Roman graphique : le Palestinien Mohammad Sabaaneh résiste par le rêve
Les éditions Le Fennec publient la traduction du dernier roman graphique de Mohammad Sabaaneh, «Je ne partirai pas, mon histoire est celle de la Palestine».
Mohammad Sabaaneh est né en 1978 à Jénine, en Cisjordanie. Ce dessinateur et caricaturiste palestinien est membre du Cartoon movement depuis 2009 et représente le Moyen-Orient au sein du Cartoonists rights network international. Ancien prisonnier politique en Israël, il collabore avec divers médias arabes, et enseigne également à l’université Arabo-américaine de Jénine. Ses œuvres ont été exposées en Angleterre, en Espagne, aux États-Unis et dans plusieurs autres pays. En 2017, il a représenté la Palestine aux Nations Unies à New York. Ses œuvres originales sont conservées à la bibliothèque du Congrès. En Palestine, il a organisé deux grandes expositions internationales en 2014 et 2018, mettant en avant le travail de nombreux artistes du monde entier.
Dessiner une prison à ciel ouvert
Les éditions Le Fennec publient, en ce mois de janvier, la traduction en français de son dernier roman graphique, «Je ne partirai pas, mon histoire est celle de la Palestine». Sabaaneh utilise la technique de linogravure, la gravure sur linoléum. Il ne s’agit pas de la matière des sols en plastique de ce matériau, des années 50, mais d’un matériau à base d’huile de lin, inventé en 1863, contenant de la poudre de liège, de la gomme et de la résine. Tout ceci est comprimé sur une toile de jute, formant une plaque de quelques millimètres d’épaisseur.
L’artiste y creuse son trait, son dessin, qui apparaîtra blanc lorsque le bloc, encré, est pressé sur le papier. Ce sont donc littéralement des pages très noires, avec peu de points de lumière, qui emplissent cet album de 124 pages imprimées avec soin.
L’expérience carcérale structure le récit de Mohammad Sabaaneh. Un oiseau se pose à la fenêtre d’une cellule et lui propose le pacte suivant : «Toi, tu fournis les crayons et moi, je fournis les histoires.» Armé de son crayon et de feuilles dérobées à son interrogateur, le prisonnier dessine ces histoires : celle de ce jeune couple qui n’arrive pas à franchir les checkpoints pour rejoindre à temps la maternité de Jérusalem-Est ; celle d’un père et d’une fille séparés par la prison et qui se connaissent uniquement en photo ; celle d’une mère qui attend son fils sorti le matin pour aller à l’école et qui n’est jamais revenu… Les récits illustrent combien la prison s’étend au-delà de la seule cellule, jusqu’aux villes et villages.
«Un triomphe artistique»
La version en anglais, parue aux États-Unis sous le titre «Power born of dreams, my story is Palestine» en 2021, a été distinguée par le prix du Palestine book award en 2022, au Royaume-Uni. «Un triomphe artistique qui restera comme un vibrant hommage à l’esprit du peuple palestinien. Mohammad Sabaaneh est un maître», avait déclaré Joe Sacco.
Né à Malte, Joe Sacco s’était fait connaître avec son œuvre «Palestine», qui lui avait valu un American book award, en 1996. Il est souvent considéré comme l’inventeur du genre de la bande dessinée documentaire. Il a ensuite travaillé sur le conflit en ex-Yougoslavie, les migrants à Malte, les tribus autochtones du Canada… Sacco vient de publier «War on Gaza» (non traduit) et d’annoncer qu’il s’associe à Art spiegelman pour un nouveau projet de roman graphique, toujours sur Gaza.
Américain d’origine polonaise, Spiegelman, dont seulement 13 des 85 membres de sa famille avaient survécu au génocide nazi, avait bouleversé le monde entier dans les années 80. La publication des souvenirs de son père sous forme de bandes dessinées, où les prisonniers sont des souris et les nazis, des chats, a changé la perception du «9e art» par le grand public. Le roman graphique obtenait ses lettres de noblesse. Grâce à ces trois immenses auteurs, en 2025, la bande dessinée est devenue le refuge de la parole de résistance… pacifique.
Une édition soignée
L’album «Je ne partirai pas» de Mohammad Sabaaneh contient aussi quelques pages d’annexes, rédigées par la chercheuse Faten Jouini. Celles-ci fournissent au public francophone quelques repères importants comme l’occupation de 1967, l’Accord intérimaire d’Oslo ou la détention administrative.
Comme le nom de cette dernière l’indique, il s’agit d’un enfermement extra-judiciaire, sans juge ni procès, durant autant que les geôliers le désirent.
À noter qu’une part des revenus de l’édition marocaine ira en soutien à l’Association de solidarité Maroc-Palestine, annonce l’éditeur. Un tel ouvrage au prix de 90 dirhams est une prouesse à saluer.
Murtada Calamy / Les Inspirations ÉCO