Les Cahiers des ÉCO

Assurances : Se digitaliser ou subir

Le client ne se contente plus de la simple consommation «passive», tous les secteurs doivent répondre à cette nouvelle exigence qu’impose un client actif et conscient de son acte de consommation. L’assurance n’est pas épargnée.

Initier la digitalisation dans le secteur des assurances, certes, mais dans quelle optique, et avec quels outils? Une question à laquelle ont essayé de répondre la quarantaine d’experts invités à la 4e édition du Rendez-vous de l’assurance, organisée les 19 et 20 avril à Casablanca.

Remise en question
Dans tous les secteurs, en effet, les modes de consommation ont tant et si bien changé qu’ils ont imposé leur loi aux acteurs économiques. Entre autres grandes révolutions, donc, la digitalisation atteste de ce besoin  de ce consommateur de ne plus être seulement «passif». Tout comme pour la banque, cette vague a atteint les assurances également, obligeant les opérateurs à se réinventer pour tenir bon.  Car la menace est bel et bien là : les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), certains acteurs de la grande distribution voire même des fournisseurs d’accès mobile et Internet proposent aujourd’hui des produits assurance. De même, les canaux digitaux habituels (sites Internet, applications mobiles, réseaux sociaux… ) sont devenus des canaux de distribution à part entière.

Cette émergence de nouveaux acteurs auxquels il est référé par le terme Insurtech a un impact direct sur les conditions et termes des contrats, mais aussi sur les marges. Selon le World Insurance 2016, Google à elle seule représente une menace pour 40% de l’assurance santé. C’est ainsi toute l’activité qui se trouve en phase de remise en question au vu des chamboulements dans lesquels elle évolue. Pour le secteur, l’avènement, par exemple, des voitures autonomes pose la question de la responsabilité civile: est-elle toujours du ressort du conducteur ou désormais du constructeur, ou même de l’éditeur du logiciel qui pilote le véhicule? Autre exemple, les produits d’assurance santé se trouvent aussi contraints de prendre en compte la génomique qui permet d’analyser la prédisposition à une maladie…

À valeur d’aujourd’hui, ces changements technologiques ont induit notamment cinq transformations radicales sur le marché de l’assurance : Connexion en temps réel en multi-canal, disponibilité des services partout 24h/24, 7j/7, service personnalisé, la «prédictivité» et la détection du sinistre, rappelle Zouheir Bensaid, président-directeur général de RMA Assurance.  Un autre professionnel nous expliquera que la simplification est à ce titre considérée comme valeur dominante. « Le client espère trouver le produit de son choix en 2 à 3 clics. Bientôt 1 seul clic devrait être suffisant», estime-t-il. Toutefois, ces innovations attirent certes la clientèle, mais elles ne garantissent pas sa fidélisation. Pour Henri Debruyne, président du Monitoring European Distribution of Insurance, «acquérir un client et le garder le plus longtemps possible représente un des problèmes de la digitalisation». Un point partagé par le président du CIH, Ahmed Rahhou, qui insiste sur l’importance de repenser le business model et l’adapter à une clientèle habituée à la gratuité et à l’instantanéité des services. Les conditions du défi se trouvent donc claires: Réponse à de nouveaux besoins et conjugaison optimale de  réactivité, souplesse, simplicité et disponibilité.

Expériences marocaines
Certains opérateurs marocains ont déjà emprunté la voie de l’innovation. Saham Assurance avait déjà mis en place, il y a quelques années, un service SMS push «Rak 3ala Bal». Un service qui permet à la fois à l’assuré de recevoir des SMS pour l’informer de l’avancement du traitement de son dossier et également d’être relancé rapidement sur d’éventuelles pièces manquantes. Par ailleurs, la déclaration des sinistres en ligne est une possibilité offerte par Zurich Assurances Maroc (désormais Allianz Maroc) depuis mars 2016. RMA Assurance avait également lancé, en 2016, MalakBox, solution de conduite connectée pour les particuliers au Maroc, basée sur un système de télématique embarquée. Le boîtier permet d’apporter une assistance automatique au client et l’ajustement de la prime grâce au monitoring et au scoring de la conduite.

La compagnie a également annoncé le lancement d’un hackathon dédié à l’innovation en assurance au Maroc, les 13 et 14 mai prochains. Baptisé «RMA Make IT», il permettra à la compagnie d’assurance de dénicher des start-up et des profils à même de contribuer à la mutation du secteur.

Le coût d’une mue
Il faut dire qu’il aura fallu 30 ans pour que le secteur des assurances marocain soit remis à niveau (voir point de vue de Hassan Boubrik, président directeur général de l’ACAPS). C’est au cours des années 90 que le nouveau Code des assurances a vu le jour. Or, pour relever les défis d’un univers connaissant une évolution rapide, la réglementation se doit de tenir le rythme. «À l’ère du digital, il faut s’adapter ou mourir», alerte Rahhou. L’enjeu aujourd’hui concerne essentiellement la surveillance des pratiques du marché, le traitement juridique du caractère transfrontalier des opérations mais aussi la gestion de la concurrence émanant des nouveaux entrants étrangers.

D’ailleurs, les Insurtechs sont actuellement nombreuses, et près du quart concerneraient la distribution d’assurance, tandis que la moitié compte moins de 10 employés, souligne William Vidonja, Head of Conduct of Business à Insurance Europe. Sur le même point, Henri Debruyne s’interroge sur la position des Insurtechs. Faut-il les considérer comme des partenaires ou comme des concurrents? Pour le professionnel, il serait plutôt opportun d’étudier le potentiel de collaboration. «Je ne vois pas comment les réseaux physiques de distribution continueront à œuvrer de manière optimale s’ils ne s’appuient pas sur des systèmes digitalisés suffisamment intelligents et bien organisés. Le défi est de trouver une posture intelligente entre les deux». Notons que cette transformation nécessite des investissements de taille. Chez les assureurs français, par exemple, l’investissement en innovations technologiques pèse 10% du chiffre d’affaires. ros en 2016. 


Christophe Angoulvant
Directeur associé à Roland Berger

Il faut investir significativement dans quatre domaines, à savoir l’expérience client, l’excellence opérationnelle, le nouveau monde (Fintech et Insurtech) et l’agilité organisationnelle».

Denis Jacquet
Fondateur de l’Observatoire de l’ubérisation

Il doit y avoir un effort de protectionnisme face au GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple) non pour les concurrencer, mais pour préserver les acteurs».

Zouheir Bensaid
Président-directeur général de RMA Assurance

L’assurance a besoin de bien plus qu’une révolution technologique. Elle a besoin d’une rupture et d’une désobéissance technologiques».

Laurent Bouschon
Directeur du pôle service à Groupama

Le digital ne fera pas disparaître l’humain. Il va remplacer le papier mais pas l’humain. Par ailleurs, la transformation digitale est une transformation culturelle et humaine».

Ahmed Rahhou
Président-directeur général du CIH

Il est erroné de considérer la digitalisation comme un nouveau mode d’accès aux anciens produits».

Cyrille de Montgolfier
Directeur général de la Parisienne assurance

Le digital n’est pas une fin en soi. La question qui doit se poser est «Quelle vision avons-nous de la transformation de notre métier ?».


Mohamed Hassan Bensalah, président de la Fédération marocaine des sociétés d’assurance et de réassurance (FMSAR)

La digitalisation, un impératif de compétitivité

Pour le président de la FMSAR, le processus de digitalisation va s’accélérer. 

Les Inspirations ÉCO : Comment se manifeste actuellement la digitalisation dans le secteur des assurances au Maroc ?
Mohamed Hassan Bensalah : Vous savez, la digitalisation n’est pas l’apanage des pays développés. Bien au contraire, plusieurs expériences réussies faisant appel à l’innovation viennent des marchés émergents. En ce qui concerne notre marché national, la plupart des entreprises d’assurance se sont engagées dans des projets de transformation digitale d’un certain nombre de process concernant toute la chaîne de valeur. Plusieurs expériences marocaines ont été présentées lors de ces deux journées du Rendez-vous de Casablanca de l’assurance. Le mouvement est en marche et il va s’accélérer. La digitalisation n’est pas un effet de mode, mais bien un impératif pour la préservation de la compétitivité de l’entreprise.

Comment voyez-vous la transformation future du marché marocain ?
Le marché marocain de l’assurance affiche un taux moyen de croissance nettement supérieur à la croissance économique, et ce depuis fort longtemps. Cette situation conduit à une amélioration constante de notre taux de pénétration qui place notre pays, au regard de cet indicateur, au 1er rang du monde arabe et parmi les premiers en Afrique. L’amélioration du taux de pénétration est un impératif pour permettre au plus grand nombre d’agents économiques et de citoyens d’être valablement couverts contre l’ensemble des risques auxquels ils s’exposent au quotidien. Notre marché a gagné en maturité et les acteurs deviennent de plus en plus globaux en cherchant des relais de croissance sur d’autres marchés africains. Je ne pense pas qu’il convienne de parler d’une transformation future du marché mais d’une consolidation et d’un renforcement des capacités opérationnelles des opérateurs.

Dans combien de temp pourra-t-on voir un marché d’assurance marocain  entièrement digitalisé, à l’image de ce qui se passe à l’international ?
C’est vrai qu’on assiste de plus en plus à l’apparition d’acteurs complètement digitalisés, mais il n’existe pas de marchés entièrement digitalisés. L’incursion de la technologie digitale dans nos process est irréversible comme elle l’est pour l’ensemble des secteurs d’activité. Nous ne pouvons plus concevoir qu’une société, surtout de service, ne propose pas son offre sur smartphone. Si vous n’êtes pas, dans un avenir très proche, une société connectée qui interagit avec son environnement de manière «on line», vous risquez de disparaître car les jeunes d’aujourd’hui et même les moins jeunes ne s’intéresseront pas à vous.

Qu’en est-il de la place de Takaful dans cette transformation ?
Il faut voir l’assurance Takaful comme un produit et non comme une activité différente de l’assurance classique. Elle obéira aux mêmes codes.


Hassan Boubrik
Président de l’Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale (ACAPS)

L’évolution de l’assurance digitale est encore assez faible au Maroc. Le cadre réglementaire et législatif qui régit le secteur ne permet pas de profiter pleinement du potentiel que peut offrir le digital dans le secteur des assurances. Le Code des assurances d’aujourd’hui est un code pensé dans les années 90 et donc très imprégné de la période d’assainissement -une période où le secteur a connu beaucoup de difficultés- nous le retrouvons d’ailleurs dans la philosophie du code qui est assez restrictif. Il va falloir vraiment opérer des changements profonds pour profiter pleinement du potentiel de développement du secteur et ce que permet la technologie sur les 15 à 20 prochaines années. Maintenant dans le cadre actuel, il y a des choses que les compagnies peuvent faire -et qu’elles font déjà-, notamment dans la gestion de la relation client dans la gestion des sinistres et de leur paiement, la refonte du Livre IV des assurances qui est aujourd’hui en discussion au niveau du Secrétariat générale du gouvernement -et qui j’espère sera transmise très prochainement pour approbation au Conseil de gouvernement -puis au Parlement-, permet une ouverture sur la distribution digitale (une ouverture relativement encadrée). Là aussi, je pense qu’on franchira un pas supplémentaire. Le cadre réglementaire n’est pas encore tout à fait adéquat. Mais déjà dans ce cadre, les entreprises ont commencé à aller dans ce sens-là. C’est déjà bien, même si on marque un léger retard par rapport à certaines entreprises étrangères, françaises notamment.


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