Les Cahiers des ÉCO

Athlétisme : Comment la fédération perd des champions

Ils sont nés au Maroc mais ont été révélés au grand jour en Espagne. «Ils» sont des athlètes qui ont risqué leur vie à bord de pateras ou caché au fond d’un camion pour réaliser leur rêve: celui de devenir sportifs d’élite, au prix de leur sueur et de leur persévérance.

Lors du championnat d’Europe tenu récemment à Amsterdam, huit athlètes d’origine marocaine faisaient partie de la sélection espagnole. «À chaque meeting, nous sommes plus nombreux», confie aux Inspirations Éco l’athlète Abdelaziz Merzougui. Originaire de Guelmim, ce spécialiste du 3.000 m steeple fera partie de la délégation qui représentera le voisin ibérique aux Jeux Olympiques de Rio de Janeiro. Il sera accompagné de deux stars montantes de cette discipline sportive: Ilias Fifa, le fraîchement médaillé d’or du championnat d’Europe tenu à Amsterdam, et Adil Mechaal, son dauphin.

Ce n’est pas la première fois que l’équipe olympique du voisin ibérique voit la participation de sportifs naturalisés. Durant les JO de Londres, 23 athlètes sur les 286 membres qui représentaient l’Espagne dans cette compétition de prestige étaient nés en dehors du territoire espagnol. Pour certains candidats à l’immigration irrégulière, cette discipline sportive est devenue le chemin à emprunter pour sortir de la misère sociale. Mais derrière chaque athlète naturalisé, il y a une histoire écrite avec une plume trempée dans la douleur. C’est le cas de Abdelaziz Merzougui. Né à Guelmim en 1991, il a vite compris que briller de mille feux en tant que sportif de haut niveau passe par une prise de risques. «Je ne pouvais pas me permettre, ni ma famille d’ailleurs, les dépenses inhérentes à la pratique de cette discipline. J’avais participé à des rencontres locales, mais aucun organisme ne s’est intéressé à mon cas», se rappelle-il. En 2006, il quitte le Maroc à bord d’une patera pour accomplir son rêve. Il avait 15 ans quand l’embarcation de fortune qui l’emmène arrive aux rivages de Lanzarote en provenance de Sidi Ifni, après 38 heures de traversée.

Grâce au soutien de son ami et proche Ayad Lamdassem, un autre athlète d’origine marocaine arrivé plus tôt, il débarque dans la région catalane. Repéré pour son excellente condition physique après des tests, il est vite admis dans une résidence sportive. Antonio Canovas, l’entraîneur de la Fédération espagnole d’athlétisme, racontait ses premières impressions sur l’athlète: «La plante de ses pieds étaient abîmée pour avoir marché pieds nus mais, malgré cela, les podologues qui l’ont examiné étaient impressionnés de voir comment ces pieds étaient préparés pour le monde de l’athlétisme». Merzougui rêvait de marcher sur les pas de ses idoles Said Aouita et Hicham El Guerrouj. La reconnaissance ne tarde pas à se manifester. Début 2010, le gouvernement espagnol lui octroie la nationalité espagnole selon une procédure de naturalisation exceptionnelle, afin qu’il puisse représenter son pays d’accueil lors des compétitions internationales.

Il s’agit d’une mesure spéciale qui donne l’accès à la citoyenneté espagnole selon une procédure appelée «Nacionalidad por carta de naturaleza». C’est le Conseil des ministres espagnol, à travers un décret royal, qui octroie ce privilège. D’autres Marocains y avaient accédé auparavant comme le Youssef El Nasri, naturalisé en 1998. Toutefois, certains n’hésitent pas à recourir à la supercherie pour décrocher ce sésame. L’ex-champion d’Espagne de cross-country, Mohamed Marhoum était présenté comme la nouvelle star montante de l’athlétisme espagnol. Originaire de Fnideq (1991), il a décidé à l’âge de 13 ans de traverser Bab Sebta et d’y rester. Placé sous la tutelle du gouvernement de l’enclave, il participe à des compétitions locales, ce qui lui permet d’être repéré par la Fédération espagnole d’athlétisme. Marhoum reçoit une bourse et enchaîne les exploits qui ne laissent pas indifférente la Fédération espagnole d’athlétisme. Celle-ci demande sa naturalisation afin de s’approprier ce jeune prodige.

La nationalité espagnole lui a été octroyée en 2011. Porté aux nues par la presse espagnole lors de sa qualification au championnat d’Europe en 2013 organisé à Belgrade, il est promis à un bel avenir. Or, il prend tout le monde de court et s’auto-déclare forfait pour le Mondial de cross-country en Chine, prétextant être affecté par une fâcheuse grippe. Les rumeurs enflent autour de lui et la vérité finit par éclater au grand jour. L’ex-champion d’Espagne de cross-country a été déclaré positif lors d’un test surprise de dopage.

Il décide de mettre fin à sa carrière comme athlète après que la fédération l’ait suspendu et déchu de son titre de champion d’Espagne. Ironie du sort, celui qui était arrivé en première position ce jour-là était Ilias Fifa. Hélas, il ne pouvait prétendre au titre vu qu’il participait à cette compétition en tant qu’étranger. Pire encore, Mohamed Marhoum avait menti à propos de son âge. Il proclamait être né en 1991 alors qu’il était né en 1987. Après ce scandale, nombreux étaient ceux qui ont exigé le retrait de la nationalité à l’athlète «imposteur», comme l’avait surnommait la presse espagnole. L’accès à la citoyenneté espagnole n’a pas rendu le parcours moins pénible pour certains athlètes. Khadija Rahmouni, championne d’Espagne de 800 mètres, a posé nue pour un magazine de charme en arborant sa médaille. «Je l’ai fait pour l’argent», reconnaît-elle. «Ce qu’on gagne en athlétisme n’aide pas à vivre correctement» a-t-elle lancé à ses détracteurs. Khadija a levé le voile sur le fait que les coupes budgétaires ont poussé plusieurs athlètes à chercher un travail pour subvenir à leurs besoins. Arrivée en Espagne alors qu’elle avait à peine un an en compagnie de ses parents, Khadija se considère comme une citoyenne espagnole parfaitement intégrée. «Ce que j’ai laissé derrière moi ne m’intéresse pas». 

En référence à son pays d’origine, elle répond : «ce qui m’intéresse c’est l’Espagne». Malgré un début prometteur, la sportive a dû jongler entre ses entraînements et un travail de vendeuse dans un magasin d’articles de sport alors qu’elle était fraîchement couronnée championne d’Espagne dans la catégorie 800 mètres, en 2013. Si certains ont tourné le dos à leur pays, d’autres le portent toujours dans leur cœur, et ce, malgré leurs déboires avec les instances sportives marocaines. Merzougui ne cache pas ce pincement au cœur qui lui rappelle ses origines à chaque fois qu’il est couronné. «J’aurais aimé représenté le Maroc. Cependant, jamais je n’aurais pu atteindre ce haut niveau au Maroc. Aucun soutien, ni moral, ni financier. Ici, nous sommes choyés en termes d’équipements, d’infrastructures et de suivi. Au Maroc, les instances en charge du sport au Maroc ne remplissent pas leur mission, sinon je n’aurai pas risqué ma vie en me jetant dans la mer, avec tout ce que cela suppose», se lamente-il. Si l’athlète a fait sa vie en Espagne, où il a fondé une famille et se consacre pleinement à sa carrière, il effectue cependant une grande partie de ses entraînements à Ifrane pour se ressourcer et entretenir ce fort lien qui le lie à son pays de cœur.


 

Ces promesses marocaines nichées en Catalogne
Combien y a t-il d’athlète ou futurs athlètes d’origine marocaine en Espagne? Ils seraient de plus en plus nombreux, à en croire le témoignage de Fifa et Mergouzi. Presque tous vivent ou évoluent dans la région catalane. La presse locale parle déjà d’Achraf Boufra ou d’Ahmed Hfairi comme les futurs porte-drapeaux de l’athlétisme espagnol. Certains vouent un amour inconditionnel à la Catalogne. C’est le cas d’Adil Mechaal, qui a déclaré être catalan avant d’être espagnol. Fils d’immigré, Mechaal, originaire de Tétouan, est arrivé dans la région séparatiste à 5 ans. Mechaal en veut à la fédération espagnole pour le retard dans la gestion de son dossier de naturalisation. Il n’a pu représenter son pays d’accueil qu’à partir de 2014, lors du championnat européen de Zurich. Mechaal a déclaré qu’il représentera la Catalogne si la région obtient son indépendance.


 

Lamdassem, précurseur du mouvement migratoire
C’est le «précurseur» du mouvement migratoire d’athlètes de haut niveau vers l’Espagne. Ayad Lamdassem, originaire de Sidi Ifni, y est arrivé en 2002 à bord d’un vol régulier en provenance de Casablanca. Le sportif faisait partie d’une délégation marocaine participantaux championnats du monde universitaire du cross-country. Il déserte le lieu de la concentration et met en exécution son projet migratoire. Ce spécialiste du cross-country a eu la nationalité espagnole en 2007 et a représenté l’Espagne aux JO de 2008 et de 2012. Triple champion d’Espagne de 10.000 m, second champion d’Europe en 2010 et en 2012, la presse le plébiscite.  Il avait expliqué sa décision de déserter l’équipe du Maroc par le favoritisme qui régnait au sein de la fédération nationale marocaine. Lamdassem, qui avait entamé des études en économie au Maroc, espère reprendre le chemin de l’université après sa carrière sportive. 


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