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Bitcoins : Plus qu’un moyen de paiement, une philosophie…

Bitcoins : Plus qu’un moyen de paiement, une philosophie…

Leur utilisation ne dépasse pas le cercle communautaire, mais pose des problèmes à la fois sécuritaire et de parité de change. Son cours volatil conforte les sceptiques dans leurs certitudes, mais un réel courant «idéologique» naît de la pratique. Actuellement, les autorités prévoient un énorme chantier juridique.

Avec son sac à dos, sa fine barbe et ses lunettes rondes, Youssef S. est le stéréotype de l’étudiant-modèle. Une image pas si éloignée de la réalité puisque ce futur ingénieur en informatique, à l’aube de la vingtaine, vient de passer avec succès les classes préparatoires Math Sup. Mais derrière son ordinateur, notre nerd change de visage. Après avoir réussi depuis longtemps à dompter le Deep Web en utilisant uniquement la plateforme Tor pour ses recherches Internet, Youssef a commencé à se faire livrer certaines drogues (marijuana principalement et ecstasy occasionnellement) pour «décompresser». Le colis est alors livré jusqu’à chez lui, par voie postale.

Glissée dans des enveloppes anodines, ou camouflée dans des étuis de jeux vidéo, la marchandise finit toujours par arriver, moins d’un mois après la commande.

« Le produit est souvent dissimulé dans des prospectus et protégé par un ou plusieurs emballage afin d’éviter les altérations du produit (moisissures, lumière, etc…) et les chiens renifleurs »

Selon lui, l’utilisation des sites est assez facile. «J’utilise principalement Evolution: l’interface est propre et claire et les vendeurs ont des profils qui donnent accès facilement aux informations de base comme les conditions de vente ou les commentaires des clients (positif, neutre, négatif). Les vendeurs sont également classés par «niveau» en fonction des commentaires positifs, du nombre de vente et de l’ancienneté».

Comment réussit-il à payer cela ? En bitcoins.

Abdellatif Jouahri, Bank Al Maghrib

Bank Al-Maghrib tire la sonnette d’alarme

«Il y a une menace qui se renforce progressivement contre la souveraineté des États: celle induite par la révolution digitale. L’illustration édifiante à cet égard est l’émergence des monnaies virtuelles comme le bitcoin. Le développement de ces dernières échappe aujourd’hui au contrôle des Banques centrales et risque d’affaiblir leur souveraineté dans certains de leurs domaines d’intervention».

Si Abdellatif Jouahri, gouverneur de Bank Al-Maghrib, tire la sonnette d’alarme, c’est qu’il y a péril en la demeure. Dans sa dernière sortie médiatique durant le colloque autour de la souveraineté financière des États en septembre 2017, le patron de la Banque centrale a mis l’accent sur les incertitudes qui planent autour de la crypto-monnaie: «La technologie Blockchain sous-jacente à ces monnaies constitue aujourd’hui une véritable menace, non seulement pour le pouvoir des Banques centrales mais également pour celui de grands acteurs économiques traditionnels tels que les Banques commerciales et les institutions d’intermédiation dans les domaines financier, immobilier, énergétique…». Quelle est donc cette méthode de paiement qui fait trembler les plus hautes autorités financières de l’État?

Il s’agit d’une monnaie créée par un développeur anonyme en 2009, avec un système de paiement basé sur un réseau informatique p2p (pair à pair), avec 21 millions d’unités divisibles au huitième. La monnaie s’achète sur des sites spécialisés et peut donc être convertible à n’importe quel moment. Chacun peut devenir utilisateur de bitcoins en téléchargeant et en installant un logiciel approprié sur le terminal de son choix (smartphone, ordinateur…). Une fois connecté au système, chaque utilisateur peut créer un nombre quelconque de comptes et procéder à des transactions en transférant des bitcoins depuis ses propres comptes vers d’autres comptes.

Grâce à un système de traçabilité, le blockchain permet de vérifier la validité des transactions et de les inscrire de façon indélébile dans un fichier public, où elles peuvent être consultées. Un système complexe, conçu pour contourner les contraintes des transactions classiques par carte de crédit, et surtout les empreintes indélébiles qu’elles laissent…

En effet, ce système a avant tout été utilisé dans ce que l’on appelle le Deep Web, à savoir la partie inaccessible d’Internet par les canaux traditionnels (Google principalement) où commerce de drogues, d’armes et de pédopornographie pullulent.

Pourfendeurs du système financier actuel et cours volatil
Mais les tenants de cette nouvelle monnaie minimisent l’utilisation illégale de ce procédé, parlant de «dommages collatéraux», comme Aziz Elmir, crypto-trader, spécialisé dans les transactions en bitcoin. Pour lui, ce sont les «défenseurs du système monétaire traditionnel qui veulent salir l’image de la crypto-monnaie car elle dépasse le carcan des banques». Il est vrai qu’en tant que moyen de paiement, le bitcoin est de plus en plus accepté dans le monde économique, les commerçants étant incités par des frais de transaction généralement inférieurs aux 2 à 3% pratiqués par les organismes de cartes de crédit et indépendants du montant de la transaction.

Contrairement aux cartes de crédit, les frais éventuels sont à la charge non pas du vendeur mais de l’acheteur, qui choisit d’en payer volontairement. Mais au-delà de cette comptabilité d’épicier, Elmir voit en ce nouveau mécanisme «un levier de développement», une «opportunité unique pour des jeunes d’investir dans une monnaie et de gagner de l’argent». Sur son compte Facebook, ce trader 2.0 ne cesse de vouer les institutions financières traditionnelles aux gémonies, répliquant que leur conservatisme pourrait «handicaper le Maroc dans la future guerre économique qui se profile autour des monnaies digitales».

En effet, les start-up liées au bitcoin sont en pleine expansion. L’exemple de croissance le plus significatif reste Coinbase, la solution de portefeuille de bitcoin la plus populaire au monde. Le Nasdaq (marché d’action new-yorkais) a quant à lui développé une technologie de trading destinée aux places de marchés de bitcoin. Toutes les instances financières s’y intéressent donc de près. Dans une récente étude, les rapporteurs du Fonds monétaire international ont clairement indiqué que «les monnaies digitales annoncent une révolution dans les moyens de paiement et soulignent les failles du système actuel».

Mais les sceptiques au sein des grands groupes financiers internationaux (comme JP Morgan, qui considère que le système va imploser) commencent à afficher un sourire en coin puisque le cours de la monnaie a atteint une volatilité inouïe cette année. Ayant commencé 2017 avec une valeur de 997 dollars, il était, le jour où nous mettions sous presse, à 3.700, après avoir longtemps flirté avec la barre des 5000 dollars.

«J’ai investi dans les Bitcoin en 2014, à l’époque, il valait 200 dollars. J’ai fait la bêtise de le revendre dès qu’il est monté à 500, croyant avoir fait une bonne affaire, mais si j’avais patienté ne serait-ce qu’une année, j’aurai décroché le gros lot», confesse Hicham T., informaticien. La crise monétaire en Inde et la politique de contrôle des changes en Chine fait du bitcoin une sorte de monnaie refuge ponctuelle. La monnaie chinoise s’appréciant fortement, le bitcoin a brutalement rechuté, mentionne Reuters.

«La faiblesse du yuan ces derniers mois semble être corrélée avec la force du bitcoin plus qu’avec toute autre devise», assure Paul Gordon, co-fondateur de Quantave, entreprise spécialisée dans les crypto-monnaies. Surtout quand on sait que les échanges sur le marché du Bitcoin proviennent à 90% de Chine.

Encore peu de données…
Mais les propos pour le moins alarmistes de Abdellatif Jouahri s’expliquent sans doute par l’appréhension encore difficile du phénomène par les autorités, tant les données relatives à l’utilisation du bitcoin sont difficilement quantifiables. En effet, si Aziz Elmir parle, sur les colonnes du CoinTelegraph, du chiffre ahurissant d’un montant de 200.000 dollars quotidiens de transactions quotidiennes, les experts de l’Association des utilisateurs des systèmes informations au Maroc (AUSIM) se montrent quant à eux beaucoup plus prudents et n’avancent aucun chiffre officiel.

En tout cas, l’ampleur du phénomène a atteint une taille critique à même de pousser les autorités chargées de la sécurité numérique à réagir. L’Administration de la défense, ainsi que la Commission nationale de protection des données personnelles préparent ainsi une campagne pour la régulation de ce marché, avouant, en coulisses, qu’il s’agit d’un véritable «chantier juridique».

Ahmed Rahhou, CIH Bank

Ahmed Rahhou, PDG du CIH : «La monnaie traditionnelle et le tiers de confiance sont encore bien ancrés dans les mœurs !»

Les Inspirations ÉCO : Quel danger peut constituer le bitcoin contre la stabilité monétaire ?  
Ahmed Rahhou : L’utilisation du bitcoin sur notre territoire ne peut pas être quantifiée. C’est la technologie sous-jacente qui pose problème. La blockchain peut ouvrir beaucoup de perspectives, mais il pose surtout le problème de l’anonymat. Dès lors, de nouveaux enjeux juridiques apparaissent, notamment la question de la responsabilité. Cela nous rappelle la nécessité d’instaurer un nouveau cadre réglementaire adapté à cette nouvelle donne technologique. L’État est un acteur incontournable dans cette transition.

Une fois le chantier juridique accompli, quel rôle pourront jouer les banques ?
La blockchain a le potentiel de bouleverser le secteur bancaire en réinventant les systèmes traditionnels de paiement interbancaire. Elle offre de nombreuses solutions pour remplacer les mécanismes actuels de transactions financières qui nécessitent l’intervention de nombreux intermédiaires. Nous pouvons parfaitement développer un écosystème de blockchain de transactions interbancaires.

La levée de bouclier de la «finance traditionnelle» du Maroc contre la crypto-monnaie cache-t-elle une crainte de voir les paiements internet lui glisser entre les doigts ?
Pas nécessairement. Il faut avouer que la taille critique des échanges n’est pas encore réellement atteinte pour parler d’une concurrence pour les banques sur ces échanges. Et malgré les points en moins en matière de frais de transfert, la monnaie traditionnelle et le tiers de confiance sont encore bien ancrés dans les mœurs économiques et des facteurs d’assurance pour les investisseurs…

Vers la disparition du tiers de confiance ?

Leur utilisation ne dépasse pas le cercle communautaire, mais pose des problèmes à la fois sécuritaire et de parité de change. Son cours volatil conforte les sceptiques dans leurs certitudes, mais un réel courant «idéologique» naît de la pratique. Actuellement, les autorités prévoient un énorme chantier juridique.

Répandue grâce au bitcoin, la technologie blockchain (chaîne de blocs en VF) est aujourd’hui au centre des débats entre les autorités financières du royaume. Si elle est aujourd’hui utilisée principalement pour réaliser des mouvements de monnaie virtuelle entre comptes, la blockchain est en réalité une machine à garantir que l’exécution de transactions se réalise en conformité stricte avec des règles préalablement établies.Or, il s’agit là du principal rôle de ce que l’on a toujours appelé le «tiers de confiance» : la banque, le notaire, les huissiers de justice…Étant donné l’importance de leur rôle dans l’économie, les tiers de confiance sont eux-mêmes agréés par un régulateur.

Tout en haut de la chaîne de confiance, l’État est le garant de la cohérence et de la stabilité de l’ensemble du système. Il peut accorder ou retirer les agréments aux acteurs qui ne respecteraient pas les règles. Ce système, éprouvé depuis des décennies est en passe d’être bouleversé par la technologie blockchain. Il est, en effet, aujourd’hui possible d’obtenir un niveau de confiance au moins aussi fort uniquement grâce à la technologie. Toute transaction présente dans la blockchain possède deux caractéristiques. D’une part, elle était forcément valide au moment de son exécution puisque l’inclusion dans un bloc de transactions puis dans la blockchain est conditionnée par cette validité.

Dans le cas du bitcoin par exemple, une transaction est valide si le compte débité a bien reçu au minimum la somme envoyée et ne l’a pas encore dépensée. D’autre part, une fois insérée dans la blockchain, la transaction est infalsifiable, y compris par des acteurs malveillants qui participeraient au réseau. Il est ainsi possible de créer un écosystème, en utilisant la blockchain dont le fonctionnement est 100% conforme aux règles en vigueur, en se basant uniquement sur les algorithmes pour le bon fonctionnement du réseau.

À titre d’exemple, Ethereum, qui développe une plateforme basée sur la technologie blockchain permettant de développer tout type d’applications, montre dans ses exemples de code comment créer une organisation démocratique autonome décentralisée dont les règles de fonctionnement sont votées par ses membres. Néanmoins, il n’est pas possible de vérifier l’identité du possesseur d’une adresse bitcoin, raison pour laquelle cette monnaie peut être utilisée pour acheter des marchandises interdites ou dans des circuits financiers frauduleux. Les tiers de confiance conservent ainsi toute leur raison d’être, en tant que «gardiens des portes de la blockchain».

Pour que cette technologie se déploie à grande échelle, ils doivent être en mesure de valider l’entrée de nouveaux participants dans le système, qui par définition ne peut pas être validé par le système lui-même. Les moyens de ce contrôle restent à inventer. Ceci passera très probablement par l’utilisation de blockchains hybrides ou privées dont les accès sont réservés aux participants accrédités par opposition aux blockchain publiques, comme pour les bitcoins.

Un système décentralisé

La chaîne de bloc repose sur deux piliers. D’abord, ce que les spécialistes appellent les «Smart Properties». Ils sont l’équivalent de titres de propriété dématérialisés, insérés dans la blockchain et envoyés sur le compte du propriétaire. Certaines universités internationales (Holberton School ou l’Université de Nicosie) sont en passe de certifier leurs diplômes sur la blockchain en créant une empreinte numérique horodatée et en l’envoyant à l’étudiant diplômé

Il sera ainsi possible à chaque employeur de vérifier, de façon certaine, la validité de ces diplômes sans que les écoles n’aient à gérer un registre de l’ensemble des diplômés et sans même que les écoles ne soient consultées lors de la phase de validation. Le second pilier est constitué des «Smart Contracts», qui sont des agréments entre parties qui au lieu d’être rédigés en langue naturelle sont écrits en code exécutable sur la blockchain.

L’exécution est ensuite gérée automatiquement par la blockchain en fonction des conditions décrites dans le contrat : hypothèque, testament, transaction immobilière…


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