Destitution d’Al Béchir… et maintenant ?
Après plus de trois mois de contestation, le président Omar el-Béchir a été contraint de quitter le pouvoir. Le ministre de la Défense a annoncé sa destitution à la télévision publique. Tôt dans la matinée du jeudi 11 avril.
Les manifestations avaient commencé il y a trois mois, à la suite de la décision du gouvernement de tripler le prix du pain, alors que le pays est en pleine crise économique. Les revendications politiques ont vite pris le pas sur les demandes économiques. Les prix ayant provoqué les manifestations ont augmenté à cause du déficit dans les caisses. Retirer de l’argent à la banque est une gageure. Il n’y a plus de devises pour importer du blé ou de la farine par exemple, d’où l’explosion du prix du pain. Cette crise de liquidités est liée à l’indépendance du Soudan du Sud en 2011, qui a privé le Soudan des trois-quarts de ses revenus pétroliers, et donc de sa principale source de devise.
En revanche, le Soudan est devenu un grand producteur d’or. Il est même le troisième producteur africain, devant le Mali depuis 2017, avec une production annuelle d’une centaine de tonnes. Toutefois, le régime d’Omar el-Béchir a voulu accaparer cette rente en obligeant les orpailleurs à commercialiser le minerai via la Banque centrale. Tandis que le retraitement très lucratif des déchets miniers a été d’abord réservé à des sociétés amies du régime échappant totalement au contrôle de la Banque centrale. À Noter, aussi, que l’extraction de l’or n’est pas encore suffisamment industrielle pour être très rentable et demeure largement artisanale.
#Soudan– Liesses de joies à #Khartoum vers la banque Byblos #Sudan pic.twitter.com/RKylBbyXF2
— Ⓝ ⓂⒺⓃⒶⒾ·۰•●○ (@N_Moufadil) April 11, 2019
La mauvaise situation du pays n’est donc pas seulement due à la séparation avec le Soudan Sud, mais aussi à la mauvaise gestion des ressources par le régime, et son interventionnisme accru dans l’économie du pays. Maintenant qu’el-Béchir est parti, est-ce que le régime changera ? Selon Jawad El Kerdoudi, diplomate et directeur de l’Institut marocain des relations internationales, il n’existe que deux scénarios possibles après la destitution d’el-Béchir : Soit que les militaires prennent le pouvoir, ces derniers ont d’ailleurs dit vouloir rester deux ans à la tête du pays lors d’une phase de transition, ils peuvent donc s’imposer au pouvoir, même après la fin de cette phase. La deuxième est que les manifestations reprennent de manière plus forte afin d’empêcher les militaires d’accomplir leurs desseins, et permettre une transition démocratique, surtout sous les pressions internationales et la crise économique. Selon El Kerdoudi, on ne peut rien encore prédire, mais il semble que c’est le premier scénario qui soit le plus probable, qu’el-Béchir soit parti, mais que le régime ne change pas, il se pourrait même que l’ancien président soudanais ait par ce « coup d’état » trouvé une issue sans danger, comme ce fut le cas au Zimbabwe ou au Yémen.
D’autant plus que jusqu’à présent il n’y a aucune alternative claire au régime, au Soudan les partis politiques n’ont pas beaucoup de crédibilité auprès de la rupopulation. En revanche, la société civile a plus de poids, surtout l’Association des Professionnels Soudanais (APS) qui regroupe surtout des médecins, enseignants et ingénieurs. C’est aujourd’hui l’acteur-clé sur la scène politique, qui était le fer de lance de la contestation. Ce rassemblement applique une politique nommée « La politique de protestation patiente » qui pourrait poursuivre son chemin sans heurter forcément le pouvoir. D’autant plus qu’une chute totale de ce dernier peut avoir des conséquences désastreuses pour le peuple soudanais, ainsi que pour d’autres pays de la région comme l’Égypte et les pays du Golfe, qui ne pourront pas supporter les conséquences d’un nouveau Printemps arabe et peut-être africain au Soudan et chez ses voisins, en particulier l’Éthiopie. L’affaire est donc loin d’être finie. À suivre…