Tunisie : Saïed rebat les cartes
La Tunisie fait face à sa plus grande crise politique, en une décennie de démocratie, après que le président Kaïs Saïed ait congédié le gouvernement dimanche, et gelé les travaux du Parlement, une démarche que ses rivaux ont dénoncée comme un véritable coup d’État, à même de déclencher un mouvement de contestation populaire majeur. Dans un communiqué publié dimanche soir, le chef de l’État a invoqué la Constitution de 2014 pour démettre de ses fonctions le Premier ministre Hichem Mechichi, et décréter le gel des activités parlementaires, pour une durée de 30 jours, indiquant qu’il gouvernerait lui-même, avec un nouveau Premier ministre. Kaïs Saïed a procédé à cette annonce, à l’issue d’une journée marquée par des manifestations à travers tout le pays, réclamant la démission du gouvernement. Cette décision intervient donc sur fond de crise économique et sanitaire accrue, et de colère grandissante vis à vis des dysfonctionnements politiques chroniques. Les contestataires ont particulièrement ciblé le parti islamiste modéré Ennahda, principale force politique représentée au Parlement. Il s’agit du virage le plus délicat amorcé par la Tunisie depuis la révolution de 2011, à l’origine du «Printemps arabe», qui avait mis fin à des décennies d’autocratie pour laisser place à des réformes démocratiques, sans toutefois déboucher, à ce jour, ni sur une gouvernance satisfaisante ni sur une amélioration notable de la situation économique.
Soutien populaire
Dans les heures ayant suivi l’annonce présidentielle, la foule s’est rassemblée dans les rues de la capitale Tunis, ainsi qu’en province, pour exprimer sa joie, en chantant et au son des klaxons, alors que que l’armée se déployait pour protéger l’enceinte du Parlement et le siège de la télévision publique. Rached Ghannouchi, chef de file du parti Ennahda et «speaker» du Parlement, a dénoncé la décision de Kaïs Saïed comme une atteinte à la démocratie. Kaïs Saïed, indépendant arrivé au pouvoir en 2019 en promettant de lutter contre la corruption et l’incompétence de l’élite politique, a rejeté les accusations de putsch. Il a assuré se baser sur l’article 80 de la Constitution, et présenté sa décision comme une réponse à la paralysie économique et politique que vit le pays depuis des années. Alors que d’autres partis politiques, représentés au Parlement, ont également dénoncé un coup d’État, le président tunisien a mis en garde contre toute réponse violente aux mesures annoncées dimanche. «À quiconque tirera un coup de feu, les forces armées répondront avec des balles», a-t-il affirmé, dans le communiqué relayé par la télévision publique. «C’est le moment le plus joyeux depuis la révolution», a déclaré une manifestante, venue fêter, dans le centre de Tunis, l’annonce du chef de l’État. «Nous sommes débarrassés d’eux», a-t-elle ajouté, à propos du gouvernement et du Parlement. Banni avant la révolution de 2011, Ennahda n’a cessé de prendre de l’ampleur depuis lors, s’affirmant comme un membre incontournable des différentes coalitions gouvernementales. Les élections législatives de 2019, organisées séparément de l’élection présidentielle, n’ont pas pu déboucher sur une majorité, aucun des partis n’obtenant plus d’un quart des sièges du Parlement. Nommé à la tête du gouvernement l’été dernier, Hichem Mechichi était, depuis lors, régulièrement en conflit avec Kaïs Saïed sur fond de crise économique et sanitaire. Selon les termes de la Constitution, le président ne dispose d’une pleine autorité qu’en matière de politique étrangère et en tant que chef des armées. Toutefois, après le fiasco gouvernemental dans la mise en place de centres de vaccinations contre la Covid-19, la semaine passée, Kaïs Saïed a confié à l’armée la prise en charge de la lutte contre la crise sanitaire.
Sami Nemli avec Agence / Les Inspirations ÉCO