Guerre commerciale : Stocker ou ne pas stocker, telle est la question

Confrontées à une guerre commerciale aux contours en constant changement, nombre d’entreprises se posent la question d’envoyer des stocks supplémentaires aux Etats-Unis. Mais du luxe à l’électronique en passant par les médicaments, le manque de visibilité complique la réponse.
Certains n’ont pas attendu le 2 avril et la mise en place de taxes additionnelles par Donald Trump – qui les a ensuite suspendues pour 90 jours, les fixant à 10% supplémentaires sauf pour la Chine, très lourdement taxée – pour envoyer davantage de marchandises aux États-Unis.
Le groupe de cosmétiques français Clarins a pris les devants en début d’année, explique à l’AFP son président en Amérique du Nord, Lionel Uzan.
«Nous avons fait des stocks pour trois mois, ce qui représente l’équivalent de 2 millions de dollars de produits. Tous nos produits étant fabriqués en France, ce n’est pas un modèle facilement transposable», dit-il.
Même si tous ne le reconnaissent pas aussi clairement, le mouvement concerne beaucoup de secteurs. En mars, les exportations de montres suisses vers les États-Unis, le premier débouché des horlogers du pays, ont augmenté de presque 14% par rapport à la même période un an plus tôt.
Prévenir vaut mieux que guérir
Plus marquant encore, l’exemple de l’Irlande, qui accueille sur son sol nombre de grands laboratoires internationaux. Ses exportations vers les États-Unis ont bondi de 210% en février à presque 13 milliards d’euros, composées à quelque 90% de produits chimiques et pharmaceutiques.
Le fabricant français Fermob, qui vend du mobilier design à travers le monde – les États-Unis représentant environ 10% de son chiffre d’affaires annuel -, a lui anticipé il y a plusieurs mois, dès les résultats de l’élection présidentielle américaine connus. «Nous avons commencé à nous poser la question dès l’automne pour accélérer la cadence, notamment en janvier et février», explique à l’AFP le directeur général de la société, Baptiste Reybier.
«On a envoyé aux États-Unis environ 30% de stocks supplémentaires». Cela se traduit aussi dans le fret. Lufthansa Cargo a ainsi enregistré ces dernières semaines «une augmentation de la demande d’envois vers les États-Unis». La guerre commerciale «a incité les entreprises à accélérer différentes étapes de la chaîne d’approvisionnement. Des tendances similaires ont été observées pour les livraisons de voitures de l’UE vers les États-Unis», a expliqué la société à l’AFP.
Le phénomène concerne aussi les exportations d’origine américaines. Le quotidien japonais Nikkei rapportait il y a quelques jours que les plus grandes entreprises de la tech chinoises avaient accumulé des milliards de dollars de puces d’intelligence artificielle du géant américain Nvidia, en anticipation de nouvelles restrictions imposées par Washington à leur vente à la Chine.
Une équation pas si simple à résoudre
Mais faire des stocks n’est pas la panacée. «Nous avons constaté ce phénomène, mais avec une approche opportuniste à très court terme», analyse Matt Jochim, associé du cabinet de conseil McKinsey.
Car il existe des risques, dont celui d’envoyer des articles qui seront rapidement dépassés et laissés au fond des entrepôts.
«Dans une grande partie du secteur de l’électronique, la technologie évolue si rapidement qu’il est préférable d’éviter de se retrouver avec un stock de puces ou d’appareils de la version précédente», prévient-t-il.
«Il faut choisir jusqu’où aller. Car tout est tellement incertain. Et il ne s’agit pas seulement des droits de douane les plus récents, les régimes tarifaires évoluent constamment», poursuit le spécialiste.
Fermob explique de son côté avoir fait attention à agir de façon «mesurée: sinon vous remplacez un risque par un autre risque. Le stock, il faut le financer, et il y a aussi le risque de ne pas avoir envoyé les bons produits», reconnaît son dirigeant, Baptiste Reybier. «Le fait d’avoir une filiale locale, un bureau et des entrepôts, facilitait les choses dans notre cas», résume-t-il. «Il est trop tôt pour s’interroger sur le fait que nous aurions dû en envoyer davantage ou non».
Sami Nemli avec agences / Les Inspirations ÉCO