Les Cahiers des ÉCO

Afrique : À quand l’autosuffisance en sucre ?

Affaibli par un déficit sucrier de 8 à 9 millions de tonnes, chaque année, l’Afrique devra, dans l’avenir, faire face à une forte hausse de la demande tirée par une croissance démographique galopante. La suppression des quotas à l’entrée de l’UE, prévue en octobre prochain, compliquera davantage la situation des exportateurs de sucre roux africain, bénéficiaires d’un régime d’accès préférentiel.

L’Afrique a encore du chemin à faire pour s’imposer sur le marché mondial du sucre. Les chiffres annoncés en marge de la deuxième édition de la Conférence internationale du sucre, organisé du 22 au 23 février à Marrakech, conjointement par l’Association professionnelle sucrière (APS) et l’Organisation internationale du sucre (OIS) font état d’un déficit annuel de 8 à 9 millions de tonnes chaque année. En 2015, le secteur sucrier africain a enregistré une production évaluée à 10,3 millions de tonnes, représentant 6% de la production mondiale, évaluée à 169 millions de tonnes. La consommation du sucre en Afrique, elle, se situe à environ 18,7 millions de tonnes contribuant, pour près de 11%, à la consommation mondiale estimée à 168,7 millions de tonnes. La part du continent africain dans les échanges internationaux est d’environ 22% des importations globales et seulement 7% des exportations mondiales du sucre. Ce constat soulève clairement un problème de souveraineté nationale et de sécurité alimentaire. En effet, le taux d’autosuffisance n’a cessé de se détériorer au fil des ans, passant de 61% en 2014, à 55% en 2015. Plusieurs pays africains sont dans l’obligation d’importer une partie, voire la totalité de leurs besoins intérieurs. Cela s’explique par le recul de la production sucrière des pays de l’Afrique australe, affectés par une sécheresse sévère, causant la réduction des rendements de production et une vulnérabilité de plus en plus sensible de la canne à sucre face aux insectes nuisibles.

Excédents
L’Afrique devra faire face à une forte hausse de la demande en sucre durant les prochaines années, tirée par une croissance démographique galopante. Dix-huit pays parmi les 25, dont la population est la plus jeune, se situent en Afrique. Mieux, 20 à 25 pays africains vont doubler leur population dans les dix prochaines années. En réponse à cette perspective et à l’évolution de la demande et l’offre sur les marchés mondiaux et aux répercussions de la réforme de l’UE (la fin des contingents prévue dès octobre 2017), plusieurs producteurs de sucre en Afrique ont l’intention de démarcher des clients plus près de chez eux, particulièrement ceux bien placés pour servir les marchés régionaux. Ajoutons à cela l’effet des changements au niveau des habitudes de consommation qui stimulent la demande en sucre en Afrique. Le déficit «sucrier» en Afrique cache en vérité des disparités entre les zones géographiques. Ce sont bien les pays de l’Afrique de l’Ouest qui constituent la zone déficitaire du continent. Contrairement aux pays du Sud et ceux de l’Est qui affichent un excédent et restent même très actifs sur les marchés de l’export.

Importations
Mais globalement, les projections de la région Afrique et Moyen-Orient, tablent sur un doublement du déficit sucrier sur les dix prochaines années, à en croire le spécialiste du trading des matières premières et directeur Analyse des marchés chez le mastodonte agroalimentaire asiatique Wilmar, l’actionnaire de référence du groupe sucrier marocain Cosumar. Ce qui devrait naturellement accentuer la tendance à la hausse des importations du sucre, essentiellement du sucre roux (le Maroc a importé un million de tonnes de sucre roux en 2016 et seul aujourd’hui le Soudan importe du sucre blanc en l’absence de raffineries). Faisant référence à la région englobant les pays du Mena, le représentant de Wilmar constate un triplement des capacités de raffinage depuis le début des années 2000 à aujourd’hui. «Nous estimons qu’il y a encore du potentiel avec la construction de nouvelles raffineries ou bien l’extension de celles déjà existantes», estime Karim Salamon. En Afrique subsaharienne, le schéma est inversé étant donné que les pays de cette zone importent un peu plus de 5 millions de tonnes dont les deux tiers sous forme de sucre blanc (seul le Nigéria importe du sucre roux dans cette région). Cela dit, tous les pays de l’Afrique subsaharienne importent des quantités inférieures à 300.000 tonnes de sucre. La majorité du sucre importé émane du Brésil, de l’Inde, du Guatemala, du Mexique, etc. L’Afrique se positionne également sur les marchés de l’export à travers le sucre de l’Afrique du Sud et celui de l’Afrique de l’Est, destiné au marché européen dans le cadre d’un régime préférentiel (2 à 2,5 millions de tonnes annuellement).

Réforme
Les filières sucrières devront faire face à deux principaux défis. D’une part, la production qui aura du mal à accompagner la hausse de la consommation. D’autre part, la réforme du règlement du sucre européen (la suppression des quotas) aura pour conséquence directe une hausse du sucre européen exportable et moins de demandes pour les pays bénéficiant jusqu’ici de régimes préférentiels qui devront désormais rechercher de nouveaux débouchés, soit en Afrique, soit sur le reste du marché mondial. Cela se traduirait, prédisent les observateurs du marché mondial du sucre, par l’accentuation d’un jeu de compétition entre les raffineries du Moyen-Orient, d’Afrique du Nord, les producteurs européens et éventuellement les principaux exportateurs, notamment le Brésil et l’Inde, ce dernier ayant exporté, rien qu’en 2016, environ 3,5 millions de tonnes, dont une bonne partie vers l’Afrique de l’Est.

Fin des quotas
L’abolition des contingents du régime sucrier européen, dès octobre prochain, donne des sueurs à un pays comme l’Île Maurice qui bénéficie d’un accès préférentiel à l’UE. «Les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) auraient toujours un accès préférentiel hors taxes, mais la disponibilité du sucre va augmenter, ce qui va accentuer la concurrence», explique Devesh Dukhira, le président du Syndicat du sucre en Île Maurice. Présente depuis trois siècles, la culture de la canne à sucre occupe le tiers de la surface de ce pays. Les Mauriciens craignent un excès de volatilité des prix sur les marchés européens au risque de nuire à la viabilité de leur modèle sucrier. Tout dépendra du fait que l’Europe reste ou non un marché assez rémunérateur pour leurs agriculteurs. En tout cas, depuis l’annonce en 2013 de la suppression des quotas, les prix ont suffisamment chuté jusqu’à se rapprocher des prix pratiqués sur le marché mondial, en ligne avec les attentes des autorités européennes.


Elyes Gasmi
Directeur général de la Générale industrie du nord (Tunisie)

Les Inspirations ÉCO : Quels sont les objectifs du plan de restructuration de l’industrie sucrière tunisienne ?
Elyes Gasmi : La Tunisie a opéré une profonde réorganisation de la filière sucrière impliquant l’ensemble des intervenants. Nous avons mis l’accent également sur la R&D pour augmenter la part de l’amont agricole. L’objectif est de faire émerger des success stories à l’échelle régionale et d’atteindre un taux de couverture de 20 à 25% du besoin national en sucre à l’horizon 2020. Nous avons créé une unité de gestion par objectifs gérée actuellement par l’État mais il est prévu de la transformer en fédération à l’image de l’expérience marocaine. Nous avons eu la chance de nous inspirer des nouvelles expériences réussies autour de nous, notamment le Maroc et l’Union européenne. La culture sucrière est aujourd’hui 100% mécanisée. Tout est conforme aux standards européens (arrachage, préparation des sols, etc.).

En quoi l’expérience marocaine vous a-t-elle été utile ?
Dès 2012, nous avons pris contact avec la Fimasucre et Cosumar pour présenter l’expérience marocaine aux responsables tunisiens. La transformation de la filière marocaine nous a beaucoup inspirés et les Marocains, je dois l’avouer, nous ont prêté main forte dans ce domaine. Permettez-moi de saluer, à cette occasion, le dévouement et les efforts fournis par le Pdg de Cosumar, Mohammed Fikrate, considéré d’ailleurs chez nous comme le parrain de la restructuaration de la filière sucrière en Tunisie.

Peut-on rêver d’une intégration complète de l’industrie sucrière en Afrique ?
Je reste confiant dans les perspectives de l’industrie du sucre en Afrique. Il y a encore de la marge et beaucoup de potentiel pour évoluer. Pour moi, l’expérience marocaine au niveau de Cosumar est une expérience qu’il vaut mieux transmettre à tous les Africains, ça permettrait une évolution rapide. Il y a une possibilité d’une intégration à 100% pratiquement du secteur en Afrique.


Karim Salamon
Directeur Analyse des marchés, chez Wilmar

«L’industrie sucrière africaine est déjà compétitive»

Les Inspirations ÉCO : Peut-on imaginer des projets communs entre Wilmar et Cosumar en terre africaine ?
Karim Salamon : Notre partenariat avec Cosumar a pour but d’aller conquérir des marchés. Cosumar est aujourd’hui très compétitive. Notre projet commun en Arabie Saoudite le sera également. L’Afrique est un marché en croissance avec un déficit structurel qui va s’accentuer à mon avis dans les prochaines années. La production locale a du mal à suivre la consommation galopante. L’objectif est d’aller conquérir des marchés en Afrique de l’Ouest, en Afrique de l’Est, voir en Afrique centrale. À travers Cosumar, nous voulons conquérir des parts de marché structurelles additionnelles en Afrique.

Hors Cosumar, avez-vous d’autres projets sucriers dans le viseur en Afrique ?
Il y a deux manières d’investir dans le sucre. La première consiste à investir dans la production (usines et surfaces agricoles à irriguer). Or, le temps de retour sur investissement est assez long : il faut compter trois à quatre ans d’intervalle entre la première canne plantée et le premier morceau de sucre produit. C’est la raison pour laquelle il y a peu de projets nouveaux en Afrique, hormis ceux d’extension des capacités de production. C’est assez compliqué et c’est très coûteux d’investir. L’autre possibilité, c’est d’investir dans le raffinage (le cas de notre projet avec Cosumar en Arabie Saoudite. Actuellement, nous n’avons pas de nouveaux projets en Afrique, mais nous regarderons les opportunités qui se présentent autant dans la production que dans le raffinage. Encore faut-il que l’environnement politique et réglementaire soit stable.

L’industrie sucrière africaine peut-elle être compétitive à votre avis ?
Elle est déjà compétitive dans certains pays, notamment en Afrique de Est, la Zambie, le Zimbabwe, le Swaziland et le Mozambique. Ces pays sont dotés de grosses usines disposant de leurs propres surfaces irriguées de canne avec un très bon rendement. Certains pays vont devoir gérer l’insuffisance structurelle de l’eau, la culture de la canne étant très demandeuse d’eau. À défaut de se trouver dans une zone pluviale, la culture de la canne a besoin de gros investissements d’irrigation. Des projets de ce type existent en Égypte (le Nil) et en Éthiopie. Il y a eu des projets au Soudan mais la stabilité politique dans ce pays n’est pas simple à gérer. Il y a donc un potentiel pour développer la culture de la canne en Afrique, mais il faut tenir également de la stabilité financière et politique des pays d’implantation.


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