Décès du pape François : un réformiste à l’écoute des laissés-pour-compte

Réformiste au franc-parler notoire, le pape François, décédé lundi à 88 ans, a voulu placer la dignité humaine des exclus au centre de son message, sans toutefois remettre en cause la doctrine traditionnelle catholique. Ce pasteur de terrain, populaire chez les fidèles du monde entier mais confronté à une farouche opposition interne, avait fait carrière loin de Rome et s’était érigé en critique du néolibéralisme.
Amateur de football et de tango, bien plus à l’aise en public que son timide prédécesseur Benoît XVI, le pape François, jésuite argentin, se distinguait par une spontanéité et un tempérament énergique, mais aussi par une gouvernance parfois jugée trop personnelle qui lui a valu des critiques.
«Je suis soupe au lait, impatient (…) Je prends parfois des décisions dans la précipitation, dans un sentiment d’autosuffisance», confessait-il lui-même en dans un livre de dialogue avec des personnes précaires du monde entier, paru en 2022.
Ce «rêveur», qui reconnaissait même «s’endormir parfois pendant la prière», a poursuivi sans relâche son principal objectif : réformer l’Église catholique pour la rendre plus à l’écoute des pauvres et des marginalisés. «Comme je voudrais une Église pauvre, pour les pauvres», lancera-t-il à son élection en 2013, expliquant ainsi son choix du nom de saint François d’Assise.
Un style détonnant
Marqué par la crise économique argentine de 2001, le premier pape latino-américain a aussi été un critique sévère du néolibéralisme et a déplacé le curseur vers la justice sociale, l’écologie ou l’inlassable défense des migrants fuyant la guerre et la misère économique, brandissant un christianisme de l’accueil. Il a régulièrement adressé de vives remontrances aux Européens opposés à l’arrivée de migrants et fustigé les leaders populistes.
«Le pape a engagé l’Église sur des questions qui étaient au cœur des démocraties occidentales, comme l’environnement, l’éducation, le droit», souligne Roberto Regoli, professeur à l’université pontificale Gregorienne de Rome.
Dans la Ville éternelle, le style détonnant de François, qui a préféré un sobre appartement aux ors du palais apostolique et invitait régulièrement à sa table SDF et détenus, avait provoqué une mini-révolution, donnant à la fonction un visage moins formel. Contrastant avec la distance du timide Benoît XVI, il se montrait très chaleureux avec les fidèles, lors d’interminables bains de foules tactiles. Même pendant la pandémie du coronavirus ou enfoncé dans son fauteuil roulant, il n’a jamais renoncé aux poignées de main.
Ses vœux annuels sans détour aux principaux cardinaux de la Curie (gouvernement du Vatican) avaient fait l’effet d’une bombe en 2014 lorsque François avait énuméré quinze «maladies» affectant les prélats, notamment «l’Alzheimer spirituel» et «la fossilisation mentale». Ses opposants conservateurs sont allés jusqu’à l’accuser «d’hérésie» pour son ouverture aux divorcés remariés, susceptibles de recevoir la communion à la discrétion des évêques locaux.
Ses paroles jugées parfois trop tolérantes envers l’accueil des homosexuels dans l’Église lui ont valu d’autres flèches assassines, tout comme l’ouverture des bénédictions aux couples de même sexe fin 2023. François n’a pourtant pas fondamentalement dérogé à la doctrine traditionnelle. Il avait approuvé une note du Vatican considérant l’homosexualité comme «un péché» et avait choqué en 2024 en employant un terme italien vulgaire et insultant envers les gays, conseillant aux homosexuels voulant devenir prêtres d’aller voir un «psychologue». Il a aussi régulièrement exprimé son horreur de l’avortement, comparant cette pratique au recours à «un tueur à gages» et répété qu’une famille se composait d’un père et d’une mère.
Et en février 2020, le jésuite argentin avait fermé la porte aux prêtres mariés et aux femmes diacres en Amazonie, apaisant ainsi l’ire des traditionalistes mais décevant les progressistes qui attendaient un tournant historique. Sur la scène internationale, il a professé son aversion pour les marchands d’armes et les guerres, sans pour autant être entendu. Ses innombrables appels à la paix en Ukraine sont tous restés lettre morte, une impuissance qui lui fera même verser des larmes en décembre 2022.
Parcours d’un inconnu
Né le 17 décembre 1936 dans un quartier populaire de Buenos Aires, ce petit fils d’Italiens émigrés en Argentine était l’aîné d’une famille de cinq enfants. Diplômé en chimie, il reçoit la vocation dans un confessionnal, à 17 ans, alors qu’il est amoureux d’une jeune fille, et renonce à la vie laïque.
À 22 ans, Jorge Bergoglio intègre le noviciat de la Compagnie de Jésus et il est ordonné prêtre le 13 décembre 1969. À 36 ans, il est élu responsable national des jésuites argentins. En 1992, Jean Paul II le nomme évêque auxiliaire de Buenos Aires, puis le fait cardinal en février 2001.
Jorge Bergoglio était pratiquement un inconnu en dehors de son pays quand il fut élu pape, n’ayant jamais occupé de poste à la Curie, un milieu qu’il n’appréciait guère.Comme Jean Paul II, il laisse l’image du pèlerin de paix et d’un ambassadeur de la tolérance. Un sacerdoce qui le conduit au Maroc en 2019 où il est reçu par le Roi Mohammed VI, aux côtés duquel il délivre un vibrant message sur le vivre-ensemble.
Que va-t-il se passer maintenant ?
Après la mort du pape François, c’est le cardinal camerlingue qui s’occupera des affaires courantes, faisant office de pape par intérim tandis qu’une constitution stipule notamment la durée des obsèques, neuf jours, et le délai pour organiser un conclave qui élira un nouveau souverain pontife (15 à 20 jours).
Le camerlingue prend symboliquement possession des propriétés papales, le palais apostolique du Vatican, les Palais du Latran, siège du diocèse de Rome dont le pape est par tradition l’évêque, et de Castel Gandolfo, la résidence d’été des papes.
Il convoque les réunions de cardinaux, appelées «congrégations», et décide avec elles du jour et de l’heure de l’exposition de la dépouille du pape défunt, de la date de l’inhumation, qui doit intervenir entre le 4e et le 6e jour après la mort.
C’est également ainsi qu’est fixée la date du début du conclave, chargé d’élire le nouveau pape, qui doit débuter au plus tôt 15 jours et au plus tard 20 jours après le décès.
Les obsèques doivent avoir lieu à la Basilique Saint-Pierre, sauf en cas de dispositions testamentaires contraires. Le pape François a voulu simplifier ces obsèques, en prévoyant un rite unique et plus rapide et un enterrement dans un cercueil simple, pour davantage de sobriété. Il a également mis fin à la cérémonie de fermeture du cercueil et à l’exposition du corps.
Contrairement à ses prédécesseurs, François a révélé vouloir être inhumé dans la basilique Sainte-Marie Majeure de Rome et non au Vatican.
Sami Nemli avec agences / Les Inspirations ÉCO