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Farine subventionnée. Une rente d’un milliard de dirhams


Farine subventionnée. Comment en finir avec cette rente ?

 

Le démantèlement du système rentier de la farine subventionnée est une opération sensible politiquement et socialement. La deuxième partie de notre enquête interpelle les acteurs publics, privés et des experts de ce chantier.

Tounift, une commune rurale située à 78 km de Midelt est un paradis du cèdre à la nature majestueuse qui gît sous une pauvreté sans nom. Ce fléau touche 19,8% de la population, quatre fois plus que la moyenne nationale. La vulnérabilité touche 31% des 14.000 habitants ! Dans cette commune montagneuse du Moyen Atlas, la farine subventionnée est un sujet majeur de préoccupation. Mohamed Attaoui, acteur associatif local rappelle les luttes des habitants pour recevoir le quota : «Nous avons réussi sensiblement à faire respecter la distribution des quotas», explique-t-il. Aujourd’hui, les habitants se préoccupent de la baisse continue du rythme et des quantités distribuées. «Les quantités baissent dans chacun des villages. Les passages ne se font que chaque deux mois», observe ce militant associatif. Cette réduction des quantités dans ces villages s’explique par la baisse du contingent national de 10 millions de quintaux (Mqx) avant 2008 à 6,5 Mqx actuellement (voir le première partie de cette enquête Cf : 12/11/18). Le gouvernement prépare ainsi l’après farine nationale de blé tendre (FNBT). L’ensemble des officiels s’accorde à dire que : «Le système de la FNBT a atteint ses limites». Une conclusion dont les motivations diffèrent selon que l’on se place du côté du gouvernement ou des minotiers. Sans apporter de scénario précis, le gouvernement se dirige vers la suppression de cette subvention sensible dans un futur proche.

La fin d’un système

Pour Lahcen Daoudi, ministre des Affaires générales et de la gouvernance, les dés sont jetés au sujet de la FNBT : «Tout ce système est à supprimer. L’argent public n’arrive pas aux citoyens. Pour le moment, nous n’avons pas d’alternatives pour le remplacer. La mise en place du ciblage par famille devra résoudre ce problème». La FNBT est désormais «un problème» que chaque ministre tente de gérer du mieux qu’il peut. Daoudi a été interpellé au Parlement durant l’année 2018 à deux reprises. Lors de ses deux sorties, il a rappelé ce constat : Fraudes, mauvaise qualité de la farine, ciblage géographique inadapté, etc. Chakib Alj, président de la Fédération nationale des minotiers (FNM), souhaite aussi la révision du système de la FNBT pour des raisons différentes. Le président des minotiers a fait de ce dossier son cheval de bataille. Souvent accusés d’être les uniques bénéficiaires de l’actuel système comme l’a conclu la Cour des comptes, Alj a choisi une stratégie de défense offensive. Il utilise des mots très durs pour décrire ce système. «Cette subvention pollue tout le business», dénonce-t-il. Et de marteler : «La FNBT a été héritée d’une autre époque mais personne n’ose y toucher».

Libéralisation sans reddition des comptes ?

En ligne de mire du président de la FNM se trouve la fin des quotas et le passage vers un système d’appels d’offres avec à la clé la libéralisation complète du secteur de la farine au Maroc. Le propos du président de la FNM ne fait que reprendre une des recommandations de la Cour des comptes dans son rapport sur la Caisse de compensation en 2014. Ces magistrats proposent «la révision du système actuel de la subvention à la farine nationale de blé tendre qui constitue un obstacle au processus de libéralisation du secteur dans lequel s’est engagé le pays depuis 1996». Najib Akesbi, professeur d’économie à Rabat, critique la focalisation sur la libéralisation sans reddition des comptes : «La grande majorité des alternatives propose la suppression des subventions en application des recommandations du Fonds monétaire international (FMI) sans évoquer la lutte contre le népotisme entourant ce système». Pour la cour, «cette révision devrait permettre la disparition progressive de l’actuel système et son remplacement par un autre plus adéquat qui répondrait aux attentes des populations nécessiteuses. L’objectif ainsi recherché est d’améliorer les performances de la filière céréalière tout en assurant une rationalisation dans l’utilisation des allocations financières de l’État». Recommander ces réformes est une chose, les faire aboutir est une autre paire de manches. Du côté des industriels, elles auront un impact certain sur les moulins dans les régions. Ces industriels de taille moyenne ne font leurs chiffres d’affaires qu’avec la FNBT à travers leurs quotas. Selon les données de la FNM, 20 moulins sur les 134 disposant d’une capacité d’écrasement du blé tendre ne travaillent que sur la FNBT. «Ces moulins n’ont aucune valeur ajoutée pour l’avenir du secteur», tranche Alj. Un rapport des Affaires générales et de la gouvernance confirme ce chiffre, ce document avait estimé le nombre d’industriels dépendant de la FNBT pour leur survie à 16 moulins. Cette farine subventionnée représente entre 50 à plus de 70% du blé écrasé par ces industriels (voir tableau). Alj n’hésite pas à appeler à la reconversion de ces industriels vers d’autres secteurs d’activités. «Des moyens existent pour les aider à se convertir. Des plans ont été mis en place avec le ministère de l’Agriculture mais ils n’ont jamais été appliqués», révèle-t-il. Selon nos informations, ces industriels ont reçu, entre autres, des propositions pour reconvertir les terrains en zones résidentielles. Si les minotiers pourront toujours trouver des plans de sorties en cas de suppression de la FNBT et de libéralisation complète de la filière, les citoyens nécessiteux bénéficiant de cette subvention risquent de perdre une nouvelle fois une forme de soutien à leur maigre pouvoir d’achat.

Le RSU, la solution ultime

Akesbi souvent critique des orientations du FMI rappelle les enjeux de l’équation de la réforme de la compensation : «Cette réforme lancée par le gouvernement Benkirane se basait sur deux piliers : la libéralisation tout en maintenant la subvention». La subvention post-libéralisation devrait être directe et ciblée. Le Registre social unique (RSU) devrait être cet outil pour permettre ce ciblage. «Les aides directes doivent être lancées avant le lancement de la libéralisation, ce qui permettra au citoyen pauvre d’être préparé à ce passage», propose Akesbi. Mohamed Said Saâdi, économiste à l’ISCAE, prévient contre les «erreurs» du Fonds de cohésion sociale, qui devait assurer les premiers filets sociaux à la libéralisation. «Le rapport de la Cour des comptes de 2017 avait fait le bilan de cet outil. Ce fonds ne dispose pas de stratégie et ses ressources ne sont pas pérennes», souligne-t-il. Le RSU aura la lourde tâche d’éviter ces cafouillages et de permettre l’accès à une aide directe et surtout retrouver une dignité pour les populations nécessiteuses. 

*Cette enquête a bénéficié d’une bourse de


Lahcen Daoudi
Ministre des Affaires générales et de la gouvernance
Le système actuel pose de nombreux problèmes. Le ciblage géographique n’est pas adapté à la réalité sur le terrain. La qualité de la farine distribuée pose aussi problème. Des minoteries mélangent de la farine avec d’autres farines de mauvaise qualité. Dans l’ensemble, tout ce système est à supprimer. L’argent public n’arrive pas aux citoyens supposés être bénéficiaires de la subvention.

Chakib Alj
Président de la Fédération nationale des minotiers
Tout ce système est à revoir. Nous avons hérité d’un système qui correspondait à un Maroc d’il y a 35 ans. Tout le monde a évolué. Et je ne sais pas pourquoi, on veut le garder. Il y a quelques années, on accusait les moulins de profiter de cette subvention, aujourd’hui nous disons à l’État de prendre cette subvention et de libéraliser le secteur.

Najib Akesbi
Économiste-IAV Rabat 
Le système actuel basé sur la subvention des prix de certaines denrées est d’une certaine manière «aveugle». Il ne fait pas la distinction entre le pouvoir d’achat des consommateurs. Il est devenu inéquitable avec un traitement similaire pour les pauvres et les riches. Ce système n’encourage pas la production. C’est devenu une rente pour les producteurs et les importateurs. Quel que soit le prix de cette denrée, la différence est supportée par le budget de l’État.

Mohamed Saïd Saâdi
Économiste – ISCAE – Casablanca
La réforme de la Caisse de compensation peut se faire à condition d’installer un réel système de protection sociale. La suppression de la subvention passe par la révision à la hausse des salaires pour améliorer le pouvoir d’achat des classes populaires et moyennes. Supprimer la subvention sans alternatives peut aboutir à de l’instabilité sociale dans un contexte déjà bouillonnant. Le pain demeure une denrée sensible au Maroc.


Une mission parlementaire dans les tiroirs

Le 7 juin 2018, un projet de mission exploratoire sur la farine subventionnée a été déposé au bureau de la Chambre des représentants par le groupe parlementaire du PAM. Depuis, cette demande est toujours en attende d’un feu vert de Habib El Malki, président de la chambre. «Maintenant, nous attendons la décision du bureau de la chambre», affirmait Hicham Al Mouhajiri, député PAM à Chichaouia, dans une déclaration précédente à Les Inspirations ÉCO. Cette commission vise à répondre à plusieurs questions, parmi elle : «Est-ce qu’il y a d’autres catégories que les bénéficiaires potentiels qui accèdent à cette farine ?». Nous attendrons la réponse de nos parlementaires avec impatience.


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