémas au Maroc, il s’agit avant tout d’un film sur l’enfance…«Paradoxalement, c’est souvent enfant que nous découvrons le cinéma et c’est à ce moment de notre vie qu’il nous émerveille le plus. Pour Hassan, qui aime les images et qui veut aller au cinéma de sa ville, pour cette dernière fois, l’enjeu est de taille ; il se doit d’y être ! Dans ce film, le cinéma symbolise la liberté, le rêve et l’imaginaire, éléments essentiels au développement psychique et à l’équilibre d’un enfant».

Un ticket pour un voyage vers l’enfance
«Tikitat-A-Soulima» est tout d’abord un film sur l’enfance. Le point de vue que nous avons choisi pour raconter cette histoire est celui d’un jeune pré-adolescent en détresse qui vit une relation conflictuelle avec sa mère et dont le père est parti. Dans la culture nord-africaine, les enfants doivent parfois obéir aveuglément à leurs parents, qui souvent, se montrent tyranniques et n’accordent pas d’importance aux envies ou rêves de leur progéniture». Tel est le cas de la mère de Hassan, campée par l’excellente Fatima Zahra Bennacer qui prouve, encore une fois, qu’elle peut tout jouer. Dure et touchante à la fois, elle porte à merveille l’histoire d’une femme blessée par le départ de son homme, d’une mère effrayée par l’avenir de son enfant qui n’ose pas avouer ses faiblesses et qui préfère s’enfermer dans sa carapace pour faire face à la dureté du quotidien. Un mur de non-dits qui crée un gap entre l’enfant et ses rêves, et une mère qui a cessé de rêver il y a bien longtemps.

Ayoub Layoussifi a su saisir ces émotions, ces faiblesses et ces doutes avec une démarche de documentaire, une caméra en mouvement à l’affût d’un réalisme sans limite. «J’ai voulu filmer de vrais instants de vie des quartiers populaires de manière à en faire ressortir l’ambiance et l’effervescence. Des fragments d’une vie réelle que j’ai choisis de filmer comme des tableaux, avec des couleurs légèrement saturées, en accentuant le côté délabré des immeubles. Ces immeubles qui en disent long sur le vécu de ces quartiers qui ne dorment jamais, entre marché en plein air, halka, rassemblements de jeunes, petit cinéma populaire et autres… J’aimerais donc ancrer mon film dans l’immédiat et le vrai, car j’avais besoin que les décors et la lumière soient le reflet de l’état émotionnel de mes personnages», précise le réalisateur qui s’est permis un casting de premier choix avec Hamid Nejah en père de Driss, ami de Hassan, Mehdi Ouazzani en directeur de salle et Salah Bensalah en projectionniste, tous deux bientôt au chômage. «Mes acteurs ont un talent immense, je n’ai presque pas eu à les diriger, ils avaient les personnages en eux déjà. Ils sont incroyables !», avoue le réalisateur-acteur qui n’a de cesse de jongler entre ses différentes casquettes et que l’on retrouvera bientôt dans une série marocaine «Al9albe Al Majrou7» de Jamila El Bourji Benaïssa dans «Burn out» de Nourredine Lakhmari ou encore dans «Mariage blanc pour tous» de Tarek Boudali. Quant à «Tikitat-A-Soulima», il débute déjà son voyage à travers les festivals en commençant par le célébrissime Festival international du court-métrage de Clermont Ferrand dans la section «Regards d’Afrique» ce 4 février avant d’être projeté dans des salles en France et au Maroc prochainement. 


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