Anne Paceo : La «batteuse» sans frontières
Elle est virtuose dans la simplicité, génie dans l’âme mais sans fioriture sur scène. Elle se dédie à la musique et partage avec ses musiciens et son public presque dans la retenue quand d’autres batteurs mettent les projecteurs sur eux. Anne Paceo est une extraterrestre. À tout juste 32 ans et 4 albums à son actif, elle propose un nouvel album : «Circles» qui parcourt le monde et le temps. Lauréate d’une Victoire de la musique (Jazz), Anne Paceo a livré un concert d’ouverture envoûtant et surprenant. À son image.
Les Inspirations ÉCO : Dans «Circles», votre premier album, on a l’impression que vous pensez à d’autres styles de musique avant de penser jazz. Quel a été le processus
de création ?
Anne Paceo : Je ne pense jamais par style de musique. Pour moi, le style de musique vient des autres, c’est l’autre qui met dans une case et impose le style de musique. Moi, je pense mélodie, je cherche des rythmes, je cherche des couleurs…Après pour ce disque, j’avais besoin de sons plus électriques, plus électroniques, plus actuels. J’aime bien dire que la musique est faite pour toucher les gens, si on peut en toucher le plus possible avec de nouveaux sons, c’est merveilleux ! Je ne me pose jamais la question du style. J’écris de la musique, je choisis des gens qui vont aller dans la direction que j’entends et après il y a de la magie ou pas.
Sur scène, vous êtes leader mais sans mettre la lumière sur vous. On a eu le droit à un seul solo de batterie d’ailleurs. Est-ce important pour vous de mettre vos musiciens en avant ?
Pour moi, c’est la musique qui prime, ce n’est pas l’égo. Je sais qu’il y a des batteurs qui font des disques où on entend que de la batterie. Pour moi, la musique ne se situe pas là. C’est un choix. Pour moi, la musique c’est quelque chose qui se crée à plusieurs. Je ne pourrais pas jouer avec des gens qui ont un ego surdimensionné, qui ont besoin de se mettre en avant. Pour moi, c’est une énergie qui circule et qui doit être égale à tout le monde. Oui, je suis leader, je fais de la batterie, je compose mais la musique est au premier plan, avant l’instrument ou la technicité.
Les batteurs femmes sont rares. Est-ce qu’on doit plus faire ses preuves lorsqu’on est femme musicienne ?
Je pense que c’est surtout une question d’arriver à faire ses preuves. Il faut passer ce cap, quand les gens ne vous connaissent pas, de convaincre. Après l’avantage aussi, c’est quand on est une femme batteure, on est plus remarquée. Moi, j’ai toujours lutté contre ces idées préconçues de dire «oui, ça marche puisque c’est une femme». Pour moi, il faut être au même niveau que les hommes, sinon mieux. On n’a pas le droit d’être en dessous par contre. On ne nous laisse pas le droit. Du coup, cela fait de nous des femmes plus fortes. Toutes les femmes que je connais, toutes les femmes artistes sont des battantes ! Parce que, quelque part, on nous pousse à être meilleures, on n’a pas le droit à l’erreur ! Peut-être qu’un jour cela va changer, qu’on nous verra différemment. Le fait que je suis arrivée à faire ce que je fais est incroyable, cela peut prouver à d’autres femmes qu’il y a de la place, que la voie est libre. Avant, je n’étais pas féministe, aujourd’hui je me rends compte qu’il faut l’être un peu, qu’il faut qu’on se soutienne…
Et c’est important d’assister à un festival de jazz dédié aux femmes musiciennes…
Cela aurait été, il y a quelques années, j’aurais eu du mal à venir à vous dire vrai…J’avais du mal avec ces festivals, qui sur 5 années de programmation, ne comportaient jamais de femmes avant de dédier une année pour la femme. Je ne parle pas de ce festival, mais en général ! Pour moi le monde idéal, c’est quand il y aura des festivals où il y aura une moitié d’hommes et une moitié de femmes. Peut-être qu’on est encore dans une époque où il faut montrer qu’on est des femmes qui font des choses superbes. C’est très bien, mais j’attends avec impatience le jour où on ne se posera plus la question du genre.
Pourquoi avoir mis autant d’années à sortir ce quatrième album alors que les précédents sont arrivés assez vite ?
Cela a été une période de grands changements dans ma vie, il m’a fallu du temps pour me construire différemment. Il y a eu un moment où je n’arrivais plus à créer, je n’étais plus inspirée. Du coup, je ne me suis pas mise de pression, j’ai joué autre chose : de la pop, de la musique du monde. J’ai sorti ce disque quand je me suis sentie prête. Aujourd’hui, j’ai 32 ans, le dernier je l’ai sorti à 28, en étant jeune adulte. Je sens que j’ai beaucoup mûri entre les deux et cela s’entend dans l’album je pense…
Et après le Tanjazz ?
J’ai beaucoup de musique à écrire, j’ai une création avec des musiciens birmans, de la musique traditionnelle. Une autre création à Besançon en mars avec ce groupe plus de grands invités dont la syrienne Naïssam Jalal. Je vais écrire de la musique pour des jeunes et j’ai bien sûr la tournée de «Circles»…