Culture

Profession: acteur de second rôle

Considérés comme des seconds couteaux, des acteurs dont on oublie toujours le nom, les acteurs de second rôle ont du mal à se faire une place dans notre paysage cinématographique. Éléments d’explications.

Qui ne se souvient pas de Robert de Niro dans Brazil (Terry Gilliam, 1985), de Robert Duvall dans le Parrain (Francis Ford Coppola, 1972), de Massimo Troisi, qui donne la réplique à Philippe Noiret dans El Postino (Michael Radford, 1994), de Dennis Hopper dans Apocalypse Now (Coppola, 1979)? La liste de cette splendide clique de l’ombre, dont les noms ne figuraient pas en haut de l’affiche mais dont chaque apparition à l’écran brillait d’un éclat particulier, est longue. Nous avons tous en nous quelque chose de ces magiciens outsiders, ne serait-ce que le fameux «what the fuck?» nerveux de Joe Pesci, annonciateur d’une escalade de violence à l’esthétique époustouflante. Si le second rôle a aussi son prix lors des annuelles récompenses du FIFM, qu’en est-il vraiment de sa place dans le cinéma marocain? 

Héros sans gloire
Il suffit de poser la question aux professionnels du cinéma pour découvrir ce constat accablant: les Marocains n’éprouvent pas de tendresse pour ces sans-grades et s’identifient moins aux loosers et aux petites gens. Le propos du réalisateur Noureddine Lakhmari est sans ambiguïté: «On ne voit pas dans notre cinéma de bons rôles de flic, de médecin, de chauffeur de taxi…. À force de faire l’apologie de la puissance et de l’argent, les gens ne s’identifient pas à ces héros de la vie ordinaire». Au fond, le second rôle est un peu comme le bassiste d’un groupe, soutenant l’équilibre et, depuis le fond du cadre, raccroche les wagons de la narration. Or le cinéma est une belle escroquerie émotionnelle et un accélérateur de rêves dont les contours sont tracés par la culture de chaque pays. Ainsi, le cinéma français des années 1960 et 1970, avant de sombrer dans le choix des acteurs «bankable», était friand de héros sans position sociale. En revanche, le cinéma américain a toujours célébré des sauveurs, à l’instar de Superman ou de Batman, pas réalistes mais répondant au besoin du spectateur d’y croire. Le jeune réalisateur Adil El Fadili formule la question autrement: «Comment peut-on parler de seconds rôles alors qu’il n’existe même pas, dans notre cinéma, de véritables héros voire de anti-héros?». Comme dans la vie réelle, il n’existe pas de «sous-travail», il n’existe pas de sous-rôle au cinéma. «Il m’est arrivé de proposer des petits rôles à des comédiens qui l’ont refusé sous prétexte qu’ils valent mieux que ça. C’est complètement absurde», s’insurge ce réalisateur. 

«Ah, c’est l’autre… celui qui a joué dans l’autre film, là!» 

La rareté de cette catégorie d’acteur au Maroc est une pure question d’arithmétique. Et pour cause: le nombre d’acteurs reste en deçà du niveau exigé par une industrie cinématographique qui tourne à plein régime, sans oublier que la variété des tranches d’âge des acteurs ne laisse pas trop le choix aux réalisateurs. «Contrairement aux Égyptiens qui disposent d’un gigantesque réservoir de comédiens, les nôtres ne sont pas nombreux, ce qui explique que l’on a tendance à voir les même acteurs surfer entre les principaux et les seconds rôles, ce qui ne permet pas l’émergence de nouveaux visages», analyse le réalisateur Mohamed Achaouar. L’autre défaut structurel réside dans l’écriture cinématographique. Souvent mal écrits puisque considérés comme des faire-valoir aux héros, les acteurs les interprètent, tout en les détestant. «Pour nombre de nos scénaristes, c’est encore l’histoire qui prime sur le personnage. Les scénarios ne se construisent pas autour de protagonistes dont le rôle a été porté à maturation. Par ailleurs, pour avoir un bon acteur de second rôle, il faut avoir un premier rôle qui crève l’écran», explique Adil El Fadili. Pourtant, il existe des acteurs marocains capables de jouer les deux rôles: Rafik Boubker, Omar Lotfi, Fahd Benchemsi, Azid Dadas, Said Bey, sans oublier des stars de l’écran qui pèsent de tout leur poids, à l’instar de Mohamed Benbrahim, parfait anti-héros dans Casanegra de Noureddine Lakhmari. Enfin, les conditions financières des acteurs et la rareté du travail les poussent souvent à brader leur talent en interprétant des rôles insignifiants dans des productions étrangères aux cachets alléchants (entre 10.000 et 15.000 DH par jour), et éviter ainsi de rester au chômage.


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